La compréhension des besoins de chacun au travail et de la manière dont ils peuvent varier d’une personne à l’autre, peut contribuer à favoriser des relations de travail plus positives

K. Jessica Van Vliet et José F. Domene

Author headshotsÀ la base, la plupart des types de travail impliquent des relations interpersonnelles. La façon dont les gens entrent en relation avec leurs collègues peut refléter des modèles de relations interpersonnelles qui se manifestent dans d’autres sphères de la vie des gens. Paul Gilbert (2009), l’un des plus grands spécialistes mondiaux sur la compassion, a inventé le terme « mentalités sociales » pour classifier sommairement les modes de relations sociales des gens. Les mentalités sociales sont des types d’états d’esprit qui influencent les pensées, les sentiments et les comportements d’une personne et qui l’incitent à agir de manière particulière envers les autres. Parmi les principales mentalités sociales identifiées par Gilbert, on trouve l’offre de soins pour autrui, la recherche de soins pour soi, la compétition et la coopération. Après avoir brièvement résumé la description de ces mentalités de Gilbert (1992), nous discutons des implications potentielles des mentalités sociales sur le travail et la carrière.

Les mentalités sociales

L’offre de soins pour autrui : Cette mentalité se caractérise par une forte motivation à favoriser la croissance et le développement d’autres personnes. Les sentiments de plaisir et de satisfaction proviennent du soutien au bien-être des autres. Avec cette mentalité, une personne est sensible à la détresse des autres et réagit avec bienveillance et compassion. Offrir aux autres confort et protection face à un danger potentiel peut être une source importante de satisfaction personnelle.

Recherche de soins pour soi : La recherche de soins est le revers de la médaille. Une personne ayant cette mentalité peut manifester un besoin intense d’être couvée et protégée par les autres. L’anxiété, la dépression et d’autres formes de détresse peuvent résulter du manque de soutien à portée de main. Lorsque le soutien est accessible, l’individu peut éprouver un plus grand sentiment de sécurité et de satisfaction; à partir de ce sentiment accru de sécurité, une personne est mieux à même de se concentrer sur d’autres objectifs.

Compétition : Cette mentalité est marquée par la préoccupation d’une personne de se comparer aux autres. Dans cette mentalité, une personne est très attentive aux signaux d’infériorité ou de supériorité et de victoire ou de perte. L’évaluation qu’ils font de leur position par rapport aux autres peut parfois les mener à adopter des comportements visant à les dominer (c’est-à-dire à être « au sommet » ou à gagner). Par ailleurs, afin d’éviter d’être attaquée ou rejetée, une personne peut tenter d’apaiser des individus considérés comme plus puissants. La mentalité de compétition est associée à toute une série d’émotions, allant de la colère, de l’anxiété et du ressentiment à l’exaltation de la victoire.

Coopération : Contrairement à la compétition, cette mentalité ne se préoccupe pas de questions de hiérarchie sociale, mais plutôt de confiance mutuelle, de respect, d’appartenance, de partage et d’appréciation. Ces qualités facilitent les interactions collaboratives visant à atteindre les objectifs du groupe. Comme dans le cas des soins, les expressions de la sollicitude peuvent être présentes. Cependant, avec la coopération, la bienveillance est généralement mutuelle et contribue à créer un environnement de travail convivial et agréable qui favorise la réussite de l’équipe.

Implications pour le développement de carrière

Appliquée au travail et à la carrière, la compréhension des mentalités sociales peut être utile tant aux individus qu’à l’ensemble de l’organisation. Les mentalités sociales peuvent fournir un cadre utile pour éclairer les décisions liées à la carrière. Par exemple, une personne très motivée par une mentalité d’offre de soins peut rechercher activement les occasions de favoriser l’épanouissement de collègues ayant moins d’expérience. Une personne dotée d’une mentalité compétitive peut choisir de travailler dans une organisation où la compétition pour la promotion et la reconnaissance est hautement valorisée et encouragée. Sur le plan organisationnel, prendre conscience des mentalités sociales qui motivent différents travailleurs peut aider les organisations à mieux répondre aux besoins et aux préférences de ceux-ci. De plus, une compréhension de la manière dont les mentalités sociales influencent la dynamique sociale sur le lieu de travail peut être utilisée pour améliorer la culture du lieu de travail.

Bien que la plupart des recherches sur les mentalités sociales aient porté sur la santé mentale, dans le cadre de notre programme de recherche à l’Université de l’Alberta et à l’Université de Calgary, nous avons exploré comment les mentalités sociales peuvent influencer le développement de carrière des gens et leur expérience du travail. Dans une étude récente où nous avons exploré qualitativement les expériences d’adultes en matière de soins sur le lieu de travail, ces derniers avaient des significations différentes selon que la personne se concentrait sur la coopération ou sur le fait de donner des soins ou de chercher à en donner. Par exemple, quelqu’un qui vient d’une mentalité de recherche de soins peut interpréter la bienveillance comme l’engagement de son superviseur envers la croissance et le perfectionnement du travailleur, ou comme la disponibilité émotionnelle des collègues dans les moments de détresse personnelle. Du point de vue des autres travailleurs, elle peut se traduire par des conversations amicales et des activités sociales agréables qui servent les objectifs de la coopération.

En d’autres termes, en ce qui concerne les soins sur le lieu de travail, il n’y a pas de réponse universelle. Comprendre que les besoins de chacun en matière de soins au travail, et que la définition de ces mêmes soins peut varier d’une personne à l’autre, peut favoriser des relations de travail plus positives. Pour les organisations qui s’efforcent de créer un environnement de travail plus humain, il est important d’examiner sous quelles formes les soins seraient bénéfiques, et pour qui.

« En d’autres termes, en ce qui concerne les soins sur le lieu de travail, il n’y a pas de réponse universelle. »

Nous sommes en train de créer un questionnaire pour mesurer les mentalités sociales des gens dans le contexte du travail, ainsi qu’un questionnaire visant à tirer profit des perceptions des gens sur les mentalités sociales en milieu de travail. Les questionnaires peuvent approfondir la compréhension de l’influence des mentalités sociales sur le développement de carrière et le bien-être. En attendant, nous proposons les questions suivantes que les intervenants en développement de carrière pourront trouver utiles pour discuter des mentalités sociales avec leurs clients et stimuler leur réflexion sur la façon dont ce concept peut être lié à leur carrière :

  • En réfléchissant aux quatre mentalités sociales, quelles sont les mentalités qui semblent le mieux me décrire lorsqu’il s’agit de mes relations avec les autres personnes sur mon lieu de travail?
  • Quelle est l’importance de chaque mentalité pour moi?
  • Pour ces mentalités qui reflètent mon identité ou mes aspirations, comment mon lieu de travail me soutient-il?
  • S’il semble y avoir un décalage entre mes mentalités sociales préférées et mon lieu de travail, quels changements puis-je apporter dans ma vie personnelle ou professionnelle sur mon lieu de travail?

Il est également important de reconnaître que les mentalités sociales peuvent être assez fluides. Elles peuvent devenir plus ou moins actives, selon le contexte. Par exemple, une personne peut avoir tendance à adopter une mentalité coopérative lorsqu’elle travaille avec ses pairs, mais fonctionner plutôt selon une mentalité de recherche de soins avec son superviseur. Le stade de la carrière de la personne peut également être pertinent, la recherche de soins étant plus présente au début de la carrière et la prestation de soins prenant de l’importance dans les étapes ultérieures du développement de carrière. Au fil des apprentissages sur la façon dont les mentalités sociales influencent le travail et la carrière, les travailleurs et leurs superviseurs pourraient mieux comprendre comment contribuer à un environnement de travail sain et harmonieux.

Dre K. Jessica Van Vliet (jvanvliet@ualberta.ca) est une psychologue agréée et professeure de psychologie de l’orientation à l’Université de l’Alberta. Elle a passé plusieurs années à étudier la compassion dans divers volets de la vie. Plus récemment, elle a élargi son intérêt pour la compassion en l’appliquant au contexte du lieu de travail.

Dr José Domene (jfdomene@ucalgary.ca), psychologue agréé et professeur de psychologie de l’orientation à l’Université de Calgary, a acquis une renommée internationale pour ses recherches sur le développement de carrière, qui portent notamment sur les contextes relationnels de la carrière.