Pratiques évaluatives en développement de carrière: une valeur ajoutée
Par Liette Goyer
En examinant les pratiques des services en développement de carrière, nous avons constaté avec étonnement que malgré l’importance accordée à la valeur de l’évaluation par les directions d’agence, il n’y a, en réalité, que très peu d’évaluations qui sont produites. La plupart des données colligées ne sont pas reliées aux changements effectifs des populations rencontrées ou à l’efficacité des interventions conduites par les conseillers (Lalande et Magnusson, 2007; Michaud, Goyer, Turcotte et Beaudouin, 2006; Magnusson et Lalande, 2005). En effet, plusieurs études affirment que les mises en preuves réalisées dans le domaine de l’employabilité portent surtout sur des indicateurs statiques de « placement en emploi » ou de « retour aux études » de la main-d’œuvre. Ces études indiquent que les changements (attitudes, connaissances, comportements) réalisés par les chercheurs d‘aide et qui influencent leur employabilité ne sont pas toujours mesurés, soit par manque d’outils, de temps, de ressources, ou encore de connaissances et de formation à l’évaluation. Or, les indicateurs doivent refléter la progression de changements observables et mesurables.
Cadre d’évaluation et indicateurs communs
Selon Ward (2011), il s’agit de l’autonomie dans l’employabilité, de la nature des défis personnels, environnementaux et systémiques auxquels l’on doit faire face, et enfin, du fait de relever efficacement ces défis en s’appuyant sur des éléments de soutien comme le sentiment d’efficacité, les résultats escomptés, les soutiens sociaux et les antécédents professionnels. Pour leur part, Baudouin et coll. ont indiqué des éléments complémentaires. Par exemple, l’exploration de carrière, l’amélioration des compétences, le développement d’habiletés reliées à la recherche d’emploi et le maintien en emploi sont des éléments qui peuvent aussi servir de cadre à décliner des attitudes, des connaissances et des comportements. Ces chercheurs ont défini trois indicateurs de changements personnels. Il s’agit des résultats d’apprentissages, des caractéristiques personnelles et des attributs d’employabilité. Rappelons que le Groupe de Recherche canadien sur les données probantes en DC a permis de développer un cadre d’évaluation adapté aux pratiques en DC et des chercheurs (Borgen Borgen, Lalande, Butterfield, Gray, Jacklin et Taheri-Tabriz, 2010; Goyer, Hiebert et Bezanson, 2009; Goyer, 2010; Michaud et Savard, 2008) ont expérimenté des interventions en DC en considérant le contexte, la spécificité des processus et les résultats obtenus. Ce cadre d’évaluation commun représente un point de départ valable car sa flexibilité et sa pertinence ont déjà été éprouvées dans nos travaux antérieurs (Goyer, 2010; 2009). En continuité avec ce cadre, nous pensons qu’il permet de fournir des informations scientifiquement valables en examinant la performance et le rendement des SDC.
Influence de la cyberculture
Aujourd’hui, la « cyberculture » influence les chercheurs d’aide qui consultent les services d’orientation et d’insertion sur le marché du travail. L’exemple des jeunes « natifs du numérique/digital natives » est très éloquent. Ces jeunes sont nés avec les technologies à la fin des années quatre-vingt. Ils se distinguent dans leurs rapports à l’apprentissage et au travail. Selon Bertrand (2011), six dimensions nous renseignent sur la manière dont fonctionnent ces jeunes. Ce sont : 1) leur façon de partager; 2) leur accès à des identités plus fluides; 3) leur changement de la notion de territoire; 4) leur manière différente de s’instruire et de se cultiver au-delà de l’écrit; 5) leur culture du jeu et 6) du bricolage. Dans cette « cyberculture », les rapports à l’orientation et à l’insertion des jeunes et des adultes se transforment.
L’enquête réalisée par Bezanson, Magnusson et O’Reilly (2009) décrit davantage la structure des services offerts en présentiel que ceux offerts à distance ou accessibles sur le Web. Malgré une description détaillée de la structure des prestations de services en DC, force est de constater, à la lecture des résultats de cette enquête, que les données au sujet des services accessibles par le Web et des usages de l’évaluation sont quasi inexistantes. D’un autre côté, les travaux de Bimrose, Barnes et Attwell (2010) sur l’intégration des compétences numériques des personnes conseillères et des chercheurs d’aide dans le contexte des services d’orientation en ligne vont dans le sens de nos préoccupations. En effet, les services en développement de carrière se retrouvent devant des perspectives à la fois stimulantes et perturbatrices. Plusieurs facteurs de transformation sont à l’œuvre et, parmi ceux-ci, les développements technologiques occupent une place prépondérante. Ils mettent à la disposition des chercheurs d’aide des outils puissants qui modifient l’environnement des prestations de services.
Métissage des pratiques à distance et en présentiel
Deux modes de pratique se côtoient chez les fournisseurs de services en DC : les processus en présentiel (PEP) et les processus à distance (PAD). Pour les besoins de cet article, le PAD est défini comme étant toute forme de processus qui se déroule sans la présence physique simultanée du chercheur d’aide et du conseiller dans un lieu prévu à cet effet, ce qui le distingue du PEP (avec la présence physique). Le PAD peut être synchrone ou asynchrone, utiliser le discours oral aussi bien que l’écrit, les images ou les clips, de même que tous les supports possibles allant du papier à l’Internet. On observe que la pratique en émergence consiste en une forme d’hybridation des PEP et des PAD. Autant les PEP que les PAD servent les processus d’information sur le marché du travail (IMT), de l’orientation, l’insertion et le maintien au travail ainsi que le développement des compétences. L’évaluation de ces nouvelles formes d’usage revêt un caractère très novateur. Les populations canadiennes qui utilisent les services en DC ont des besoins variés se situant sur un large continuum allant de la simplicité à la complexité. D’une part, il y a des services (PEP et PAD) qui répondent à des besoins initiaux simples, qualifiés de généraux. D’autre part, il y a des services (PEP et PAD) qui répondent à des besoins complexes et qui requièrent un accompagnement qualifié de clinique en orientation.
Les pratiques évaluatives ne doivent pas être seulement élaborées par des experts, mais aussi construites en collaboration avec des fournisseurs de services. Le développement d’une compétence à l’évaluation dans différents milieux constitue une valeur ajoutée pour justifier la pertinence des services. Il importe donc de repérer, produire, documenter et évaluer des usages et des outils en matière d’évaluation au sein de dispositifs réellement offerts en DC.
Pour une base de connaissances probantes
Les décideurs et les fournisseurs de services déplorent le manque de preuves robustes de même que la faiblesse des indicateurs communs pour défendre la pertinence de soutenir financièrement des interventions en matière de développement de carrière. Les outils d’évaluation et les processus de soutien développés dans les milieux de pratique constituent un jalon pour la mise en œuvre de pratiques fondées sur l’utilisation d’indicateurs communs en fonction des contextes, des processus, des populations et des résultats souhaités. Par l’intermédiaire de la recherche, des indicateurs reliés à des outils d’évaluation pourront être validés et enrichis. Ces analyses pourront fournir des données utiles telles que les effets escomptés, les résultats à très court terme, les obstacles à l’intervention, les différences entre les divers lieux d’intervention. Ces analyses procureraient aussi des données sur l’amélioration des indicateurs, des outils et des processus d’évaluation : l’atteinte des objectifs d’intervention et ses cibles, les bénéfices attendus, des résultats non prévus, les forces et les faiblesses des outils de soutien et d’évaluation et les secteurs ou dimensions à améliorer. Enfin, ces résultats favoriseraient le déploiement de nos compétences en évaluation tout en encourageant la recherche afin de mieux comprendre les dimensions stratégiques (ex. : pertinence, utilité), économiques (ex. : coûts), législatives (ex. : restrictions et libertés), éthiques (ex. : risques et préjudices) et technologiques (ex. : limites et possibilités) relatives aux diverses pratiques évaluatives en DC.
Références
Baudouin, R., Bezanson, L., Borgen, W., Goyer, L., Hiebert, B., Lalande , V., Magnusson, K., Michaud, G., Renald, C., & Turcotte, M. (2007). Demonstrating value: A draft framework for evaluating the effectiveness of career development interventions, Canadian Journal of Counselling, 41, 146-157.
Bertrand, L. (2010). Renouveler l’université, Pour un rapport au savoir adapté au XXIe siècle, Québec : PUL.,152 p.
Bezanson, L., Magnusson, K., O’Reilly, E. (2009). Inventaire des structures de prestation des services de carrière et d’emploi au Canada, Groupe de travail sur les services de développement de carrière du Forum des ministres du marché du travail, FCDC, Canada, 17 p.
Bimrose, J, Barnes, S.-A. et G. Attwell (2010). An investigation into this skills needed by Connexions Personal Advisersd to develop internet-Based Guidance. Full Report. Warwick Institute employment research, UK, 64 p.
Borgen, B., Lalande, V., Butterfield, L., Gray, M., Jacklin, D., & Taheri-Tabriz, M. (2010). Career conversations: The development, implementation and evaluation of an innovative human resource intervention for small to medium businesses, Ottawa, ON: Canadian Career Development Foundation.
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Goyer, L. (2010a). Mon GPS de carrière : une innovation adaptée à l’univers des PME, Rapport de recherche no 8. GDRC/CRWG. Québec. 220 p. [EN LIGNE]
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Goyer, L. Hiebert, B. Bezanson, L. (2009). Increasing Career Self-Direction in Small/Medium Enterprises: Evaluating Intervention Effectiveness. Association Internationale en orientation scolaire et professionnelle, (AIOSP), Wellington, Nouvelle-Zélande, Novembre 2009
Lalande, V., & Magnusson, K. (2007). Measuring the Impact of Career Development Services in Canada: Current and Preferred Practices, Canadian Journal of Counselling, 41, 146-157.
Magnusson, K., & Lalande, V. (2005). The state of practice in Canada in measuring career service impact, Ottawa, ON: Canadian Career Development Foundation, Retrieved from CRWG website: http://www.crwg-gdrc.ca.
Michaud, G. et Savard, R. (2008). « Évaluation des effets du bilan de compétences en entreprises: résultats préliminaires.» Association Internationale de la psychologie du travail de langue française (AIPTLF) 21 août, Université Laval, Québec, Canada.
Michaud, G., Goyer, L., Turcotte, M. Beaudouin, R. (2006). L’évaluation des services de développement de carrière : exposé de divers points de vue, Consultation nationale touchant le développement de carrière (CONAT), Ottawa, Ontario, janvier 2006.
Ward,V. G. (2011). Échelle d’Employabilité. Service-Growth Consultants Inc. Vancouver, Canada, 1 p. www.EmploymentReadiness.org. Consulté le 10 juillet 2011.
Liette Goyer, Ph. D. est professeur agrégé, expert en counseling d’orientation et chercheur régulier au CRIEVAT à l’Université Laval.