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1 février, 2023Les personnes autistes doivent constamment s’adapter à un monde scolaire et professionnel qui n’est pas adapté à leurs besoins
Émilie Robert
Étienne est un jeune autiste de 22 ans. Il étudie pour une 8e session dans le programme de sciences humaines dans un cégep au Québec. Il éprouve beaucoup de difficultés à terminer son programme. Il ne sait pas trop à quoi ses études vont le mener. Il a changé d’établissement plusieurs fois, en espérant mieux réussir de fois en fois. À chaque endroit, il ne se sent pas à l’aise dans les corridors, dans les classes, dans les interactions avec les enseignants. Il est brillant et il réussit très bien académiquement… lorsqu’il est capable de se rendre en classe et d’y rester. Étienne vit beaucoup d’anxiété et d’enjeux sensoriels. Il est inquiet face à son autonomie financière et professionnelle. Il sait que ses parents ne seront pas toujours là pour le soutenir. En même temps, l’idée de commencer encore un nouveau programme d’études l’angoisse.
Bien que le choix d’un programme d’études ou de carrière soit une source d’anxiété pour une majorité de jeunes, on peut comprendre que cela est encore plus difficile pour une personne autiste. Rappelons que l’autisme est caractérisé par des difficultés dans les interactions sociales, dans la communication verbale et non verbale, par une hyperréactivité sensorielle ainsi que par des intérêts restreints et souvent très intenses. Cette façon d’être peut provoquer de l’anxiété et de la fatigue, provenant du fait que ces personnes doivent constamment s’adapter à un monde scolaire et professionnel qui n’est pas fait pour elles.
C’est précisément ce que vit Étienne. Il réalise qu’il n’arrivera à faire un choix par lui-même. À la recommandation de ses parents, il prend un rendez-vous avec une conseillère d’orientation. Après plusieurs rencontres avec elle, Étienne est enfin à l’aise de dire qu’il aurait un intérêt pour la programmation informatique. Toutefois, l’idée de suivre un programme technique de trois ans au cégep lui parait lourde. Il est fatigué de tourner en rond, mais rester en sciences humaines demeure plus confortable que de plonger vers l’inconnu. Si seulement il pouvait découvrir un nouveau domaine, mais à partir de la maison…
Étudier et travailler de la maison n’était pas si simple il y a de cela quelques années. Mais les mesures de distanciation sociale qu’a imposées la pandémie de COVID-19 a forcé de nombreux établissements d’enseignement et employeurs à rendre possible l’enseignement et le travail en ligne. Autant on pouvait craindre que cela déshumanise certains services, le recul nous permet de comprendre que pour certaines personnes, par exemple des personnes autistes, les interactions en ligne peuvent s’avérer salutaires :
- Le soutien visuel lors d’échanges de messages électroniques ou de visioconférence aide à compenser pour les difficultés de communication verbale;
- Les interactions sociales en ligne sont souvent plus formelles et encadrées par un code de conduite plus explicite, ce qui aide les personnes autistes à mieux comprendre les règles sociales;
- Être productif de chez soi permet de briser l’isolement, participer à la société et se sentir valorisé, sans avoir à vivre le stress du déplacement aux heures de pointe ou de circuler des environnements populeux, bruyants, surstimulants;
- Étudier ou travailler à distance offre la possibilité de le faire aux heures qui conviennent à la personne et à son rythme, ce qui est bénéfique, car les personnes autistes ont souvent besoin de plusieurs pauses et sont souvent plus productives le soir.
« Autant on pouvait craindre que cela déshumanise certains services, le recul nous permet de comprendre que pour certaines personnes, par exemple des personnes autistes, les interactions en ligne peuvent s’avérer salutaires. »
Étudier ou travailler en ligne est donc loin d’être déshumanisant pour les personnes autistes, au contraire. Ces transformations contribuent à leur participation sociale, à leur autonomie financière et à leur accomplissement personnel. C’est précisément ce que vit Étienne. Après plusieurs recherches, il découvre avec l’aide de sa conseillère d’orientation un certificat de 1er cycle universitaire en programmation de jeux vidéo, offert exclusivement en ligne. Il sent enfin qu’il peut entrevoir son futur. Il peut prendre le risque d’essayer quelque chose de nouveau sans avoir à se déplacer, à circuler dans des endroits bruyants, ni à s’adapter à un nouvel endroit. Il peut étudier davantage à son rythme. Après son certificat, Étienne pourra trouver un emploi dans son domaine, emploi qu’il pourra aussi effectuer à distance.
Étienne n’est certainement pas le seul à pouvoir bénéficier du travail en ligne. Ses employeurs y trouveront tout autant leur compte. Le travail à distance facilite la mise en place d’accommodements simples et équitables qui rendent la personne autiste plus productive. Aussi, permettre aux personnes autistes d’obtenir plus facilement des diplômes de trouver un emploi et de s’y maintenir est un moyen de palier à la pénurie de main-d’œuvre. Cela permet à toute la société de profiter du talent de tout plein de personnes qu’elles ne pourraient pas mettre en valeur autrement.
Cette perspective est assez évidente pour les professionnels de l’orientation, car nous rencontrons des personnes qualifiées qui n’ont besoin que d’un coup de pouce pour intégrer le marché de travail. Nous pouvons certainement contribuer à ce que ces nouvelles façons d’enseigner et de travailler puissent perdurer. Au-delà de faire connaitre ces possibilités à nos clients, nous pouvons sensibiliser les employeurs à l’importance de mettre en place et de maintenir des possibilités de travail à distance. Cela peut se faire en proposant un accompagnement de nos clients en intégration en emploi et rencontrant l’employeur pour faciliter la mise en place d’aménagement de travail. Aussi, les professionnels de l’orientation en milieu organisationnel peuvent proposer à l’employeur la mise en place d’horaires flexibles ou de modes hybrides de prestation de service. Enfin, les professionnels de l’orientation peuvent agir à titre de consultants pour les entreprises pour mettre en place des accommodements pour les personnes ayant des besoins particuliers.
En somme, autant les études ou le travail en ligne sont bénéfiques pour les personnes autistes et leurs employeurs, tout étudiant ou employé, en fonction de ses besoins et de la nature de son travail, peut y gagner. Pour une société plus productive, certes, mais encore plus important, une société plus juste et équitable.
Émilie Robert est conseillère d’orientation au Collège Montmorency. Elle se spécialise en intervention auprès de personnes autistes. Elle est l’auteure du livre Les personnes autistes et le choix professionnel : Les défis de l’intervention en orientation, ainsi que de la trousse Ma carrière en images, tous deux parus chez Septembre éditeur. On peut l’entendre dans des conférences, émissions de radio et de télévision au sujet de l’orientation scolaire et professionnelle des personnes autistes.