Entrevue par Jenn Long

Apprendre et diriger dans le nouveau monde du travail

Rich Feller, ex-président de la National Career Development Association (NCDA), professeur émérite de l’Université du Colorado, et président de Rich Feller & Associates, s’est engagé à étudier l’évolution du marché du travail, et à trouver de nouveaux outils et des solutions pour aider les gens à se réorienter plusieurs fois au cours de leur carrière. Rich Feller est également cofondateur de la société OneLifeTools et du jeu d’évaluation descriptive Who You Are Matters!.

Q : D’après vous, quels sont les principes clés qui définissent le monde du travail actuel et futur?

RF : Les conseillers et les spécialistes en orientation professionnelle savent combien les changements en milieu de travail peuvent perturber la vie personnelle et la gestion de carrière. Je constate que l’accélération de la connectivité mondiale, les gains technologiques exponentiels, la longévité et la méfiance envers la formation scolaire ont beaucoup d’influence sur le monde du travail. L’apprentissage machine, la science des données, l’Internet des objets et la robotique créent une « main-d’œuvre augmentée » au sein d’une économie d’engagements axée sur les compétences. Les propriétaires d’entreprise tentent de trouver la bonne façon de concevoir, d’organiser et de rémunérer le travail. Les travailleurs sont constamment appelés à se réinventer, à se distinguer en matière de proposition de valeur, et à utiliser la technologie de diverses façons, en espérant que cela enrichira leur vie.

Malheureusement, en Amérique du Nord, les travailleurs n’apprennent pas aussi rapidement que le voudraient les employeurs, et les relations de travail penchent de plus en plus en faveur des propriétaires du capital et de la technologie. La tension entre les humains et la technologie prendra de l’ampleur à mesure que les débouchés professionnels se déplaceront géographiquement et que la capacité d’apprentissage prendra de l’importance. Une attitude rigide, l’immobilisme, la résistance au changement et le manque de compétences générales seront de plus en plus des freins à la mobilité sociale, à l’emploi, à l’avancement et à la prospérité.

Q : Qui sont vos maîtres à penser en matière d’analyse du monde du travail actuel et futur?

RF : Dick Bolles me forme continuellement sur la recherche d’emploi. Nancy Schlossberg et Sunny Hanson m’ont éclairé sur mes privilèges d’homme blanc au travail. Garry Walz, David Tiedeman et Phil Jarvis m’ont initié au suivi des tendances. Mes idées sur le monde du travail sont influencées par Art O’Shea et Tom Harrington (choix de carrière); Norm Gysber (développement de carrière); Dick Knowdell (compétences motivées); Mark Savicka (planification de vie); Fred Luthans (capital psychologique); Rich Snyder, Norm Amundson et Skip Niles (points de vue sur l’espoir); Richard Leider (clarté des objectifs); Philip Hardin (aptitudes); Mark Franklin (communication narrative); et Janet Taylor (autonomie au travail).

Mes idées sur l’avenir du marché du travail proviennent de Tom Friedman, Robert Reich, Paul Krugman, Eric Brynjolfsson et Andrew McAfee, Ray Kurzweil, Tom Fry, Karie Willyerd, Alan Webber, Lynda Gratton et Andy Scott, Kevin Kelly, Clayton Christensen, Peter Diamandis, Peter Cappelli, et Dan Pink. Mes principales sources documentaires sont McKinsey, Gallup, Deloitte et le Forum économique mondial.

Q : Quels sont les modèles, les théories, les outils et les pratiques exemplaires qui répondent le mieux aux besoins du marché du travail actuel et futur?

RF : La théorie de Holland décrit bien l’organisation du milieu de travail. Il faut toutefois l’utiliser avec précaution quand il s’agit de définir un choix de carrière pertinent. Les cycles du développement de Super correspondent à mon expérience, si on ne les associe pas à des âges et à des stades rigides. La théorie des systèmes de Patton et McMahon propose une perspective plus large sur la nature contextuelle de l’expérience individuelle au travail. La théorie de David Blustein sur la psychologie du travail donne des pistes d’intervention novatrices. La promotion du talent entrepreneurial est une pratique avisée dans le contexte des carrières à la pige, des carrières en plusieurs phases, de l’accroissement de la longévité, et de la disparition des régimes de retraite à prestations déterminées. Il est stimulant de promouvoir la notion de « vieillissement sans âge », la force du soutien entre pairs, ainsi que la formation de communautés et la création d’outils pour explorer les possibilités du futur. On doit accorder plus d’attention aux camps d’entraînement, aux micro-collèges et à l’apprentissage manuel. La croissance de l’industrie de l’accompagnement professionnel nous indique que la demande est forte en matière de soutien individualisé et créatif en temps réel.

Q : Que voit-on se profiler à l’horizon? D’après vous, quel est le prochain changement qui touchera le monde du travail et influera sur les besoins/exigences de nos clients?

RF : Premièrement, la technologie ne créera pas autant d’emplois qu’elle en remplace. Puisqu’il y aura trop peu d’emplois bien rémunérés pour répondre aux besoins identitaires de ceux qui « vivent pour travailler », le travail prendra la forme d’« engagements volontaires ». Ces engagements axés sur la valeur donneront du sens et une structure au travail, favoriseront la socialisation, et contribueront à redistribuer la richesse créée par l’intelligence artificielle, les robots et l’informatique affective. Deuxièmement, la recherche d’un emploi sûr et stable ne sera plus un objectif réaliste. L’adaptation aux bouleversements à venir exigera une attitude héroïque – espoir, efficacité personnelle, résilience, optimisme, exploration intentionnelle, clarté, curiosité, souplesse, adaptabilité, mobilité, et apprentissage quotidien. Troisièmement, la science du développement de carrière, en s’améliorant, corrigera les lacunes en matière de compétences utiles dans la nouvelle économie; puisera dans la motivation intérieure; et réduira les obstacles professionnels liés au revenu, à la race, au sexe ou à la géographie. Les mesures axées sur les intérêts reposent sur l’exposition de chacun. YouScience évalue les aptitudes d’après la mesure du rendement, et décèle le « potentiel caché » afin d’élargir les choix de carrière et de tirer profit de la réserve de talents diversifiée. Finalement, les employeurs qui s’empressent de réduire les salaires aliènent les travailleurs en ne décelant pas leurs talents naturels, et en ne développant pas leurs compétences.

Q : À quoi les professionnels du développement de carrière doivent-ils prêter attention pour s’adapter à l’évolution rapide du marché du travail?

RF : On ne saurait surestimer la diversité de ce que nous lisons, numérisons et écoutons pour nourrir notre empathie et nous renseigner sur la manière dont le milieu de travail a une incidence sur l’expérience humaine. Devant l’augmentation des besoins en matière de carrière et la stabilité, au mieux, des ressources, notre rôle est de chercher de nouveaux outils et ressources et des perspectives plus inclusives. Il faut désormais accélérer et approfondir la clarification des objectifs de vie et l’exploration intentionnelle, et augmenter le capital social. Je prête attention à la rétroaction et aux ressources locales qu’apporte le soutien entre pairs. J’observe à quel point la communication narrative augmente la confiance et clarifie les possibilités. Je m’appuie sur une science plus poussée pour fournir de meilleures recommandations quant à l’exploration intentionnelle. J’entends des gestionnaires de programmes professionnels demander des interventions qui sont évolutives, qui s’appuient sur la technologie, et qui sont moins dépendantes des conseillers.

Je suis content de voir le travail de Mark Franklin au Canada, et de voir notre jeu Who You Are Matters! devenir plus accessible. Chaque fois que j’anime un match, je m’inspire du soutien entre pairs et de la communication narrative pour mieux comprendre le changement et générer des possibilités. Je prête également attention à l’application que fait YouScience de la science et de la technologie en matière de développement de carrière, afin de personnaliser la découverte individuelle et de fournir de la rétroaction sur les aptitudes; et à l’utilisation intelligente que fait Type-Coach de l’accompagnement professionnel par vidéo sur demande, afin d’améliorer l’utilisation du type psychologique par nos clients. Le travail de l’Université nationale de Singapour en matière de compétences générales et de préparation à l’avenir (nus.edu.sg/cfg/frr2017) est très opportun.

Les certificats de formation efficaces comme Job and Career Transition Coach et Career Development Facilitator (National Career Development Association) redéfinissent le développement de carrière. En prêtant attention à ces tendances et en s’associant à l’Institut canadien d’éducation et de recherche en orientation (CERIC), à la National Career Development Association (NCDA) et à l’Asia Pacific Career Development Association (APCDA), les professionnels du développement de carrière peuvent gagner en confiance au sujet des changements en milieu de travail.

Pour en apprendre davantage sur le travail de Rich Feller, visitez le site www.richfeller.com. Suivez-le également sur LinkedIn, Twitter (@Rich_Feller) et Facebook, pour vous tenir au courant des nouvelles exigences du marché du travail, et découvrir les pratiques exemplaires et solutions en matière de développement de carrière.

 

Jenn Long, MEd, NCC, JCTC / JCDC est actuellement directrice des programmes de développement de carrière pour Rich Feller & Associates. Son parcours comprend le rôle de gestionnaire de l’orientation professionnelle au College of Business à l’Université d’État du Colorado, de l’expérience dans le secteur des affaires avec des cadres supérieurs confirmés et des employés à haut potentiel ainsi que rédactrice en chef du magazine Career Developments de la NCDA de 2013 à 2015.