L’utilisation d’un outil visuel ou stratégies visuelles facilitent les interventions en développement de carrière auprès de tout type de clients 

 Émilie Robert  

Les modèles d’intervention traditionnels en développement de carrière reposent sur les mots. Les professionnels de ce domaine parlent à leurs clients, écoutent leurs propos, leur administrent des questionnaires et des tests psychométriquesles réfèrent à des sites Web et à des inventaires de métiers et professions. Ces façons de faire sont enseignées depuis longtemps dans les programmes de formation universitaire en counseling de carrière. Elles semblent incontournables et elles ont fait leurs preuves.  

Pourtant, de plus en plus de personnes qui consultent un professionnel de l’orientation semblent différents du client « typique » pour lesquels ces modèles d’intervention ont été validés. En effet, au Canada comme ailleurs, de plus en plus de personnes qui consultent en counseling de carrière sont psychologiquement ou neurologiquement atypiques. D’autres proviennent d’une autre culture que la culture dominante ou ont pour langue maternelle une autre langue que le français ou l’anglais.  

Eintervenant auprès de clients en situation de handicap ou dont le français n’est pas la langue maternelle, j’ai observé que mes stratégies d’intervention et mes outils traditionnels donnaient peu de résultats. Du moins, il me fallait beaucoup de temps pour arriver à répondre aux besoins de mes clientsLa communication orale et écrite, l’écoute active et l’établissement d’une relation de confiance impliquent tous l’échange de motsMalheureusement, mes outils traditionnels sont laborieux pour une large proportion de la clientèle qui consulte les conseillers d’orientation et les conseillers en emploi.  

Devant ce constat, j’ai dû revoir mon approche de façon à mieux comprendre ce groupe hétérogène. Qui sont-ils? Quels sont leurs besoins? En quoi les outils traditionnels ne leur conviennent pas? Comment mieux intervenir auprès d’eux? 

 Les multiples facettes d’un même problème 

Les personnes moins à l’aise avec les mots ont une caractéristique commune : elles doivent souvent déployer plus d’efforts pour retenir des informations qui leur sont communiquées verbalement. Voici les types de personnes les plus touchées par cette réalité. 

Personnes  Difficultés et risques liés à l’échange de mots  Besoins 
Malentendantes   Risque de distorsion du message lié à l’utilisation d’un appareil auditif ou des services d’un interprète   Avoir un appui visuel pour bien saisir les propos échangés 
Ayant un TDAH   Risque de perdre leur fil de pensée lorsqu’on leur donne beaucoup d’informations verbalement  Avoir un cadre clair et des informations concrètes pour demeurer concentrées 
Autistes   Difficulté à traiter les informations verbales, à exprimer leurs pensées et à se projeter dans l’avenir  Voir les concepts pour bien les comprendre 
Dysphasiques   Difficulté à comprendre le sens des mots et à formuler leur pensée et leurs besoins  Avoir un appui visuel pour bien comprendre l’information et s’exprimer 
Dyslexiques   Risque de se fatiguer à la lecture de monographies de professions, de sites Internet ou d’items d’un test psychométrique  
Dont le français ou l’anglais n’est pas la langue maternelle  Risque de mal interpréter les informations verbales 
Des images qui valent bien plus que mille mots
 

Qu’on soit conseiller d’orientation, conseiller en information scolaire ou conseiller en emploi, les interventions individuelles ou de groupe auprès des personnes moins à l’aise avec les mots peuvent être facilitées par le recours à des images, des dessins, des pictogrammes et des graphiques. L’utilisation d’un outil visuel ou de stratégies visuelles offre plusieurs avantages, dont celui de faciliter la compréhension de concepts abstraits, comme la connaissance de soi et la prise de décision.  Cela aide aussi le client à structurer sa pensée et à ouvrir sur des sujets qui émergent à la vue des images présentées. Cette approche permet d’éviter des malentendus sur le sens des mots et de dédramatiser la projection dans le futur (futur emploi, futurs projets d’études).  

Prenons l’exemple de Charles. Cet étudiant avait beaucoup de difficultés à réussir ses cours de sciences naturelles, comme la physique et la chimie, malgré son intérêt pour celles-ci. Ayant cumulé plusieurs échecs, il me rencontre pour choisir une profession scientifique, malgré ses inquiétudes quant à cette voieAyant remarqué que Charles excellait dans les disciplines liées à l’écriture et aux langues, je lui montre une affiche de Ma carrière en images où l’on voit un personnage dont les intérêts sont symbolisés par des outils de construction, une palette de peintre et des instruments de cuisine. Le personnage se demande s’il a les compétences associées à ces intérêts, représentés par les chapeaux que portent les travailleurs de ces domaines (casque de construction, béret de peintre et toque de cuisinier). En lui montrant cette image, puis en consultant son relevé de notes, il a soudainement compris que malgré son intérêt pour les sciences, il avait des forces associées à d’autres types d’activités. Cela lui a permis de s’ouvrir à explorer d’autres domaines professionnels.   

Un levier encore plus fort en contexte de pandémie 

Avec la pandémie et la distanciation socialeles personnes en situation de handicap sont encore plus vulnérables à vivre de l’anxiété provoquée par l’isolement. Elles peuvent aussi se sentir perdues dans un flot d’informations accessibles sur Internet, tout en étant laissées à elles-mêmes dans leur prise de décision. Bien sûr, l’intervention à distance (ou la télépratique) s’est imposée à tous les professionnels de la relation d’aide, mais plusieurs outils traditionnels n’y sont pas adaptés (ex. : tests psychométriques ou répertoires de programmes d’études), encore moins aux clientèles vulnérables  

Cela dit, les logiciels de téléconsultation offrent plusieurs possibilités pour accompagner visuellement les paroles du professionnelL’essentiel est de rendre concrètes les informations échangées durant une consultation ainsi que l’expérience vécue entre lui et son client. Par exemple, il peut partager des sites Web, des images et des graphiques à l’écran, ou encore annoter un tableau blanc pour garder des traces concrètes des échanges. Les affiches numériques de Ma carrière en images sont également un exemple de pratique adaptée, car les informations visuelles sur chaque thème permettent de réduire au minimum les explications requises pour assurer la compréhension du client.  

En somme, les stratégies visuelles facilitent les interventions auprès de tout type de client, particulièrement ceux qui ont des limites sur le plan de la lecture, de l’écriture ou de la paroleOn gagne toujours à communiquer efficacement.  Encore mieux, à réduire l’anxiété que vit un client quant à son choix professionnel. Avec le recours de plus en plus fréquent à la téléconsultation et aux technologies de l’information en contexte d’intervention, c’est par l’image qu’on pourra encore mieux se parler.  

Émilie Robert, c. o., travaille depuis 2011 auprès d’étudiants en situation de handicap au Collège Montmorency, tout particulièrement avec la clientèle ayant un trouble de spectre de l’autisme (TSA). Son livre, Les personnes autistes et le choix professionnel (Septembre éditeur, 2015), lui a valu le prix professionnel 2016 de l’Ordre des conseillers et conseillères d’orientation du Québec. Plus récemment, elle a publié la trousse Ma carrière en images (Septembre éditeur, 2020) pour faciliter l’intervention en orientation scolaire et professionnelle et en emploi. 

Références 

Robert, Émilie. (2015). Les personnes autistes et le choix professionnel : les défis de l’intervention en orientation, Septembre éditeur.  

Robert, Émilie. (2020). Ma carrière en images, Septembre éditeur.