Mentalités sociales : Une nouvelle approche aux états d’esprit de carrière
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24 janvier, 2022Laurent Boualleg
Carrière vient de char ou charriot. Un état d’esprit de carrière, c’est donc une façon de penser qui fait avancer autrui dans les études et dans le monde du travail.
Après plus de deux décennies de pratiques dans le conseil en orientation scolaire et professionnelle, il m’est apparu légitime de m’interroger sur ce qu’est un état d’esprit de carrière. Après réflexion, celui-ci m’est apparu en trois étapes qui se suivent et se chevauchent : Écouter, Apprendre, Servir. Elles sont issues de l’interaction entre mon expérience professionnelle, ma réflexion personnelle, l’utilisation du focusing selon Gendlin et l’opportunité offerte par la revue Careering d’écrire sur cette question.
Étant un adepte à la fois des questionnaires RIASEC et de l’humour en orientation, j’ai souhaité faire un clin d’œil humoristique au modèle de Holland, qui a forgé mon état d’esprit de carrière depuis ma formation initiale jusqu’à aujourd’hui. Ainsi, mes trois étapes correspondent à l’acronyme EAS. Toute ressemblance avec des étapes existantes en counseling de carrière selon Lecomte et Savard serait purement non fortuite.
Bien que cet état d’esprit de carrière partage des points communs avec le profil EAS de Holland, je décrirai surtout l’état d’esprit de carrière EAS avec ces trois étapes.
Écouter
Lorsque nous écoutons, nous portons attention à nos mouvements intérieurs. Nous dirigeons notre attention vers nos centres d’intérêt, valeurs, aptitudes, croyances, traits de personnalité et motivations. Il s’agit d’une expérience subjective que nous tentons d’objectiver.
En parallèle, nous observons notre environnement de formation et notre milieu professionnel. Cette écoute et cette observation permettent de faire des liens, de créer des ponts, d’établir une correspondance entre personnalité vocationnelle et milieu de travail. Un premier clin d’œil à la théorie de Holland!
« Lorsque nous écoutons, nous portons attention à nos mouvements intérieurs. »
Cette correspondance individu-environnement simplifie la dynamique complexe de l’interaction Individu-Études-Travail sans lui retirer de sa pertinence, bien au contraire.
Prendre l’initiative d’être attentif, d’écouter l’intérieur et l’extérieur de soi, d’observer ses interactions avec les autres, de choisir de diriger son attention sur ses rôles sociaux, d’être porteur d’un projet de soi, de prendre en main son développement de carrière… N’est-ce pas un ensemble de comportements et de démarches qui font penser au type Entreprenant?
Disons simplement qu’être attentif et orienter notre écoute vers la dynamique Individu-Études-Travail est une première marche vers l’apprentissage.
Apprendre
L’interaction constante au sein de la dynamique Individu-Études-Travail nous offre l’occasion d’apprendre sur nous-mêmes, en particulier sur notre personnalité et sur nos talents à développer, mais aussi sur nos émotions et sur notre conscience. L’apprentissage est une réponse à la curiosité. Il satisfait aussi nos besoins de croissance et de compétence. Apprendre, c’est choisir de miser sur les ressources disponibles, sur des besoins psychologiques positifs. C’est donc combler un besoin fondamental d’autonomie. Être capable de satisfaire notre curiosité et de prendre en main nos besoins psychologiques nourrit par exemple nos besoins de sécurité et d’estime de soi, deux besoins psychologiques positifs, selon Sheldon. Ceux-ci s’ajoutent aux trois autres besoins psychologiques positifs que sont l’autonomie, la compétence et l’appartenance, trois besoins étudiés par Deci et Ryan.
Observer notre environnement nous permet d’apprendre sur notre contexte professionnel et ses enjeux. Aussi, apprendre sur la communication et sur les relations au sein d’une organisation stimule notre processus de croissance et notre besoin d’appartenance, un autre héritage de la théorie de l’autodétermination. Bref, apprendre c’est intégrer et s’intégrer.
Apprendre touche toutes les dimensions du RIASEC. Un type de personnalité défini par Holland peut être considéré comme une motivation intrinsèque du point de vue de la théorie de l’autodétermination, surtout s’il s’agit de notre type dominant. Apprendre par intérêt et par plaisir nous lie intrinsèquement au contenu de notre apprentissage.
Il y a aussi un clin d’œil à la sensibilité du type Artistique du modèle de Holland. En effet, l’apprentissage n’est pas un acte purement intellectuel. C’est aussi un acte affectif. Le profil Artistique apprendra plus volontiers ce qui touche sa sensibilité, son imagination et sa créativité.
Apprendre continuellement représente une compétence développementale. Apprendre, c’est se développer. Et entre apprentissage et développement de carrière, il y a nécessairement un lien dynamique, mais il y a aussi une marche qui conduit vers le service.
Servir
Apprendre nous permet de mieux servir les autres, nos organisations et notre communauté au sens large. Servir nous permet de nous ouvrir davantage. Ce que nous avons appris, nous pouvons l’offrir. Ainsi, nous facilitons la vie d’autrui. Partager ce que nous avons appris procure du bien-être, de la satisfaction à l’égard de la vie et conduit à une meilleure intégration socioprofessionnelle (on pourrait parler aussi de développement psychosocial optimal).
Servir nous fait grandir encore et encore. En aidant autrui à s’élever, on s’élève aussi, car nous faisons partie d’une communauté. Contribuer au développement d’une personne, d’un groupe, d’une organisation, d’une communauté, c’est se forger un état d’esprit de carrière, c’est-à-dire créer et développer volontairement un état d’esprit qui fait avancer les choses.
Cette fois, le parallèle existe entre la dimension Service et le type Social de notre cher Holland! Bon, on pourrait aller plus loin dans les parallèles entre les dimensions de l’état d’esprit de carrière Écouter-Apprendre-Servir et les types de personnalité Entreprenant-Artistique-Social, mais il y a une sérieuse limite.
Un profil Holland diffère d’un état d’esprit de carrière, car on ne choisit pas notre profil de personnalité. Inversement, nous pouvons choisir notre état d’esprit de carrière.
Encore une fois, ces trois étapes ne reflètent qu’une analyse personnelle de mon expérience. Pendant plus de deux décennies j’ai voyagé professionnellement entre Écouter-Apprendre-Servir et je crois que je continue de le faire.
Comment aider notre clientèle à développer leur propre état d’esprit de carrière?
Il s’agit de les aider à créer une culture de l’attention portée sur la carrière, soit un état d’esprit de carrière qui va plus loin que l’intervention ponctuelle. De cette culture de l’écoute, qui consiste à rester attentif, découle l’étape 2, qui consiste à apprendre, à développer un état d’esprit d’apprentissage continu concernant sa carrière. Autrement dit, un état d’esprit d’éternel débutant. Enfin, notre besoin d’appartenance nous procure du plaisir lorsque nous partageons et apprenons ensemble, mais aussi lorsque nous partageons notre expérience pour faciliter la vie d’autrui. Les autres bénéficient alors d’autres façons de penser, d’agir, d’apprendre, de réagir et de se développer. Ainsi, il me semble qu’un état d’esprit de carrière d’Écoute, d’Apprentissage et de Service produit de la richesse sur le plan humain.
Laurent Boualleg : Psychologue de l’éducation nationale en Centre d’Information et d’Orientation à Marseille Spécialisé en Education, développement et conseil en orientation scolaire et professionnelle. En 2019, j’ai publié chez Enrick B. Editions Voyage au pays du développement de carrière.
Les trois étapes de l’Écoute, l’Apprentissage et le Service offrent une façon unique de considérer les carrières