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Étudier et travailler en ligne : Faciliter la participation sociale des personnes autistes

Les personnes autistes doivent constamment s’adapter à un monde scolaire et professionnel qui n’est pas adapté à leurs besoins

Émilie Robert

Author headshotÉtienne est un jeune autiste de 22 ans. Il étudie pour une 8e session dans le programme de sciences humaines dans un cégep au Québec. Il éprouve beaucoup de difficultés à terminer son programme. Il ne sait pas trop à quoi ses études vont le mener. Il a changé d’établissement plusieurs fois, en espérant mieux réussir de fois en fois. À chaque endroit, il ne se sent pas à l’aise dans les corridors, dans les classes, dans les interactions avec les enseignants. Il est brillant et il réussit très bien académiquement… lorsqu’il est capable de se rendre en classe et d’y rester. Étienne vit beaucoup d’anxiété et d’enjeux sensoriels. Il est inquiet face à son autonomie financière et professionnelle. Il sait que ses parents ne seront pas toujours là pour le soutenir. En même temps, l’idée de commencer encore un nouveau programme d’études l’angoisse.

Bien que le choix d’un programme d’études ou de carrière soit une source d’anxiété pour une majorité de jeunes, on peut comprendre que cela est encore plus difficile pour une personne autiste. Rappelons que l’autisme est caractérisé par des difficultés dans les interactions sociales, dans la communication verbale et non verbale, par une hyperréactivité sensorielle ainsi que par des intérêts restreints et souvent très intenses. Cette façon d’être peut provoquer de l’anxiété et de la fatigue, provenant du fait que ces personnes doivent constamment s’adapter à un monde scolaire et professionnel qui n’est pas fait pour elles.

C’est précisément ce que vit Étienne. Il réalise qu’il n’arrivera à faire un choix par lui-même. À la recommandation de ses parents, il prend un rendez-vous avec une conseillère d’orientation. Après plusieurs rencontres avec elle, Étienne est enfin à l’aise de dire qu’il aurait un intérêt pour la programmation informatique. Toutefois, l’idée de suivre un programme technique de trois ans au cégep lui parait lourde. Il est fatigué de tourner en rond, mais rester en sciences humaines demeure plus confortable que de plonger vers l’inconnu. Si seulement il pouvait découvrir un nouveau domaine, mais à partir de la maison…

Étudier et travailler de la maison n’était pas si simple il y a de cela quelques années. Mais les mesures de distanciation sociale qu’a imposées la pandémie de COVID-19 a forcé de nombreux établissements d’enseignement et employeurs à rendre possible l’enseignement et le travail en ligne. Autant on pouvait craindre que cela déshumanise certains services, le recul nous permet de comprendre que pour certaines personnes, par exemple des personnes autistes, les interactions en ligne peuvent s’avérer salutaires :

  1. Le soutien visuel lors d’échanges de messages électroniques ou de visioconférence aide à compenser pour les difficultés de communication verbale;
  2. Les interactions sociales en ligne sont souvent plus formelles et encadrées par un code de conduite plus explicite, ce qui aide les personnes autistes à mieux comprendre les règles sociales;
  3. Être productif de chez soi permet de briser l’isolement, participer à la société et se sentir valorisé, sans avoir à vivre le stress du déplacement aux heures de pointe ou de circuler des environnements populeux, bruyants, surstimulants;
  4. Étudier ou travailler à distance offre la possibilité de le faire aux heures qui conviennent à la personne et à son rythme, ce qui est bénéfique, car les personnes autistes ont souvent besoin de plusieurs pauses et sont souvent plus productives le soir.

« Autant on pouvait craindre que cela déshumanise certains services, le recul nous permet de comprendre que pour certaines personnes, par exemple des personnes autistes, les interactions en ligne peuvent s’avérer salutaires. »

Étudier ou travailler en ligne est donc loin d’être déshumanisant pour les personnes autistes, au contraire. Ces transformations contribuent à leur participation sociale, à leur autonomie financière et à leur accomplissement personnel. C’est précisément ce que vit Étienne. Après plusieurs recherches, il découvre avec l’aide de sa conseillère d’orientation un certificat de 1er cycle universitaire en programmation de jeux vidéo, offert exclusivement en ligne.  Il sent enfin qu’il peut entrevoir son futur. Il peut prendre le risque d’essayer quelque chose de nouveau sans avoir à se déplacer, à circuler dans des endroits bruyants, ni à s’adapter à un nouvel endroit. Il peut étudier davantage à son rythme. Après son certificat, Étienne pourra trouver un emploi dans son domaine, emploi qu’il pourra aussi effectuer à distance.

Étienne n’est certainement pas le seul à pouvoir bénéficier du travail en ligne. Ses employeurs y trouveront tout autant leur compte. Le travail à distance facilite la mise en place d’accommodements simples et équitables qui rendent la personne autiste plus productive.  Aussi, permettre aux personnes autistes d’obtenir plus facilement des diplômes de trouver un emploi et de s’y maintenir est un moyen de palier à la pénurie de main-d’œuvre. Cela permet à toute la société de profiter du talent de tout plein de personnes qu’elles ne pourraient pas mettre en valeur autrement.

Cette perspective est assez évidente pour les professionnels de l’orientation, car nous rencontrons des personnes qualifiées qui n’ont besoin que d’un coup de pouce pour intégrer le marché de travail. Nous pouvons certainement contribuer à ce que ces nouvelles façons d’enseigner et de travailler puissent perdurer. Au-delà de faire connaitre ces possibilités à nos clients, nous pouvons sensibiliser les employeurs à l’importance de mettre en place et de maintenir des possibilités de travail à distance. Cela peut se faire en proposant un accompagnement de nos clients en intégration en emploi et rencontrant l’employeur pour faciliter la mise en place d’aménagement de travail. Aussi, les professionnels de l’orientation en milieu organisationnel peuvent proposer à l’employeur la mise en place d’horaires flexibles ou de modes hybrides de prestation de service. Enfin, les professionnels de l’orientation peuvent agir à titre de consultants pour les entreprises pour mettre en place des accommodements pour les personnes ayant des besoins particuliers.

En somme, autant les études ou le travail en ligne sont bénéfiques pour les personnes autistes et leurs employeurs, tout étudiant ou employé, en fonction de ses besoins et de la nature de son travail, peut y gagner. Pour une société plus productive, certes, mais encore plus important, une société plus juste et équitable.

Émilie Robert est conseillère d’orientation au Collège Montmorency. Elle se spécialise en intervention auprès de personnes autistes. Elle est l’auteure du livre Les personnes autistes et le choix professionnel : Les défis de l’intervention en orientation, ainsi que de la trousse Ma carrière en images, tous deux parus chez Septembre éditeur. On peut l’entendre dans des conférences, émissions de radio et de télévision au sujet de l’orientation scolaire et professionnelle des personnes autistes.

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C’est ici que tout commence : La santé mentale, le développement de carrière et votre pratique

Faire preuve d’intention quant à l’influence de votre travail sur la santé mentale de vos clients favorise des résultats positifs

Michael Huston et Dave Redekopp

Author headshotsLa ténacité dans la recherche de liens entre le développement de carrière et la santé mentale était l’un de nos espoirs lorsque nous avons approché le CERIC et l’Australian Centre for Career Education (anciennement CEAV) pour écrire un livre sur ce sujet. Il est trop tôt pour dire si notre secteur d’activité aura un intérêt permanent pour les résultats en matière de santé mentale, mais depuis la publication en 2020 du livre Strengthening Mental Health Through Effective Career Development (Renforcer la santé mentale par le développement de carrière efficace), nous avons été encouragés par un intérêt soutenu au Canada et ailleurs dans le monde.

Nous avons donné des conférences dans des congrès au Canada et à l’étranger; participé à une étude sur le développement de carrière et la santé mentale dans les écoles; collaboré, avec la Fondation canadienne pour le développement de carrière, sur l’outil MHO-5, une mesure simple des changements dans les bénéfices pour la santé mentale; et participé à une initiative visant à créer une trousse d’outils pratique pour guider les discussions sur le bien-être dans les services d’emploi et d’orientation professionnelle.

Conscients de l’intérêt suscité par le sujet, nous offrons ci-dessous des possibilités de faire progresser une pratique de développement de carrière axée sur la santé mentale. Comme nous le décrivons dans notre livre, votre travail a déjà une influence sur la santé mentale de vos clients, alors pourquoi ne pas le faire de manière intentionnelle? L’intervention en développement de carrière a des répercussions sur la vie (obtention d’un emploi), les capacités (compétences en gestion de carrière), la perception de soi (auto-efficacité), la perception des occasions (voir des possibilités de travail intéressantes) et les occasions (ouvrir la porte à l’apprentissage informel); tous ces effets sont associés directement ou indirectement aux bénéfices pour la santé mentale.

« Votre travail a déjà une influence sur la santé mentale de vos clients, alors pourquoi ne pas le faire de manière intentionnelle? »

C’est ici que tout commence. C’est à vous de maintenir l’intérêt pour la divulgation et la communication des bénéfices pour la santé mentale obtenus grâce aux services de développement de carrière. N’attendez pas que le gouvernement, les établissements d’enseignement ou les organisations caritatives prennent l’initiative. Vous et vos clients êtes les témoins directs de l’amélioration du bien-être. Vous êtes aussi ceux qui ont le plus à gagner de l’appréciation par les parties prenantes de votre rôle dans ces résultats plus larges.

Les professionnels du développement de carrière servent d’intermédiaire. Malgré une nette amélioration de la compréhension par la société de la maladie mentale et de la santé mentale, la recherche d’aide reste très stigmatisée. Un Canadien sur cinq éprouve des problèmes de santé mentale au cours d’une année donnée, et à l’âge de 40 ans, la moitié a souffert d’une maladie mentale (Smetanin et al., 2015).

Le travail des professionnels du développement de carrière a un effet positif sur la santé mentale, et ces professionnels peuvent facilement servir d’intermédiaire pour les gens qui ont besoin de services de soutien en santé mentale. Les chômeurs vivent beaucoup de stress et éprouvent des problèmes de santé mentale causés par ce stress. Ils sont cependant plus susceptibles de rencontrer un intervenant en développement de carrière qu’un spécialiste en santé mentale, et ce, pour plusieurs raisons : leurs besoins en matière de nourriture et de logement prennent le pas sur leur bien-être, l’attente pour des services en santé mentale est extrêmement longue et la stigmatisation demeure bien réelle. Notre impact est amplifié lorsque nous :

  1. Comprenons le lien entre la santé mentale et le développement de carrière, et l’enseignons à nos clients;
  2. Sommes connectés et pouvons consulter un réseau de professionnels en santé mentale.

Mesurer est important. De façon générale, le travail en développement de carrière est mesuré et considéré comme réussi lorsqu’il y a un résultat clair lié à la carrière (le client commence un nouvel emploi ou un programme d’études). Les améliorations de la santé mentale des clients apparaissent tôt dans nos interventions et nous servent à mesurer et à communiquer l’importance de notre rôle.

Bien que la plupart d’entre nous ne considèrent pas la mesure comme un élément central de notre rôle, les améliorations au niveau de l’« espoir » ou du « sens » (bénéfices définitionnels pour la santé mentale) sont évidentes pour les clients et mesurables rapidement au moyen d’un rapport verbal ou d’un bref questionnaire. Notre travail relatif à l’outil MHO-5, mentionné ci-dessus, suggère qu’il est facile de mesurer, que les clients trouvent cette pratique pertinente, et qu’elle rehausse et soutient l’intervention en matière de développement de carrière.

Communiquer les mesures est important. Nous vous demandons de communiquer l’impact du développement de carrière sur la santé mentale de manières qui touchent vos collègues, vos clients, vos administrateurs, vos organismes subventionnaires et vos voisins. Vous avez toujours su que votre travail favorisait la santé mentale; les personnes qui vous entourent ne le savent probablement pas.

Commencez par les personnes en qui vous avez le plus confiance. Faites-leur part des changements en matière de santé mentale que vous avez constatés et mesurés. Écoutez leurs réponses et découvrez s’ils vous entendent vraiment. Peaufinez votre approche jusqu’à ce que vous sachiez que votre message est entendu. Élargissez vos efforts à des publics plus larges. Puis, répétez! Il est facile d’inclure la santé mentale dans presque toutes les discussions sur le développement de carrière. Nous vous invitons et vous encourageons à le faire.

Le traumatisme est un problème de santé mentale. Les blessures traumatiques peuvent nuire à une intervention en développement de carrière à de nombreux niveaux : accès, admission, engagement et même résultats. Travailler dans les limites de ses compétences : les professionnels du développement de carrière ne sont pas des spécialistes en santé mentale ou en traumatismes. Ils ont cependant intérêt à avoir une certaine connaissance des traumatismes et de leur impact. Ainsi, ils pourront utiliser leurs compétences pour assurer la sécurité, composer avec la question de la divulgation et recommander aux clients des services et des ressources en santé mentale.

Vous savez que votre travail contribue grandement à la santé mentale. Nous vous invitons à renforcer, à mesurer et à communiquer intentionnellement cette contribution. Ainsi, vous vous remonterez le moral, vous aiderez vos clients et vous améliorerez votre pratique, à tout le moins. Il est également possible que cela suscite des échanges continus et publics sur la valeur des services de développement de carrière.

Conseiller d’orientation, Michael Huston se spécialise en développement de carrière et plus particulièrement en formation de conseillers d’orientation, stratégies et résultats en matière d’interventions de carrière, développement de carrière comme intervention en santé mentale, et travail et bien-être.

En 35 ans de travail dans le domaine du développement de carrière, Dave Redekopp a eu le privilège d’enseigner, de créer et de mettre en œuvre des programmes, de développer des produits, de faire de la recherche et de donner des conseils sur presque tous les aspects du développement de carrière.

Smetanin, P., Briante, C., Khan, M., Stiff, D., & Ahmad, S. (2015). The life and economic impact of major mental illnesses in Canada: 2011-2041. Prepared for the Mental Health Commission of Canada. Toronto: RiskAnalytica.

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Notre avenir est mondial

Mettre à profit les objectifs de développement durable des Nations Unies dans les pratiques de développement de carrière

Candy Ho

author headshotMalgré tous nos efforts, le développement de carrière reste un domaine sous-estimé que le grand public connaît peu. Nous avons une occasion en or d’aider les gens à se rendre compte de l’impact et de la valeur des intervenants en développement de carrière pour l’enrichissement des vies et des collectivités.

Voici un exemple : en 2021, le Conseil de l’information sur le marché du travail et le Centre des Compétences futures révélaient que seulement 19 % des Canadiens âgés de 25 à 64 ans ont eu recours à des services d’orientation professionnelle au cours des cinq dernières années. Ce pourcentage est nettement inférieur à celui des autres pays de l’OCDE. Cela étant dit, 95 % des personnes qui ont eu recours à des services d’orientation professionnelle ont déclaré que leur expérience avait entraîné des changements positifs.

Du côté des employeurs, selon le sondage du CERIC auprès des entreprises, seulement 12 % des cadres interrogés avaient travaillé avec des professionnels du développement de carrière, tandis que 45 % ont déclaré ne pas connaître ces professionnels avant le sondage. Pourtant, 73 % des cadres estiment que les employeurs ont la responsabilité d’offrir des programmes de gestion de carrière, citant des besoins en matière de formation des employés, de perfectionnement et d’établissement d’objectifs de carrière.

Ces sondages montrent que le développement de carrière est en quelque sorte un superpouvoir « secret »; c’est seulement lorsqu’il est découvert que son potentiel est libéré. Il nous incombe à tous de faire en sorte que ce superpouvoir devienne le secret le moins bien gardé, afin que le développement de carrière soit intégré au tissu même de la vie.

Il faut absolument engager un plus grand nombre de personnes dans le développement de carrière en cette période de grands bouleversements. Celle-ci est difficile à vivre pour beaucoup de gens qui se sentent anxieux et dépassés par les événements. En même temps, les chercheurs d’emploi et les intervenants en perfectionnement professionnel cherchent à donner un sens à leur vie et à contribuer à améliorer la société.

sdgs.un.org/fr/goals

Un cadre qu’il est possible d’appliquer au développement de carrière pour aider les gens à trouver un sens est celui des objectifs de développement durable des Nations Unies. Les objectifs de développement durable des Nations Unies sont « un appel urgent à l’action de tous les pays… ils reconnaissent que l’élimination de la pauvreté et des autres privations doit aller de pair avec des stratégies pour améliorer la santé et l’éducation, réduire les inégalités et stimuler la croissance économique, tout en s’attaquant aux changements climatiques et en œuvrant à la préservation de nos océans et de nos forêts » (https://sdgs.un.org/fr/goals).

Les 17 objectifs de développement durable, adoptés en 2015 par les 193 États membres de l’ONU, dont le Canada, sont interreliés. À noter : l’objectif 17, appelé « partenariats pour la réalisation des objectifs », qui souligne l’idée que chacun joue un rôle dans la réalisation des 16 autres objectifs, y compris les professionnels du développement de carrière. Je suis persuadée que notre secteur d’activité a la capacité unique de servir d’intermédiaire entre les objectifs de développement durable et le développement de carrière des personnes.

Les objectifs de développement durable fournissent un cadre pour repérer les possibilités de carrière qui sont axées sur des défis. Cela peut aider les gens à trouver une direction et un but à leur travail. Au lieu de demander aux clients de choisir d’abord les emplois auxquels ils souhaitent postuler, demandons-leur de commencer par réfléchir à un problème local ou mondial qu’ils souhaitent contribuer à résoudre. C’est ce que je fais dans le cadre de mon cours d’apprentissage fondamental sur la carrière pour étudiants en dernière année. Les étudiants « nomment leur défi » en déterminant un ou plusieurs objectifs de développement durable qu’ils pourraient s’imaginer contribuer à faire progresser. Tout au long du semestre, ils apprennent à mettre leurs connaissances, leurs compétences et leurs talents au service des rôles professionnels auxquels ils aspirent.

Les objectifs de développement durable permettent aussi aux professionnels du développement de carrière de comprendre la valeur de notre travail d’une manière nouvelle et plus large. Mes nouveaux étudiants ont souvent des objectifs professionnels étroits (« Je veux étudier le droit et gravir les échelons pour devenir associé dans un cabinet d’avocats »). Intégrer les objectifs de développement durable au cours a permis d’étendre leurs possibilités de carrière. Les étudiants réfléchissent maintenant tout d’abord à la manière dont ils veulent faire une différence à l’échelle locale ou mondiale, comme réduire les inégalités ou favoriser l’eau potable et les installations d’assainissement. Ils réfléchissent à la raison pour laquelle ils ressentent le besoin de faire une telle différence avant de déterminer les rôles professionnels possibles qui leur permettraient d’agir pour faire avancer ces objectifs; en reliant la tête au cœur, pour ainsi dire. Mettre l’accent sur le but plutôt que sur l’occupation reconnaît notre travail de professionnels du développement de carrière qui consiste à aider les clients à réfléchir à ce qui donne un sens à leur vie et à ce qui compte vraiment pour eux.

Au fond, notre travail en développement de carrière consiste à réfléchir, à explorer et à développer en permanence les qualités, les expériences et les compétences de chacun, et à imaginer la manière de faire compter ces éléments dans nos rôles de la vie quotidienne. L’utilisation de cadres mondiaux tels que les objectifs de développement durable peut aider chacun à comprendre le développement de carrière de manière plus tangible. Cela rend le développement de carrière plus accessible et permet de mieux réaliser l’impact et la valeur de notre travail.

Candy Ho, Ph. D. est présidente du conseil d’administration du CERIC. Elle est la première professeure adjointe du programme d’apprentissage fondamental et de planification intégrée de carrière de l’Université Fraser Valley en Colombie-Britannique, au Canada. En outre, elle a été nommée pour un an au poste de responsable universitaire des objectifs de développement durable à l’Université polytechnique Kwantlen.

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Amélioration des parcours de formation pour l’avenir

Quatre manières de changer les systèmes de développement des compétences au Canada

Karen Myers et Malika Asthana

Author headshotsAu Canada, les systèmes de développement des compétences ont somme toute peu évolués puisqu’ils reposent encore sur le principe que notre éducation de base nous permettra de réussir notre vie professionnelle. Il s’agit d’une manière linéaire d’envisager le parcours personnel et professionnel : Éducation, rémunération, retraite. Cette façon de penser ne correspond pas à la réalité des travailleurs qui peuvent quitter le marché du travail et y revenir plus d’une fois en raison de leurs responsabilités familiales, ou qui doivent se perfectionner ou se requalifier en raison de mises à pied dans un secteur donné, des changements technologiques ou de la transition vers la carboneutralité.

Les données les plus récentes montrent que l’amélioration des compétences des adultes qui travaillent est bénéfique, mais limitée. Une récente étude de Statistique Canada a révélé qu’une petite partie des travailleurs ayant récemment perdu leur emploi s’inscrivent à des cours ou à des formations. Cette étude révèle aussi que ceux et celles qui suivent des formations qui permettent d’obtenir des crédits (certificat ou diplôme d’une école professionnelle ou d’un cégep) après une perte d’emploi ont enregistré des augmentations des gains annuels nettement plus importantes comparativement aux personnes qui ne s’étaient pas inscrites à des formations.

Il est clair que nous devons en faire plus pour informer les adultes qui travaillent des possibilités d’amélioration des compétences. Inspiré par le travail de l’experte en compétences Michelle R. Weise, nous présentons quatre manières de changer les systèmes de développement des compétences au Canada :

  • Un meilleur alignement : De nombreux adultes qui travaillent ne savent pas dans quelle mesure leurs compétences et leurs centres d’intérêt correspondent aux métiers les plus recherchés ni quelles nouvelles compétences ils pourraient devoir acquérir. Nous devons fournir aux adultes qui travaillent l’information et le soutien dont ils ont besoin pour prendre en charge leur parcours professionnel.
  • Davantage d’aide financière et de mesures d’accompagnement : Il est temps de concevoir des programmes adaptés aux besoins et à la situation des adultes qui travaillent. Il faut comprendre comment ils apprennent le mieux, leurs principales motivations et l’aide dont ils ont réellement besoin (conseils en santé mentale, subventions au transport, services de garde pour leurs enfants).
  • Une formation ciblée : Les gens ont du mal à trouver ce dont ils ont besoin sur le marché actuel de la formation. Nous devons investir dans la création d’un marché organisé de formations accessibles, ciblées et de qualité. Et comme les formations donnant droit à des crédits continuent d’inonder le marché les apprenants ont besoin d’aide pour comparer les programmes en ce qui a trait aux coûts, au temps nécessaire pour les réussir, à la méthode d’apprentissage et aux compétences acquises, afin de s’assurer qu’ils optimisent leur retour sur investissement.
  • Intégration du travail et de l’apprentissage : Attendre que les travailleurs soient mis à pied pour les aider à se perfectionner est inefficace et préjudiciable. Les employeurs doivent considérer le développement des talents comme une exigence opérationnelle et veiller à ce que les employés disposent du temps et des ressources nécessaires pour apprendre tout en étant rémunérés.
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Pour réussir, nous aurons besoin de services d’orientation professionnelle de grande qualité et offerts par des professionnels du développement de carrière compétents qui pourront aider les adultes qui travaillent à établir leur parcours professionnel et d’apprentissage.

La bonne nouvelle est que nous voyons déjà des germes d’innovation :

Par exemple, Blueprint – avec du financement du Centre des Compétences futures – collabore avec la Fondation canadienne pour le développement de carrière et MixtMode pour créer et mettre à l’essai sur le terrain un modèle de prestation de formations qui sert à la fois les employeurs et les individus, quel que soit leur statut d’emploi. Ce modèle vise à garantir que les employeurs ont les gens de talent dont ils ont besoin et que les travailleurs disposent des outils et des ressources qui leur permettent de prendre activement en charge le développement de leur carrière.

Des innovations passionnantes qui présentent les options de formation directement aux employeurs et à leurs employés dans une interface transparente ont aussi vu le jour. Par exemple, D2L a créé une plateforme de formation continue, D2L Wave pour assurer aux employés que la formation qu’ils suivent sera reconnue par leurs employeurs et qu’elle aura des effets positifs sur leur développement de leur carrière. D2L collabore avec les employeurs pour élaborer un catalogue de cours menant à des crédits qui répondent aux besoins des entreprises. Les employés peuvent s’inscrire à ces formations données par des établissements d’enseignement postsecondaire et d’autres fournisseurs dans des domaines tels que la stratégie, les finances, les ressources humaines et le marketing, en utilisant les prestations de formation fournies par l’employeur.

Ces innovations sont un pas dans la bonne direction, mais il reste encore beaucoup à apprendre. Nous avons besoin de plus de données de meilleure qualité pour nous aider à retracer les parcours d’apprentissage des personnes et à cerner les lacunes afin de déterminer comment nous pouvons miser sur ce qui fonctionne ou nous détourner de ce qui ne fonctionne pas.

Le moment est venu d’engager un débat politique plus large sur la manière dont nous pouvons améliorer l’accès aux possibilités d’amélioration des compétences et faire en sorte que les adultes qui travaillent soient réellement préparés à l’avenir du travail.

Karen Myers est la présidente et cheffe de la direction de Blueprint. Karen tire parti de ses quelque 20 ans d’expérience pour diriger un organisme sans but lucratif dont la mission est d’utiliser des données et des faits pour améliorer le bien-être social et économique des Canadiens. Elle s’est forgé une solide réputation à titre de gestionnaire de projets complexes et de grande envergure dans un ensemble de domaines liés à l’élaboration de politiques, notamment l’emploi et la formation, la réduction de la pauvreté et la sécurité du revenu.

Malika Asthana est directrice chez D2L, une société internationale d’innovation en matière d’apprentissage. Elle mise sur son expérience en stratégie, en affaires publiques et en recherche sur les politiques pour faciliter les conversations et partager les points de vue sur l’avenir de l’éducation et du travail.

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fountain pen on notebookCareering

Mot de l’éditrice

Author headshotRappelez-vous l’année 2013. Stephen Harper était premier ministre et Rob Ford, maire de Toronto. Une tragédie ferroviaire s’est produite à Lac-Mégantic et l’Alberta a été frappée par une inondation catastrophique. La duchesse de Cambridge et le prince William ont accueilli leur premier enfant, alors que les journalistes avaient surnommé les dernières étapes de sa grossesse la Great Kate Wait. Le yogourt glacé ou froyo faisait fureur.

Cette année-là a été mémorable pour le CERIC (et pour le secteur du développement de carrière dans son ensemble) pour une tout autre raison : le lancement du magazine Careering. En 2013, cette publication imprimée et en ligne a remplacé le bulletin OrientAction, une publication trimestrielle de ressources et d’idées en développement de carrière. Le passage d’un bulletin à un magazine professionnel « imprimé sur papier glacé » reflétait l’évolution constante de notre domaine.

Au cours de la décennie qui a suivi, des milliers de personnes au Canada et ailleurs ont lu le magazine Careering. Grâce à la contribution de nombreux rédacteurs, nous avons abordé des thèmes tels que « la santé mentale et l’emploi », « les perspectives culturelles sur la carrière et le travail », « les états d’esprit en matière de carrière », et bien d’autres encore. Nous avons exploré chacun des principes directeurs du développement de carrière du CERIC, fait part des expériences de nos clients dans la gestion de leur carrière et mené des entrevues auprès de personnalités telles que l’ancien sénateur Murray Sinclair, l’astronaute David Saint-Jacques et Zabeen Hirji, leader d’opinion sur l’avenir du travail.

Nous sommes redevables à nos lecteurs et à nos rédacteurs. Le magazine Careering a toujours été produit par les membres de la communauté du développement de carrière et destiné à cette communauté : sa réalisation n’aurait pas été possible sans vous.

Alors que nous célébrons cette étape importante, nous savons que les façons de prendre connaissance de l’information et de la consommer sont en pleine évolution. La publication numérique a permis l’accès à un public plus large et a facilité la transmission des connaissances au-delà des frontières physiques.

Comme ce fut le cas pour beaucoup de choses, la pandémie a perturbé le modèle de publication du magazine Careering. Les lecteurs n’étaient plus dans les bureaux pour recevoir l’édition imprimée qui paraît trois fois par année. Les priorités des annonceurs avaient changé.

Après deux ans à faire paraître Careering exclusivement en ligne, parallèlement à nos sites populaires CareerWise et OrientAction, nous reconnaissons que nous devons poursuivre notre évolution pour répondre aux besoins d’apprentissage des professionnels de la carrière. Dans notre sondage 2022 sur le contenu et l’apprentissage auprès des professionnels en développement de carrière, les répondants ont également exprimé qu’ils désiraient du changement.

C’est donc avec des sentiments de nostalgie, de gratitude et d’excitation que le CERIC a décidé de tourner la page sur ce chapitre de Careering. Le numéro de l’hiver 2023 sera le dernier du magazine dans sa forme actuelle.

Nous avons hâte de vous faire connaître les détails de nos plans pour cette publication dans la prochaine année. Rassurez-vous : nous avons compris que les lecteurs recherchent toujours des contenus thématiques et plus longs, en plus de capsules d’apprentissage. Nous étudions attentivement cette rétroaction alors que nous poursuivons notre réflexion relative à la meilleure façon de répondre à vos besoins.

Pour ce numéro qui marque le 10e anniversaire du magazine et qui a pour thème la rétrospective et les prévisions, nous renouons avec de nombreux anciens collaborateurs pour réfléchir au passé et à l’avenir de notre secteur d’activité. Dans le cadre de notre entrevue en 10 questions, nous nous sommes entretenus avec le directeur général sortant du CERIC, Riz Ibrahim, sans qui Careering n’aurait pas existé.

Merci de nous avoir accompagnés dans notre parcours, alors que, ensemble, nous travaillons pour promouvoir le développement de carrière au Canada. Le chemin à parcourir sera sinueux et nécessitera un apprentissage continu, mais nous sommes enthousiasmés par les possibilités qui nous attendent. Nous espérons que vous vous joindrez à nous pour la prochaine étape de cette aventure.

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Automne 2022

La prise de décision de carrière en trois dimensions

Examiner le rôle des dimensions rationnelle, intuitive et émotionnelle dans la prise de décision concernant la carrière

Hélène Brisebois 

Photo de l'auteurLe processus de prise de décision de carrière est complexe. Après tout, il s’agit pour une personne de choisir une carrière qui va occuper une importante partie de sa vie. Si certains individus se fient surtout à leur rationalité, d’autres se laissent d’abord inspirer par leur intuition, tandis que d’autres encore se basent d’abord sur leurs émotions.

De nombreux chercheurs s’entendent en effet pour dire qu’il est important de tenir compte de la dimension rationnelle et consciente, de la dimension intuitive et inconsciente, ainsi que des émotions lors de la prise de décision de carrière (Baumgardner, 1977 ; Cournoyer et Lachance, 2018 ; Falardeau, 2007 ; Gelatt, 1989 ; Krieshok, 1998 ; Krieshok et al., 2009 ; Krieshok et al., 2011 ; Lecomte et Savard, 2008, 2009 ; Motl et al., 2018).

Le présent article concerne donc la combinaison de ces trois dimensions dans la prise de décision de carrière.

La dimension rationnelle et consciente

Lorsqu’il est question d’effectuer une prise de décision, plusieurs personnes se reconnaîtront dans l’emploi d’une méthode rationnelle et analytique. De nombreux aspects sont d’ailleurs à prendre en considération lorsque l’on se projette à long terme : « Est-ce que les revenus qui découleront de mon choix de carrière seront suffisants pour la vie à laquelle j’aspire? Qu’en est-il de la stabilité d’emploi? Quels sont les prérequis me permettant de m’engager dans cette direction? Combien de temps d’études cela requiert-il? Quels en seront les coûts? Quels sont les risques d’abandon de parcours étant donné ma réalité? ».

Une méthode rationnelle, logique et concrète de prise de décision de carrière amène ainsi la personne à dresser une correspondance entre ses caractéristiques personnelles et celles de la carrière. Cela peut se faire à l’aide de la communication verbale, du travail d’analyse rationnelle et des tests psychométriques (Krieshok, 1998 ; Krieshok et al., 2009 ; Krieshok et al., 2011 ; Motl et al., 2018). Toutefois, cette méthode ne tient pas compte des émotions et de la dimension intuitive.

Dimension intuitive et inconsciente

L’intuition et l’inconscient échappent à la conscience et au rationnel. Une prise de décision basée sur la dimension intuitive et inconsciente invite la personne à choisir une carrière significative qui mène à la réalisation de soi. Par ailleurs, le concept de flow (Collin et al., 2022) peut s’intégrer à cette dimension. Bref, l’intuition faciliterait la prise de décision, ce que soulignent plusieurs auteurs (Cournoyer et Lachance, 2018 ; Krieshok, 1998 ; Krieshok et al., 2009 ; Krieshok et al., 2011 ; Motl et al., 2018).

« Une prise de décision basée sur la dimension intuitive et inconsciente invite la personne à choisir une carrière significative qui mène à la réalisation de soi. »

Dans ce contexte, on peut se demander comment entrer en contact avec l’intuition et l’inconscient. Pour ce faire, Motl et al. (2018) suggèrent «  l’écriture dans un journal personnel, l’imagerie guidée et le counseling  » (p. 618).

Les émotions

Il est à noter que les émotions, qui contribuent également à la prise de décision, font partie de la dimension intuitive et inconsciente pour plusieurs auteurs. Selon Falardeau (2007), Prévost (2021) et Young et al. (2015), le contact avec les émotions faciliterait le processus de prise de décision.

Par exemple, plus l’émotion est intense, plus l’objet de cette émotion aurait de l’importance pour la personne, ce qui mettrait en lumière les éléments dont il faut tenir compte dans la prise de décision (Prévost, 2021). Les émotions positives favoriseraient la mobilisation et la compréhension des émotions faciliterait le processus de choix de carrière (Prévost, 2021).

Comment faciliter le contact avec les émotions dans ce cadre? Prévost (2021) suggère, entre autres, un travail d’exploration et de compréhension des émotions.

Interventions combinant les trois dimensions

En somme, la rationalité, l’intuition et les émotions sont trois dimensions pouvant de concert servir à faciliter la prise de décision de carrière. Toutefois, la question que ceci soulève est la suivante : comment intervenir afin de favoriser la combinaison de ces trois dimensions dans ce contexte? Selon mon étude, l’acte de création artistique et l’art-thérapie pourraient ouvrir une voie permettant de mettre ces trois dimensions en jeu (Brisebois, 2021). Il est cependant important de souligner que l’art-thérapie est une pratique particulière aux art-thérapeutes.

En ce qui concerne les approches permettant d’inclure ces trois dimensions dans le processus de prise de décision de carrière, j’aimerais aussi mentionner le modèle PIC (Prescreening, In-depth exploration et Choice) de Gati et Asher (2001), car celui-ci tient compte des méthodes rationnelles et intuitives de prise de décision (Gati et Kulcsar, 2021).

Une autre façon d’utiliser ces trois dimensions pour faciliter la prise de décision est de recourir à des activités qui permettent l’exploration de carrière et l’expérience de la prise de décision de carrière. C’est ce que suggèrent Krieshok et al. (2009) dans leur modèle trilatéral de prise de décision de carrière combinant le conscient, l’inconscient et l’engagement. Dans ce modèle, le système inconscient comprend l’intuition et les émotions, alors que l’engagement, qui relève de l’expérience de la prise de décision de carrière, comprend l’exploration de carrière et l’enrichissement.

Le bénévolat, le mentorat, les rencontres d’information et les expériences de travail sont aussi des expériences qui faciliteraient l’accès à l’engagement et, ainsi, à la prise de décision de carrière.

Conclusion

Bref, le rationnel permettrait de dresser une correspondance entre ses caractéristiques personnelles et celles de la carrière tout en tenant compte de sa réalité, l’intuition donnerait une direction vers la réalisation de soi et les émotions permettraient, entre autres, de mettre en lumière ce qui est important pour soi. En somme, les meilleures décisions sont prises lorsque l’on prend en considération ces trois parties de soi : le rationnel, l’intuition et les émotions.

Hélène Brisebois est conseillère d’orientation. Elle est titulaire d’une maîtrise en orientation de l’Université de Sherbrooke et d’un baccalauréat en psychologie de l’Université Concordia. Elle a plusieurs années d’expérience en tant qu’aide pédagogique au collégial et conseillère en emploi. De plus, elle a rédigé plusieurs articles professionnels en orientation et un mémoire qui traite de l’art-thérapie en orientation.

Sources supplémentaires

Lecomte, C. et Savard, R. (2008). Counseling de carrière : enjeu d’orientation et d’insertion professionnelle. [Recueil inédit]. Université de Sherbrooke, Faculté d’éducation.

Lecomte, C. et Savard, R. (2009). Counseling de carrière avec ses enjeux d’orientation, de réorientation, d’insertion, de réinsertion, d’adaptation et de réadaptation. [Recueil inédit]. Université de Sherbrooke, Faculté d’éducation.

EN SAVOIR PLUS
Young female volunteer with tablet squats in front of woman with sonAutomne 2022

La reconnaissance des acquis et des compétences (RAC) : une voie d’avenir dans le Québec post-pandémique

La RAC offrent des avantages aux individus, aux employeurs et aux établissements d’enseignement en cette période de perturbations du marché du travail

Emilie Côté

Photo de l'auteureLa pandémie de Covid-19 qui sévit depuis les deux dernières années a apporté son lot de bouleversements sur le marché du travail : fermetures temporaires, faillites d’entreprises, télétravail forcé, etc. Ceux-ci ont amené plusieurs personnes à repenser leur orientation professionnelle. En effet, une enquête réalisée au Canada en juin 2022 montre que 33 % des personnes sondées sont nouvellement en poste et 14 % songent à faire un changement d’emploi (même domaine ou non) au cours des 6 prochains mois.

De plus, la pénurie de main-d’œuvre qualifiée est considérée par 75 % des employeurs comme étant un défi et 78 % des entreprises sont plus susceptibles d’engager une personne possédant les bonnes compétences générales et lui offrir de la formation spécifique aux tâches à accomplir.

Toutes les compétences que ces travailleurs vont acquérir en milieu de travail ont une valeur. C’est là que la reconnaissance des acquis et des compétences (RAC) entre en jeu.

La reconnaissance des acquis et des compétences

Offerte dans tous les ordres d’enseignement, la RAC permet de faire reconnaître officiellement les apprentissages extrascolaires et expérientiels (emploi, bénévolat, formation non reconnue par le ministère, etc.) en fonction d’un programme d’études.

La RAC s’appuie sur trois principes :

  • Une personne a droit à la reconnaissance sociale de ses acquis; en contrepartie, il lui incombe de fournir la preuve de ses acquis.
  • Une personne n’a pas à réapprendre ce qu’elle sait déjà; ce qui importe dans la reconnaissance des acquis, c’est ce qu’une personne a appris et non les lieux, circonstances ou méthodes d’apprentissage.
  • Tout système de reconnaissance des acquis doit viser la transparence.

La démarche est personnalisée; les expériences et les connaissances sont questionnées pour constituer un bilan ou chaque compétence est marquée à évaluer ou à acquérir (en partie ou en entier). Par la suite, le candidat peut se contenter de ce bilan ou choisir de nous démontrer ses compétences (évaluation) et/ou d’acquérir ce qu’il manque pour être prêt à l’évaluation. Il n’y a pas d’obligation à rejoindre un groupe de formation initiale, ce qui rend le processus flexible et accessible. Différentes options d’acquisition de ces compétences sont proposées aux candidats (ex. autoapprentissage, formation sur mesure de soir ou fin de semaine, lectures, vidéos, pairage avec un travailleur formé, etc.).

En formation professionnelle, détenir les préalables scolaires n’est pas un critère d’admissibilité en RAC, tous peuvent avoir accès au service, tant qu’ils possèdent une expérience pertinente.

Depuis peu, via l’éducation des adultes, il est possible de faire de la reconnaissance des acquis dans les métiers semi-spécialisés (RAC-FMS). Un métier semi-spécialisé est un travail manuel dont les tâches concrètes, répétitives et peu complexes sont effectuées pour le compte d’un employeur. Son apprentissage se fait dans un lieu de travail. (ex. commis fruits et légumes, manutentionnaire, caissière, etc.) Ces métiers reconnus, par le ministère de l’Éducation du Québec, sont présents dans presque tous les domaines et permettent l’émission d’un certificat de formation en métier semi-spécialisé, suite à des observations en milieu de travail et de la formation (s’il y a lieu). Les possibilités de reconnaissance et de certification sont donc multipliées.

L’attestation remise à la fin du processus (relevé des apprentissages, diplôme, etc.) a la même valeur que celle émise après une formation initiale, puisque chacune des compétences est évaluée de manière rigoureuse. Contrairement à ce qui est parfois perçu, un diplôme obtenu via la RAC n’est pas un diplôme à rabais.

Finalement, les coûts de la reconnaissance des acquis sont nettement moindres que ceux reliés à une formation initiale. En effet, en formation professionnelle et à l’éducation des adultes, la démarche est gratuite, pour les autres ordres d’enseignement, des frais peuvent s’appliquer.

Avantages

Pour le travailleur

En plus de la fierté ressentie par une reconnaissance de ses compétences et de l’officialisation de ses connaissances, la démarche permet d’accroître ses qualifications, ce qui donne accès à une plus grande mobilité professionnelle, interne ou externe.

Pour l’employeur

Investir dans ses employés actuels est une marque de reconnaissance importante qui peut faire la différence lorsqu’on parle d’attractivité et de rétention du personnel. Considérant que 42 % des employés sont en manque de reconnaissance, que le taux de roulement est 33 % moins élevé que la moyenne chez les entreprises qui ont reçu le titre Employeur de choix, et que l’évaluation du coût de remplacement d’un employé varie entre 50 % et 200 % du salaire annuel de l’employé, participer activement aux démarches RAC peut être un atout important pour l’employeur.

De plus, une démarche RAC permet à l’employeur d’obtenir un portrait des compétences présentes dans son entreprise, de s’assurer du niveau de maîtrise de ces compétences et d’élaborer un plan de formation pour son équipe.

Pour la société

Les avantages peuvent même s’extrapoler jusqu’à la société entière. Pour plusieurs, le diplôme obtenu via la RAC est une première réussite en lien avec le milieu scolaire, ce qui permet de renouer avec ce système où ils peuvent avoir vécu de mauvaises expériences. La RAC peut contribuer à une augmentation de l’estime de soi chez les individus, de laquelle peut découler une amélioration de la santé mentale et physique, donc moins de coûts pour la société. Du même coup, la RAC permet d’augmenter le niveau de qualification et de certification de la population, donc une amélioration potentielle de la qualité de vie des individus et leur famille.

La RAC comme voie d’avenir

Avec sa grande flexibilité, la démarche RAC est conciliable avec un emploi. Dans la réalité du marché du travail actuel et l’augmentation du coût de la vie, les employeurs, comme les travailleurs, ne peuvent pas toujours se permettre un retour aux études à temps complet.

La pénurie de main-d’œuvre doit être vue comme une occasion de changer les pratiques des entreprises et de les améliorer. Le marché du travail pourrait bénéficier d’une association plus grande avec le milieu scolaire que ce soit via les services aux entreprises et leurs formations sur mesure ou via la reconnaissance des acquis et des compétences.

De leur côté, les milieux scolaires de tout ordre auraient avantage à investir dans leur service de reconnaissance des acquis et des compétences pour promouvoir cette offre de service méconnue de la population générale et se préparer à l’affluence de nouvelles demandes en ce sens.   

Emilie Côté est conseillère d’orientation. Elle occupe présentement un poste de conseillère pédagogique en reconnaissance des acquis en formation professionnelle et à l’éducation des adultes au Centre de services scolaire des Hauts-Cantons. Elle croit que l’intelligence n’est pas mesurée en résultats scolaires et que l’école n’est qu’un moyen parmi tant d’autres pour faire des apprentissages.

EN SAVOIR PLUS
Tangle and untangle concept.Automne 2022

Comment mieux se réoriente dans un monde socio-économique en grande mutation?

La redéfinition de grandes lignes directrices (GLD) aiderait à identifier de manière plus intensive les motivations intrinsèques des demandeur d’emploi

Danielle Riverin-Simard et Yanik Simard

Author headshotsConstruire une nouvelle normalité de vie au travail et, surtout, revisiter son orientation professionnelle s’avèrent des conditions centrales de développement de carrière en cette période de grands bouleversements mondiaux. Depuis 2020, cette situation fait dire à plusieurs experts que les personnes sont notamment soumises à des chocs. Il s’agit d’événements perturbateurs causés par des facteurs hors de leur contrôle et qui déclenchent des processus de réflexion visant à donner un sens à ces événements. Ces processus sont complexes. Ils provoquent des remises en question dans diverses sphères de vie. Les recherches identifient différents types de chocs, mais il y a une rareté sur la manière de négocier les processus mis en branle. Comment mieux proagir au regard de sa réorientation de carrière?

Un processus efficace serait de se préoccuper de l’ensemble des sphères d’activités, et ensuite, accorder une attention plus adéquate à cette réorientation. Les services de développement de carrière (SDC) peuvent considérablement assister la personne à procéder à une remise en question touchant divers domaines. La redéfinition de grandes lignes directrices (GLD) aiderait à identifier de manière plus intensive ses motivations intrinsèques. Son développement de carrière serait d’autant plus proactif, et ce, autant lors des périodes actives ou des retours sporadiques durant la retraite. Les GLD font référence à la façon dont les gens voient et abordent leur existence et y donnent un sens. Cette façon s’avère une force motrice essentielle à leurs choix et comportements d’autogestion dans les différentes sphères d’activités. Ces dernières intègrent notamment cinq dimensions qui se restructurent selon les mutations socioéconomiques.

  1. Les GLD au regard de sa vie au travail. Elles contribuent à la reconstruction du sens de cette vie. Elles servent de phares pour éclairer la route tout au long des transitions de carrière. Dans cette optique, l’emploi devient un moyen et non pas une fin en soi. Ce moyen est important, mais il ne constitue qu’une modalité parmi d’autres susceptible de refléter son identité professionnelle et de poursuivre son évolution. Ce sont plutôt les GLD de vie au travail qui révèlent à la fois les aspirations les plus profondes de la personne et annoncent le sens ultime recherché. Elles éclairent le type de lien que celle-ci entretient avec le milieu socioéconomique. Procéder à la reconnaissance de ces lignes s’avère évidemment une tâche essentielle au développement de carrière, surtout en plein cœur de périodes de turbulences.
  2. Les GLD liées à l’apport informel à l’organisation. Pour sa part, la participation formelle correspond au rôle explicite arrêté par les institutions (tâches officielles), les ordres professionnels ou les corps de métiers (actes ou tâches réservés). Quant à l’apport informel, il se caractérise par ces triples comportements : volontaires (non prescrits dans les tâches officielles), discrétionnaires (non sujets à l’obtention de récompenses formelles), imprédictibles (constamment nouveaux au sein d’une conjugaison particulière du moment de leur apparition, de leur nature et de leur modalité). Les SDC peuvent expressément aider la personne dans le choix de cet apport informel à l’organisation. Les GLD de cet apport devraient être assez flexibles pour affronter l’inconnu, mais suffisamment délimitées pour s’avérer des GLD. L’identification de ces dernières constitue un complément essentiel à un projet professionnel.
  3. Les GLD relatives au volontariat. Ce domaine revêt diverses terminologies comme le bénévolat et la participation communautaire. Il se subdivise généralement en deux : formel ou encadré (au sein d’associations structurées) ; informel ou spontané (soin des enfants, personnes âgées, amis, voisins). Il intègre les activités productives aux sens économique et social comme tout travail-emploi, car ces dernières contribuent à l’évolution de soi et de la collectivité. Dans cette perspective, les SDC peuvent considérablement aider l’adulte à redéployer ses GLD liées au volontariat. La reconnaissance de ces dernières est une source essentielle de développement de son identité communautaire et professionnelle et, ainsi, de sa carrière.
  4. Les GLD associées au loisir engagé. Elles sont très importantes à redéfinir dans un contexte socioéconomique en grande mutation. Le loisir engagé (différemment du loisir insouciant) renvoie à des occupations choisies pour leur côté agréable. Mais la sélection de ces activités est planifiée pour harmoniser ce côté amusant avec des objectifs de développement personnel ou d’évolution de la collectivité. Ce type de loisir se distingue du volontariat. Dans ce dernier cas, les passe-temps sont retenus prioritairement pour sa connotation humanitaire (apport à autrui ou à la société) et secondairement pour le développement personnel (répondre à ses intérêts propres). C’est l’inverse dans le loisir engagé. Il comprend des occupations choisies prioritairement pour allier à la fois le côté agréable et sa croissance vocationnelle et deuxièmement pour le bien-être ou l’amélioration de la communauté. En concevant le travail dans une perspective holiste intégrant les activités, rémunérées ou non, qui visent l’évolution de soi et de la collectivité, il faut y inclure le loisir engagé. Ce dernier s’avère ainsi une composante à part entière de la progression professionnelle. Et la redéfinition des GLD qui lui sont associées s’inscrit dans les priorités de l’individu et, dès lors, des SDC.
  5. Les GLD rattachées à la dimension existentielle. Ces dernières renvoient au sens continuellement reconstruit par l’adulte concernant l’ensemble des éléments de sa vie. Elles correspondent à sa vision du monde qui évolue incessamment au fil des ans, d’où l’importance de la réviser à différents moments marqués notamment par des chocs. La conception existentielle est une toile de fond primordiale au développement de carrière. Elle est constituée de savoirs d’expérience, tacites ou explicites. Les SDC peuvent amplement proposer des interventions qui permettent, en des mots simples et énoncés par la personne elle-même, de se donner sa propre représentation des choses, de formuler ses GLD relatives à cette dimension existentielle. Ces dernières l’aideraient à mieux saisir le sens de ses activités socioprofessionnelles et à se mobiliser davantage à poursuivre son développement de carrière au sein d’événements prévisibles et impondérables.

La redéfinition de ces cinq GLD peut se faire dans l’ordre où elles sont décrites, ou selon une séquence au choix. Cependant, les SDC devraient davantage faciliter l’expression du sens débouchant sur des GLD mobilisatrices relatives à divers domaines de vie. De cette manière, la personne pourrait mieux conscientiser la signification qu’elle donne à sa carrière. Elle s’investirait de façon plus intensive pour réaliser cette dernière au sein d’événements à la fois présumables et imprédictibles. Ainsi, parmi les interventions prioritaires proposées depuis les années 2020, la redéfinition des GLD serait plus que jamais nécessaire dans le développement professionnel. Cette redéfinition semble véritablement s’avérer un des processus clés qui contribuerait à une réorientation et une autogestion de carrière réussies.

Danielle Riverin-Simard est professeur émérite à l’Université Laval. Elle a publié plusieurs ouvrages (Étapes de vie au travail ; Carrières et classes sociales ; Transitions professionnelles ; Travail et personnalité ; Rôles clés dans la révolution du travail) et plus de 150 articles dans des revues arbitrées. Elle poursuit actuellement ses recherches dans ce domaine à titre de professeure associée. (www.fse.ulaval.ca/danielle.riverin-simard).

Yanik Simard, Ph.D. (philosophie) et Ph.D (psychopédagogie), est aussi détenteur d’une Maîtrise en administration. Il a plusieurs publications dans le domaine de l’éducation, dont celles portant sur les services d’accueil, de counseling et d’accompagnement des adultes (SARCA), la reconnaissance des acquis (RAC), l’efficacité de la formation postsecondaire à distance. Il a également signé des écrits en gestion de la santé.

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Burned matches on blue backgroundAutomne 2022

Oui, vos employés sont toujours épuisés. Voici des mesures à prendre pour les aider

Les solutions pour soutenir les travailleurs en difficulté ne doivent pas se limiter aux soins de soi

Jodi Tingling

Author headshotLe moins que l’on puisse dire, c’est que les dernières années ont été stressantes. Nous avons dû composer avec de nombreux défis : travailler en période de pandémie tout en gérant de multiples responsabilités, être témoins d’enjeux de justice sociale qui continuent de nuire aux groupes défavorisés et protester contre ces enjeux, et perdre des êtres chers. L’effet psychologique de ces facteurs de stress nous a mis à l’épreuve de nombreuses façons.

Pour la plupart des entreprises, les affaires reprennent leur cours normal. Cependant, selon l’Association canadienne pour la santé mentale, une personne sur quatre au Canada a eu recours à du soutien pour des problèmes de santé mentale et son niveau de détresse est semblable à celui du début de la pandémie. Cela suggère que la pandémie pourrait avoir des effets durables sur le bien-être individuel, nécessitant un soutien continu en matière de santé mentale.

Aux employés qui sont stressés ou épuisés, les employeurs conseillent typiquement de prendre soin de leur santé mentale, de consulter, de s’occuper d’eux-mêmes et de prendre congé. Cela n’est pas suffisant. Pour se débarrasser de son stress, prendre soin de soi n’est pas assez. Il faut s’attaquer aux systèmes qui font en sorte que le stress et l’épuisement professionnel continuent de nuire à notre personnel.

Alors, en tant que leaders, comment aller au-delà des conseils superficiels pour soutenir le cheminement en santé mentale des membres de notre équipe?

Faites preuve de souplesse

Encouragez tout d’abord les membres de votre équipe à vivre de façon plus équilibrée, ou soutenez-les dans ce sens. Parmi les aspects positifs du travail pendant une pandémie, de nombreuses entreprises ont pu commencer à offrir une option de travail à domicile. Selon une étude de Statistique Canada, 90 % des personnes qui travaillaient à domicile ont déclaré être aussi productives à la maison qu’au bureau. Ainsi, les employés ont pu prouver que leur réussite ne se mesure pas au nombre d’heures passées au bureau, mais plutôt à leur capacité à accomplir leur travail. Selon une étude réalisée en juin 2022 par Tracking Happiness, le travail à domicile a également contribué à accroître de 20 % le niveau de bonheur des employés. Le retour au bureau et les longs trajets entre la maison et le travail, eux, réduisent le niveau de bonheur.

« Pour se débarrasser de son stress, prendre soin de soi n’est pas assez. »

En matière de conciliation travail-famille, la possibilité pour les employés de travailler à domicile et d’avoir un horaire flexible peut transformer leur vie et contribuer à un meilleur équilibre. Vous êtes leader de personnel? Réfléchissez aux domaines dans lesquels vous pouvez offrir ces options. Cela peut contribuer à réduire une partie du stress que vivent les employés au travail.

Soyez proactifs

Autre aspect à prendre en compte pour aider les membres de votre équipe à gérer leur stress : n’attendez pas qu’ils soient épuisés et aient besoin de prendre congé. Ceci est une approche réactive.

Pour être proactifs, les leaders de personnel doivent faire du développement professionnel afin de reconnaître les signes de stress et d’épuisement. En étant à l’écoute des besoins en évolution de vos employés et en trouvant un moyen de les satisfaire, vous leur éviterez l’épuisement professionnel et leur ferez plutôt sentir qu’on les soutient dans leur santé mentale.

Le site Web Workplace Strategies For Mental Health donne d’excellents conseils pour reconnaître les signes d’épuisement professionnel chez les membres de votre personnel. Il présente des mesures à prendre pour les leaders, y compris évaluer la charge de travail des membres de leur personnel, fixer des attentes réalistes et offrir des choix aux employés les plus performants. Le programme d’aide aux employés (PAE) de l’entreprise peut aussi offrir des options de formation aux leaders et aux employés.

Outre le développement professionnel, les leaders peuvent effectuer un contrôle hebdomadaire auprès de leurs employés, noter les changements de comportement ou d’attitude et offrir des occasions de croissance ou des projets ambitieux (si les employés expriment le besoin d’un changement) pour aider à prévenir l’épuisement professionnel. Prévoir les besoins des membres de notre équipe peut nous aider à les stimuler et à les responsabiliser, surtout dans les moments difficiles.

Team meeting at work
iStock
Créez un espace sûr

Si vous voulez que vos employés vous fassent part de ce qu’ils vivent, vous devez créer un milieu de travail sûr sur le plan psychologique. Selon le Center for Creative Leadership, les membres de l’équipe ressentent de la sécurité psychologique lorsqu’ils sont à l’aise d’être eux-mêmes, par exemple en prenant la parole, en étant en désaccord avec le statu quo et en adoptant la résolution respectueuse des conflits.

En tant que leaders de personnel, vous devez évaluer votre position relativement à la promotion d’un milieu de travail sûr sur le plan psychologique. Demandez-vous :

  • Les membres de votre équipe prennent-ils la parole lors des réunions?
  • Est-ce qu’ils s’ouvrent à vous lorsque vous prenez de leurs nouvelles ou si vous avez des interactions superficielles avec eux?
  • Avez-vous remarqué que les membres de votre équipe ont tendance à être d’accord avec tout ce que vous dites?

Une étude de McKinsey & Company a révélé que les entreprises qui investissent dans la formation au leadership constatent une augmentation de la sécurité psychologique. Les leaders qui s’engagent à continuer de développer leurs compétences en leadership – notamment dans les domaines de l’intelligence émotionnelle et de la mise en place d’un milieu inclusif – permettent la création d’un espace sûr. Ainsi, les employés peuvent s’exprimer lorsqu’ils se sentent surchargés ou stressés, ou qu’ils ont besoin d’accommodements. C’est un élément important pour prévenir l’épuisement professionnel et créer des facteurs de protection.

Des cours comme Psychological Safety: Clear Blocks to Innovation, Collaboration, and Risk-Taking d’Amy Edmondson et Authentic Management – Leading Diverse, High Performance Teams d’Anima Leadership sont d’excellents points de départ pour développer vos compétences en sécurité psychologique.

Adoptez une approche systémique

Enfin, les systèmes en place au travail qui font en sorte que les employés sont surchargés et, souvent, sous-payés, peuvent causer de l’épuisement professionnel. Songez à mettre à jour les politiques qui causent plus de tort que de bien à votre équipe. Introduction d’une politique de télétravail ou de diversité, d’équité et d’inclusion, mise à jour des régimes de rémunération ou simplement signalement des politiques qui semblent injustes : ces considérations de l’ordre des systèmes contribuent à améliorer l’expérience au quotidien des employés.

Si vous avez essayé de faire modifier les politiques, mais que vous et votre équipe devez les respecter, que pouvez-vous faire, dans les limites de votre pouvoir, pour changer les choses? Pouvez-vous, par exemple, faire preuve de souplesse en matière d’horaire de travail, de redistribution de la charge, de défense des besoins de vos employés, et d’écoute ou de recherche d’occasions de développement professionnel qui peuvent assurer leur croissance?

En tant que leader, vous pouvez aussi montrer l’exemple en prenant soin de vous. Et encouragez vos collègues à faire de même. Travailler 10 heures par jour n’est plus perçu comme une marque d’honneur, mais plutôt comme une recette pour l’épuisement professionnel. Lorsque les membres de votre équipe constatent que vous adoptez le comportement que vous souhaitez voir chez eux et que vous encouragez les autres leaders à faire de même, cela peut créer une culture axée sur le bien-être.

En résumé, les employés continuent de souffrir de stress et d’épuisement professionnel. En tant que leader, vous avez le pouvoir de changer les choses. Vous pouvez collaborer avec votre équipe pour créer un meilleur équilibre grâce aux options de travail à domicile ou à la souplesse des horaires. Adoptez aussi une approche proactive. Investissez dans votre propre développement professionnel de leader afin de reconnaître les signes de stress et d’épuisement chez les membres de votre équipe et de mettre en place des stratégies pour en minimiser les effets. La création d’un milieu professionnel sûr sur le plan psychologique est également essentielle pour que les membres de votre équipe puissent s’exprimer lorsqu’ils ont besoin d’aide ou d’accommodements au travail. Enfin, continuez à remettre en question les systèmes susceptibles de causer du tort aux membres de votre équipe, trouvez des solutions de rechange qui minimisent leur stress et adoptez les comportements que vous aimeriez voir chez eux.

Jodi Tingling est thérapeute agréée en Ontario et coach en bien-être. Elle propose des formations sur le bien-être aux entreprises et aide les professionnels performants à gérer le stress au travail (y compris le syndrome de l’imposteur, les milieux de travail toxiques et la recherche d’équilibre). Pour en savoir plus sur son travail, cliquez ici www.creatingnewsteps.com.


Cet article a été traduit de l’anglais original.

EN SAVOIR PLUS
Two male soccer players on fieldAutomne 2022

« Franchir le Rubicon » : transformer les impasses décisionnelles en opportunités de carrière

La pandémie a incité les individus à réfléchir aux défis liés à leurs objectifs de carrière, à les accepter et à les surmonter

Geneviève Taylor, Kaspar Schattke et Ariane Sophie Marion-Jetten

Author headshotsJulien est un joueur de soccer professionnel canadien dont l’objectif de carrière est d’intégrer un club européen. Pendant la pandémie de COVID-19, il était constamment stressé de devoir s’isoler lorsqu’un co-équipier était malade et est devenu désenchanté de devoir jouer sans public. La situation est désormais revenue « à la normale » mais Julien n’a pas été performant et a souffert de blessures répétées. Il s’inquiète maintenant de ses performances et de son objectif de carrière. Il rumine souvent ses erreurs et se demande s’il devrait se désengager de son objectif ou non – il vit une impasse décisionnelle.

Qu’est-ce qu’une impasse décisionnelle?

Une impasse décisionnelle représente un conflit interne survenant lorsqu’on se demande s’il faut poursuivre ou abandonner un objectif (de carrière) important, pour lequel les difficultés se sont accumulées. Cette situation emmène des conséquences négatives importantes, telles qu’une détresse et une dépression accrues. Elle peut également rendre l’échec de l’objectif plus probable et conduit souvent à son abandon. Étant donné qu’un objectif de carrière détermine généralement une partie importante de l’identité d’une personne, il peut être déstabilisant de l’abandonner. Mais qu’en serait-il si le fait de traverser une impasse décisionnelle était exactement ce dont Julien avait besoin pour réorienter sa carrière afin de vivre une vie qui lui ressemble vraiment?

Nous en savons peu sur les conséquences positives à long-terme des impasses décisionnelles en contexte de carrière. Bien qu’elle soit certainement pénible, une impasse décisionnelle peut aussi représenter une « occasion en or » : l’occasion de réfléchir à ses objectifs de carrière, de laisser tomber ceux qui ne nous rendent plus heureux et de trouver des objectifs plus motivants et porteurs de sens. Toutefois, cela dépend de la manière dont nous gérons notre impasse décisionnelle, et c’est précisément ce avec quoi les professionnels du développement de carrière peuvent nous aider.

Les impasses décisionnelles selon le modèle du Rubicon

Les professionnels du développement de carrière rencontrent fréquemment des clients vivant une impasse décisionnelle, sans pour autant utiliser cette terminologie. Le modèle du Rubicon des phases d’action nous aide à comprendre les impasses décisionnelles et leurs problèmes en distinguant quatre phases de poursuite d’objectifs (voir figure 1).

Au cours de la phase prédécisionnelle, une personne réfléchit au caractère désirable et réalisable de ses différents souhaits. Avoir l’intention de concrétiser un souhait le transforme en objectif. À ce stade, nous avons « franchi le Rubicon », à l’image de Jules César qui avait littéralement traversé cette rivière pour conquérir Rome. Dans les phases préactionnelle et actionnelle, une personne planifie et exécute ses actions, respectivement, tout en ignorant les avantages et les inconvénients de sa décision et en se concentrant sur l’atteinte de son objectif. Dans la phase postactionnelle, elle réfléchit à son progrès, ou à son manque de progrès, en lien avec l’objectif.

Lors d’une impasse décisionnelle, on se met à osciller entre les phases prédécisionnelle et préactionnelle/actionnelle, ce qui empêche de poursuivre efficacement son objectif parce qu’on le remet en question au lieu d’y travailler. Par exemple, Julien commence à perdre des matchs et se demande s’il doit renoncer à ses ambitions européennes.

« Bien qu’elle soit certainement pénible, une impasse décisionnelle peut aussi représenter une occasion en or. »

Comment les professionnels du développement de carrière peuvent-ils utiliser le modèle Rubicon pour aider leurs clients à faire face à une impasse décisionnelle et à en profiter? Nos propres recherches suggèrent que la présence attentive (mindfulness) est liée à une réduction de l’intensité des impasses décisionnelles et peut aider les personnes à gérer une impasse actuelle. Nous proposons donc trois façons de transformer les impasses décisionnelles en occasions en or » pour sa carrière.

1. Réfléchir aux objectifs de carrière et accepter les impasses décisionnelles

Une impasse décisionnelle de carrière offre l’occasion de réajuster ses priorités par rapport à un objectif global. Il faudra à nouveau « franchir le Rubicon », soit en décidant de conserver et de réaffirmer l’objectif initial, avec des ajustements nécessaires, soit en l’abandonnant et en s’engageant dans un autre objectif. L’autocompassion, un des moyens d’accepter une impasse décisionnelle désagréable, comporte trois éléments :

  • La bienveillance envers soi – être gentil envers soi-même après un échec.
  • L’humanité commune – reconnaître que les expériences difficiles font partie de la condition humaine.
  • La présence attentive – prêter attention à ses pensées, ses sensations et es émotions, dans le moment présent, en les acceptant et sans les juger.

Par exemple, nous pouvons aider Julien à prendre conscience de son anxiété et de ses pensées autocritiques, à être tendre envers lui-même parce qu’il a rencontré des obstacles imprévus, comme perdre des matchs, et à reconnaître que cela fait partie de son humanité. De cette façon, nous normalisons l’expérience d’une impasse décisionnelle et permettons à notre client d’accepter ses pensées et émotions difficiles sans les éviter ou se faire envahir par elles.

2. Se désengager ou ne pas se désengager? Telle est la question

Après avoir réfléchi à l’impasse décisionnelle et l’avoir accueillie comme une opportunité, nous pouvons aider le client à explorer explicitement s’il doit se désengager de son objectif. Tout d’abord, pourquoi la personne s’est-elle initialement engagée dans son objectif de carrière? Était-ce à cause d’une pression externe ou interne (raisons contrôlées), ou parce que c’était lié à ses valeurs et à ses intérêts (raisons autonomes)? Une personne ayant choisi un objectif de carrière pour des raisons plutôt contrôlées sera plus susceptible de vivre des impasses décisionnelles à l’avenir, de moins progresser vers son objectif et d’augmenter sa détresse. Si une personne traverse déjà une impasse décisionnelle pour un objectif contrôlé, il pourrait être temps de se désengager et de chercher un objectif plus autonome, lié plus fortement à ses valeurs/intérêts.

Deuxièmement, nous pouvons aider les clients à réfléchir à la possibilité d’atteindre son objectif et à son caractère désirable. Dans le cas de Julian, est-il encore possible d’accéder à une ligue européenne et cela vaut-il la peine de s’investir dans ce but?

Enfin, il faut évaluer les obstacles ayant déclenché l’impasse. Sont-ils surmontables? S’il s’agit d’un objectif souhaitable, atteignable et autonome, cela vaut-il la peine de continuer à travailler pour surmonter ces obstacles? Si oui, nous pouvons utiliser des outils tels que WOOP, qui nous aide à réfléchir à notre objectif, aux résultats souhaités, aux obstacles internes et au plan d’action pour les surmonter. Si l’objectif n’est pas souhaitable, réalisable et autonome, nous pouvons alors aider le client à s’en désengager, sur les plans cognitif, émotionnel et comportemental.

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3. Se réengager suite à une impasse décisionnelle

Après s’être désengagé d’un objectif de carrière, le défi consiste à aider les clients à se réengager dans un objectif de carrière plus significatif, plus réalisable et plus enrichissant, et qui reflète leurs passions, intérêts et valeurs fondamentales. Ils peuvent y parvenir grâce à divers exercices que les conseillers d’orientation utilisent quotidiennement, tels que les inventaires d’intérêts, l’exploration des valeurs, les récits et la cartographie de l’espace de vie.

La pratique de la présence attentive serait un outil complémentaire que les clients peuvent utiliser pour prêter attention à ce qu’ils ressentent lorsqu’ils discutent de certains objectifs : se sentent-ils serrés dans la poitrine ou ouverts et détendus? Cela aiderait à identifier de nouveaux objectifs, bien qu’il soit important d’explorer d’abord la source de ces sentiments. Ces derniers pourraient aussi provenir de l’anxiété liée à l’incertitude ou à l’adoption d’un objectif très différent de ceux qu’ils ont l’habitude de choisir, plutôt que parce que ce n’est pas le « bon » objectif pour eux.

Enfin, les objectifs de carrière étant généralement déterminants pour l’identité, une autre idée consiste à aider les clients à se réengager dans un objectif connexe. Par exemple, Julien pourrait viser une carrière d’entraîneur dans un club européen si ses blessures ne lui permettent pas de faire une carrière de joueur à haut niveau.

Conclusion

Si une impasse décisionnelle reste une expérience désagréable, elle constitue aussi une occasion de réaligner ses priorités et ses objectifs professionnels. Pratiquer la présence attentive et l’autocompassion peut aider une personne à accepter une impasse décisionnelle au lieu de la combattre. Cela pourrait également l’aider à déterminer quel « Rubicon » franchir : celui qui réaffirme l’objectif initial ou celui qui se désengage et se réengage dans un nouvel objectif de carrière, tout en appliquant la sagesse que l’expérience de l’impasse lui a conférée. Sans la pandémie de COVID-19, beaucoup d’entre nous n’auraient jamais eu cette opportunité.

Geneviève Taylor, Ph.D., est professeure agrégée en counseling de carrière à l’Université du Québec à Montréal. Elle a obtenu une maîtrise en ressources humaines à la London School of Economics et un doctorat en psychologie clinique à l’université McGill. Ses recherches portent sur le rôle que jouent la présence attentive et l’autocompassion dans les processus motivationnels reliés à la carrière.

Originaire de Berlin, Kaspar Schattke a obtenu son doctorat de la Technische Universität München et est professeur agrégé en psychologie du travail et des organisations à l’ Université du Québec à Montréal. M. Schattke est également un formateur certifié en gestion et un consultant spécialisé en leadership et en motivation. Ses recherches portent sur le désengagement d’objectifs, la motivation au travail et l’écoblanchiment.

Ariane Sophie Marion-Jetten, PhD, est chercheuse postdoctorale à la faculté de psychologie et de sciences du mouvement de l’Universität Hamburg, en Allemagne. Ses recherches portent sur le rôle de la présence attentive et la cohérence entre les motifs implicites et explicites en lien avec l’autorégulation et la poursuite d’objectifs de carrière (entre autres).

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