L’amour du travail, défi ou réalité? Une situation d’apprentissage et d’évaluation (SAÉ) en lien avec l’inventaire visuel d’intérêts professionnels (IVIP)
Par France Cayer et Marcelle Gingras
L’intégration au monde du travail, pour un élève en difficulté, n’est certes pas une étape facile. Afin d’y arriver, celui-ci a besoin de minimalement connaître ses propres caractéristiques et celles d’un emploi qui peut l’intéresser. Toutefois, les observations effectuées dans le cadre de notre pratique professionnelle démontrent que ces élèves connaissent souvent mal leurs intérêts professionnels. De plus, comme ils n’ont généralement aucune expérience de travail, ces jeunes n’ont pas d’idée de ce que peut impliquer l’exercice d’un emploi, ses exigences ou même les tâches de travail à réaliser.
Étant donné le peu d’outils mis à la disposition de ces élèves pour atténuer cette problématique, nous avons choisi d’élaborer une situation d’apprentissage et d’évaluation (SAÉ), de l’expérimenter et de vérifier ses retombées auprès des élèves concernés. Cette étude a été effectuée à l’intérieur du programme de Formation préparatoire au travail offert au Centre François-Michelle (www.francois-michelle.qc.ca), école spécialisée qui accueille environ 110 jeunes âgés de 15 à 21 ans, ayant une incapacité intellectuelle légère.
Cette SAÉ a pour but principal de permettre à ces élèves de mieux se connaître et de mieux connaître le monde du travail qui leur est accessible. Elle est en lien avec un outil très pertinent qui permet aux jeunes et adultes faiblement scolarisés de découvrir leurs intérêts, à savoir l’Inventaire visuel d’intérêts professionnels (IVIP) (Dupont, Gingras et Tétreau, 2008). Tout au long de la réalisation de cette SAÉ, l’élève sera fréquemment invité à utiliser cet outil en ligne disponible sur le site de Repères (www.reperes.qc.ca).
L’Inventaire visuel d’intérêts professionnels (IVIP)
L’Inventaire visuel d’intérêts professionnels (IVIP) est un instrument de mesure des intérêts professionnels et un outil d’exploration de soi et du monde du travail. Il est constitué de 80 photographies en couleurs qui représentent une variété d’activités de travail non spécialisées et semi-spécialisées, de stratégies éducatives d’exploration professionnelle et d’un guide d’utilisation. Sur chacune de ces photographies reliées à des banques de données d’information scolaire et professionnelle, le sujet est invité à se positionner à l’aide de trois choix de réponses : Oui, Non et Je ne sais pas. Ses principaux intérêts ressortent ensuite sous forme d’un profil comprenant 7 secteurs du monde du travail.
La situation d’apprentissage et d’évaluation
Afin de maximiser le potentiel de l’IVIP au plan pédagogique, nous avons développé une SAÉ qui permet d’utiliser cet outil comme base de travail dans le but d’aider les élèves à choisir un emploi qui leur correspond davantage. Aussi, pour mesurer l’effet de cette SAÉ sur l’évolution possible des intérêts professionnels des élèves, nous avons appliqué un protocole prétest – post-test. Ainsi, dans un premier temps, les élèves passent l’IVIP, puis ils réalisent les différentes activités de la SAÉ (environ 12 périodes de soixante-quinze minutes) et enfin, ils répondent à nouveau à l’IVIP.
Durant la première partie de cette SAÉ, l’élève doit se mettre dans la peau d’un individu à la recherche d’un emploi ou d’un stage. Les exercices proposés lui permettront tout d’abord d’apprendre à connaître ses qualités, compétences et intérêts professionnels. Ensuite, l’élève sera invité à analyser des emplois qui l’intéressent, en recherchant les tâches de travail, puis les qualités et compétences exigées. Il devra par la suite se préparer à une éventuelle entrevue d’embauche, qui sera réalisée par d’autres élèves de la classe. Durant la deuxième partie de cette SAÉ, l’élève devra jouer le rôle d’un employeur qui est à la recherche d’employés. En équipe, des élèves devront imaginer une nouvelle entreprise et bien cerner les besoins en termes de matériel et de personnel. Lorsque les postes de travail et les exigences seront cernés, ces élèves devront créer des offres d’emploi et tenir des kiosques qui en font la promotion. D’autres élèves seront alors invités à venir postuler sur ces emplois. La SAÉ se termine avec les entrevues réelles d’embauche et le choix de nouveaux employés.
La SAÉ contient également plusieurs annexes intéressantes, comme une liste de qualités, d’attitudes ou de compétences requises en milieu de travail, une liste d’intérêts selon la typologie RIASEC de Holland et une démarche d’administration pas à pas de l’IVIP. Cette SAÉ est disponible en ligne sur le site du Centre François-Michelle : www.fae-cfm.ca dans la partie « Enseignants (es) » sous le nom « L’amour du travail, défi ou réalité? »
Déroulement de l’expérimentation
Afin d’évaluer les effets de cette SAÉ sur les élèves, une expérimentation s’est déroulée à l’intérieur du programme de formation préparatoire au travail du Centre François-Michelle. Les élèves rejoints sont âgés de 15 à 20 ans et ils ont en moyenne un niveau de scolarité équivalant au premier cycle du primaire. Deux enseignantes ont expérimenté la SAÉ, à raison d’une période de 75 minutes par semaine. La première enseignante avait deux groupes de 11 élèves tandis que la seconde avait trois groupes composés de 10 à 13 élèves chacun. Au total, 57 élèves (22 filles et 35 garçons) ont participé à cette expérience. Parmi ceux-ci 15 n’ont encore jamais réalisé de stage, 13 ont seulement réalisé un stage de groupe, et 29 ont réalisé au moins un stage individuel.
Présentation des principaux résultats
Quatre moyens de collecte des données ont été retenus, à savoir une autoévaluation des élèves et leurs passations de l’IVIP ainsi qu’un questionnaire et un carnet de bord pour les enseignants. L’autoévaluation des élèves porte sur la connaissance de soi, du travail et des stages ainsi que sur les entrevues d’embauche et leur intérêt pour chacune des activités de la SAÉ. Ces jeunes devaient indiquer s’ils avaient l’impression d’avoir beaucoup, moyennement, un peu ou pas du tout appris sur ces différents sujets (voir figure ci-après).
Ces résultats montrent que dans chacune des catégories, une majorité d’élèves prétend avoir fait moyennement ou beaucoup d’apprentissages, notamment du côté de la connaissance du monde du travail. Plusieurs éléments pourraient expliquer ces résultats dont le fait qu’au point de départ, ces élèves avaient très peu de connaissances dans ce domaine.
Tel qu’illustré par la figure ci-dessous, l’intérêt général des élèves a été très élevé lors de la réalisation des diverses activités comprises à l’intérieur de la SAÉ.
Intérêt des élèves lors de l’expérimentation de la SAÉ
Ainsi, la plupart des élèves disent avoir beaucoup aimé les différentes activités qui font partie de la SAÉ, et particulièrement celles qui consistent à recevoir ou à donner des qualités et compétences, à créer une entreprise et à chercher les tâches et les exigences d’un emploi.
D’autres résultats concernent les deux passations de l’IVIP auprès des élèves. D’abord, le secteur du monde du travail qui intéresse le plus ces jeunes est celui de l’Alimentation tandis que le moins populaire est celui de la Transformation-Fabrication.
Popularité des différents secteurs du monde du travail de l’IVIP suite à la première passation
Popularité des différents secteurs du monde du travail de l’IVIP suite à la deuxième passation
Lors de la deuxième passation, les résultats à l’IVIP sont sensiblement équivalents. De plus, par rapport aux différences entre les deux passations, elles se retrouvent surtout au secteur Services personnels et publics. Possiblement que la réalisation de la SAÉ a permis aux élèves de prendre davantage connaissance de la réalité et des exigences du monde du travail. De ce fait, ils ont peut-être une meilleure connaissance des difficultés réelles pouvant être rencontrées dans divers emplois ou une meilleure idée de la réalité des emplois présentés dans l’IVIP, ou encore une meilleure connaissance de soi qui leur permet de juger de leur capacité à occuper ces emplois.
De même, trois grandes tendances ressortent des données illustrées ci-après. Il y a les élèves qui ont conservé leurs intérêts de départ, d’autres qui ont répondu plus positivement pour un secteur en particulier, et ceux qui ont répondu plus négativement que lors de la première passation.
Tendances remarquées suite à la deuxième passation de l’IVIP
Ainsi, certains jeunes ont conservé leur attrait pour les mêmes secteurs du monde du travail, ce qui porte à croire que la SAÉ n’a eu aucun effet sur leurs intérêts professionnels, ou encore qu’elle n’a fait que confirmer ceux-ci. D’autres élèves ont plutôt démontré un plus grand intérêt ou encore, moins d’intérêt pour un ou plusieurs secteurs en particulier. Probablement que la SAÉ a aidé ces jeunes à concrétiser leur intérêt pour l’un ou l’autre des secteurs du monde du travail de l’IVIP. Par ailleurs, une autre explication de ces résultats serait qu’en ayant développé une meilleure connaissance de soi, du monde du travail et de leurs intérêts professionnels, ces jeunes ont été en mesure de mieux préciser leur attirance pour le monde du travail et pour un métier en particulier.
D’autres réponses fournies par les élèves peuvent aussi expliquer ces résultats : 1) les stages effectués depuis le début de l’année ont influencé à la hausse ou à la baisse leurs intérêts professionnels; 2) cette expérience réelle de travail leur a permis de mieux connaître leurs intérêts professionnels; 3) la SAE et le cours de Préparation au marché du travail les ont aidés à obtenir une meilleure connaissance des emplois; 4) ils ignorent les raisons des changements de leurs intérêts professionnels.
Un autre aspect important à considérer au cours de cette expérimentation concerne l’opinion des deux enseignantes qui ont utilisé la SAÉ. Le questionnaire qu’elles devaient remplir à cet effet portait sur leurs perceptions des apprentissages réalisés par leurs élèves et de leur motivation. Elles avaient aussi la possibilité de donner des commentaires ou des suggestions sur la démarche entreprise. De plus, tout au long de l’expérimentation les enseignantes devaient inscrire dans un carnet de bord leurs observations et commentaires.
En général, leurs réponses sont extrêmement positives. Elles s’entendent pour dire que cette SAÉ a généré beaucoup d’apprentissages chez les élèves, que ceux-ci ont une meilleure idée de leurs intérêts professionnels et qu’ils sont un peu plus réalistes par rapport à la perception de leur avenir. Par contre, elles ont aussi remarqué que dans les groupes plus faibles où les élèves avaient un niveau de lecture d’à peine une première année primaire, les exercices de la SAÉ étaient plus difficiles à réaliser et que ces élèves avaient besoin de beaucoup de soutien. Voici un résumé des divers commentaires obtenus à partir du questionnaire remis aux enseignantes ou à l’intérieur de leur carnet de bord.
Liste des commentaires ou des suggestions des enseignantes concernant la SAÉ
- Les élèves ont aimé passer l’IVIP.
- Il a été difficile de leur expliquer certains secteurs du monde du travail de l’IVIP.
- Il serait opportun d’avoir des affiches illustrées expliquant chacun de ces secteurs.
- Les annexes de la SAÉ étaient très longues à lire et à expliquer aux élèves.
- Les élèves ont beaucoup utilisé les annexes comme outil de travail.
- De grandes affiches devraient aussi représenter les qualités et les compétences.
- Les élèves se sont sentis impliqués lors de la création des entreprises. Ils aiment être créatifs.
- Il devrait y avoir davantage de suggestions pour adapter les activités à diverses clientèles (ex. : différenciation pédagogique).
- Certaines activités de la SAE devraient être réduites, car la quantité d’informations à trouver décourageait certains élèves.
En bref, même si le programme de préparation au marché du travail propose un contenu varié et utile aux élèves afin d’entrer en douceur dans le monde du travail, force est de constater qu’il existe peu de matériel adapté à une clientèle en difficulté d’apprentissage. Toutefois, un outil comme l’IVIP et la SAÉ développée représentent la preuve qu’avec un peu d’imagination et de dynamisme, les enseignants peuvent trouver des moyens de permettre à tous les élèves d’apprendre de façon motivante et vivante.
France Cayer est étudiante à la maîtrise en enseignement à l’Université de Sherbrooke et enseignante au Centre François-Michelle.
Marcelle Gingras, c.o., Ph.D. est professeure à l’Université de Sherbrooke et coauteure de l’Inventaire visuel d’intérêts professionnels.
Référence:
Dupont, P., Gingras, M. et Tétreau, B. (2008). Inventaire visuel d’intérêts professionnels : outil d’exploration de soi et du monde du travail, Québec : Bibliothèque nationale du Québec.