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Yilmaz E. Dinc
La surqualification est un problème courant et bien connu de la main-d’œuvre immigrante. Toutefois, la pandémie a jeté un éclairage différent sur la question : les produits et services que nous considérons comme essentiels sont également fournis par des immigrants dont le potentiel de talent est sous-utilisé.
Le sous-emploi des immigrants au Canada est ce que nous appelons, au Conference Board, un « problème complexe » qui existe depuis des décennies. De nombreux nouveaux arrivants, en particulier ceux qui n’ont pas de qualifications et d’expérience professionnelle acquises au Canada, et ceux qui ont une expérience dans une profession réglementée, ont beaucoup de mal à trouver un emploi correspondant à leurs compétences. Pour joindre les deux bouts, ils doivent souvent accepter des emplois à faible revenu qui ne font pas appel à toutes leurs compétences.
Le sous-emploi affecte les carrières des immigrants même à long terme – et nulle part ailleurs cet effet n’est plus prononcé que dans les emplois essentiels. Une étude que nous avons menée au Conference Board du Canada l’année dernière a montré que les immigrants constituent un élément primordial de la main-d’œuvre essentielle, puisqu’ils représentent près d’un tiers de tous les travailleurs dans des secteurs tels que la fabrication de produits alimentaires, le transport par camion et les soins infirmiers et résidentiels. Cependant, beaucoup d’entre eux sont surqualifiés pour leur rôle. Par exemple, 28 % des conducteurs de camions de transport nouvellement arrivés ont un baccalauréat, même si leur emploi ne l’exige pas, contre seulement 1,6 % de leurs homologues nés au Canada.
Ce que nous révèlent ces données, c’est que même si de nombreux immigrants effectuent un travail essentiel, les emplois qu’ils occupent ne leur permettent que rarement de développer leur potentiel de talent. Qui plus est, cela limite leurs revenus et affecte négativement leur trajectoire professionnelle. Cet impact négatif est généralement beaucoup plus prononcé pour les femmes et les travailleurs racialisés nouvellement arrivés.
« Le sous-emploi affecte les carrières des immigrants même à long terme – et nulle part ailleurs cet effet n’est plus prononcé que dans les emplois essentiels. »
De plus, ce phénomène ne s’applique pas seulement aux nouveaux arrivants. Parmi les personnes titulaires d’un visa temporaire, plus de 20 % des travailleurs des usines de poisson et de fruits de mer et plus de 30 % des ouvriers de la transformation des aliments et des boissons sont surqualifiés. Au fur et à mesure que nous accueillons davantage de personnes ayant une expérience antérieure au Canada et que nous élargissons nos objectifs en matière d’immigration, la question de la surqualification devient encore plus prépondérante.
L’inadéquation des qualifications n’est pas seulement un problème sur le plan individuel. Le Canada perd jusqu’à 50 milliards de dollars chaque année en raison des écarts en matière d’emploi et de rémunération entre les immigrants – y compris les travailleurs essentiels – et les personnes nées au Canada.
Dans le même temps, cela crée des obstacles pour les employeurs, qui continuent de faire état de difficultés pour attirer et retenir les talents. Les employés qui se sentent surqualifiés pour leur rôle seront probablement moins satisfaits de leur travail et plus enclins à chercher un autre emploi. Il convient de se demander dans quelle mesure les pénuries de compétences pourraient être résolues en faisant mieux correspondre les compétences des immigrants à la demande de main-d’œuvre.
Faire progresser la reconnaissance des titres de compétences
Les causes de la surqualification sont multiples. Malgré des décennies de consultations et d’efforts pour améliorer la reconnaissance des titres de compétences, celle-ci demeure un processus complexe, coûteux et long pour de nombreuses professions réglementées. Toutefois, des mesures prometteuses sont également prises pour faire avancer les choses.
Le gouvernement de l’Ontario a récemment éliminé les exigences en matière d’expérience de travail au Canada pour de nombreuses professions, notamment les électriciens, les ingénieurs et les plombiers. Cette mesure aidera certainement les nouveaux arrivants ayant une formation dans ces professions à trouver des emplois de meilleure qualité. D’autres provinces prendront probablement note des résultats et adopteront une approche similaire.
Toutefois, les récents changements apportés par l’Ontario n’incluaient pas les professions du secteur de la santé, qui demeurent la partie la plus épineuse du problème. Notre rapport a révélé que les aides-infirmiers, aides-soignants et préposés aux bénéficiaires étaient les professions présentant le plus haut degré de surqualification (dépassant les ouvriers agricoles, les chauffeurs de camion et les ouvriers de l’industrie alimentaire).
Les données indiquent que la délivrance de permis aux professionnels de la santé formés à l’étranger devrait être une priorité gouvernementale, tant au niveau fédéral que provincial. Un rapport de l’Université métropolitaine de Toronto datant de mars 2022, par exemple, a souligné la nécessité d’une « stratégie de ressources humaines en santé » en Ontario, qui permettrait de combler les lacunes en matière d’octroi de licences, de trouver des alternatives à l’expérience canadienne et d’améliorer l’accès à la résidence permanente.
Lutter contre les préjugés
Le problème, cependant, ne s’arrête pas à la reconnaissance officielle des titres de compétences. Certaines professions nécessitent une pratique plus poussée, mais sont soumises à des restrictions supplémentaires, comme le nombre réduit de places en résidence pour les médecins formés à l’étranger.
Les préjugés constituent également un problème. Certains employeurs ne tiennent pas compte de la valeur de l’expérience professionnelle et des qualifications acquises à l’étranger. La discrimination à l’égard des diplômes et expériences internationaux, combinée aux préjugés liés à la race, au sexe et à l’origine ethnique, pousse de nombreux nouveaux arrivants à occuper des emplois essentiels difficiles que les personnes nées au Canada ne veulent pas occuper. Les groupes tels que les femmes racialisées nouvellement arrivées se retrouvent face aux défis les plus complexes lorsqu’il s’agit d’obtenir un emploi de qualité.
La voie à suivre
Alors, comment relever le défi de la surqualification? Le problème ne sera pas résolu du jour au lendemain, car les changements systémiques impliquant de multiples acteurs prendront du temps. Outre les mesures prises par le gouvernement pour accélérer l’octroi des permis, les employeurs doivent créer des lieux de travail plus inclusifs qui aident les immigrants à trouver des emplois correspondant à leur niveau de compétences et qui luttent contre les préjugés et la discrimination.
Les employeurs auront également besoin du soutien du gouvernement, des organismes sans but lucratif et du secteur des services d’établissement pour évaluer l’expérience professionnelle et les qualifications obtenues à l’étranger de manière plus efficace et plus objective. C’est particulièrement vrai pour les petites entreprises.
Pour de nombreux immigrants déjà sous-employés au sein du système, il est essentiel de créer et de renforcer la mobilité ascendante et intersectorielle. Il s’agit notamment d’identifier et de développer leurs compétences transférables afin de les aider à accéder à des occasions d’emploi plus adaptées à leurs compétences. Des outils tels qu’OpportuNext pourraient aider à tracer la voie dans cette direction. La requalification et le perfectionnement professionnel peuvent être nécessaires pour les immigrants dont les compétences ne sont plus à jour.
Alors que le gouvernement et les employeurs s’efforcent de relever les défis à l’échelle des systèmes, il sera du ressort des professionnels en services d’établissement et en développement de carrière d’aider les immigrants surqualifiés à rechercher des possibilités d’emploi plus adaptées. Il pourrait s’agir d’identifier les secteurs offrant des perspectives d’emploi croissantes et d’aider les travailleurs immigrants à évaluer et à repenser leurs compétences en conséquence. Les immigrants peuvent également avoir besoin de conseils sur la manière de diversifier leur recherche d’emploi et sur le moment où ils doivent acquérir des qualifications et des formations supplémentaires pour obtenir un emploi correspondant à leurs compétences.
La pandémie nous a montré que le Canada compte beaucoup sur les immigrants pour occuper les emplois essentiels, mais beaucoup de nouveaux arrivants ne devraient pas occuper ces emplois pour commencer. Nous ne pouvons pas nous permettre d’ignorer le défi de la surqualification si nous voulons que l’immigration fonctionne mieux pour tous.
Yilmaz E. Dinc, PhD, est associé de recherche principal pour le domaine de connaissances sur l’immigration au Conference Board du Canada. Il compte une dizaine d’années d’expérience en recherche appliquée, et il travaille passionnément en faveur de l’inclusion, afin de stimuler la réflexion sur l’immigration. Auparavant, il a travaillé comme directeur de la recherche et de l’évaluation au Toronto Region Immigrant Employment Council et au centre mondial du secteur privé du Programme des Nations Unies pour le développement.