Est-ce la fin de l’emploi à temps plein?
Par Norman Amundson, Tannis Goddard, Spencer Niles et Hyung Joon Yoon
En réfléchissant sur les tendances émergentes aujourd’hui, nous pouvons spéculer sur ce à quoi ressemblera le futur marché du travail
Les cinq dernières années ont donné lieu à une augmentation de manchettes sensationnalistes rédigées par un éventail diversifié de chercheurs, de chroniqueurs et d’autres prophètes de la nouvelle (dont je suis) prévoyant toutes la fin de l’emploi à temps plein. L’étude d’Oxford menée par Frey et Osborne, selon laquelle 47 % des emplois actuels vont disparaître d’ici 2040, en grande partie à cause de l’automatisation des machines, est souvent citée à cet égard.
Cela dit, la réalité est plus nuancée.
La peur de voir la machine triompher sur l’homme s’est immiscée dans la conscience collective pour la première fois au XIXe siècle, en Angleterre, lorsque des milliers d’ouvriers du secteur textile bien rémunérés ont été réduits au chômage en raison des tendances de mode changeantes, de la récession et de l’automatisation de leur industrie. Les travailleurs touchés n’ont pas très bien réagi à cette révolution et leur révolte technophobe est passée à l’histoire sous le nom de luddisme.
À vrai dire, ces histoires de pertes d’emploi massives et imminentes refont surface à intervalles de 10 ou de 20 ans, bien souvent lorsqu’une technologie transformatrice voit le jour sur le marché. Les métiers de fermiers, de téléphonistes, d’agents de voyage, de pompistes et de commis d’ascenseurs ont permis à des millions de personnes de travailler, et pourtant, à mesure qu’ils disparaissent, le nombre d’emplois sur le marché du travail demeure intact sur le long terme. Il y a une raison à cela.
Le travail ne va pas disparaître
S’il est vrai que les nouvelles technologies d’économie de main-d’œuvre éliminent des postes, il est aussi vrai qu’elles créent de nouveaux emplois pour tous ceux qui les conçoivent et les développent, sans parler des industries émergentes qui en découlent. Mais ce n’est pas tout.
Nous oublions souvent de parler des effets indirects des innovations, qui génèrent des économies de main-d’œuvre. Plus particulièrement, ces innovations réduisent les coûts liés aux activités commerciales et permettent aux entreprises d’investir dans la création de nouveaux produits ou de nouvelles succursales. Citons à cet égard l’ouverture de nouvelles succursales bancaires après que le nombre de caissiers de banque ait été réduit de façon radicale en raison de l’utilisation des guichets automatiques par les clients. De la même façon, les technologies d’économie de main-d’œuvre donnent aux entreprises la possibilité de réduire leurs prix et d’être plus concurrentielles, ce qui permet aux consommateurs d’acheter davantage de produits (et d’alimenter la croissance des revenus du même coup). Les entreprises peuvent aussi investir leurs économies dans d’autres projets commerciaux, créant ainsi de nouveaux emplois.
Les impacts directs et indirects de ces nouvelles technologies sont le moteur de la progression de notre niveau de vie. Bien souvent, ils disparaissent sous un amoncellement de manchettes alarmantes. Mais le problème, c’est que des métiers disparaissent sous nos yeux et qu’il est difficile de prédire ceux qui subiront le même sort dans un avenir proche.
Compte tenu de cette réalité, je n’essaierai même pas d’imaginer quels emplois seront en demande dans le monde de demain. Mais en réfléchissant aux tendances émergentes, nous pouvons spéculer sur ce que nous réserve le marché du travail du futur et sur les façons d’éduquer la prochaine génération d’étudiants.
La nature changeante des emplois à temps plein
Il est important de comprendre que les robots ne nous voleront pas nos emplois; ce sont les tâches routinières (automatisées) qu’ils prendront en charge. Pensons aux commis au classement, aux dactylos, aux billettistes – chaque fois qu’une nouvelle technologie voit le jour, certaines tâches répétitives et monotones, dont la logique et la coordination oculomanuelle sont simples, sont reléguées aux oubliettes.
Mais pour ceux dont le travail est plus complexe, l’automatisation est un avantage énorme. En étant libérés des tâches machinales, répétitives et peu rentables, nous pouvons nous concentrer sur les tâches ou les projets plus stratégiques, productifs, abstraits et créatifs. Dans ce cas de figure, l’emploi ne disparaît pas : il évolue.
Ainsi, un niveau plus élevé que jamais d’éducation, d’expertise technique, de compétences générales et de pensée abstraite sera nécessaire pour les emplois de demain. Par conséquent, ceux dont l’emploi deviendra automatisé auront besoin d’une nouvelle formation, tandis que ceux qui conserveront leur emploi devront être reformés régulièrement, question de rester au fait des dernières technologies.
Entre 2030 et 2035, nous verrons les gouvernements octroyer des subventions universelles pour les études postsecondaires et pour certains programmes universitaires, car ils seront confrontés à cet enjeu sociétal pressant d’améliorer les connaissances et les compétences techniques de la population. Bien que ce soit difficile à croire aujourd’hui, la même chose s’est produite il y a un demi-siècle, lorsque les gouvernements ont décidé de subventionner totalement les études secondaires afin de préparer les étudiants à la nature changeante du monde du travail.
L’ubérisation du marché du travail et la montée d’une économie plus souple
*Plus que jamais, l’automatisation remplace les travailleurs peu spécialisés et, à mesure que le surplus de main-d’œuvre se fait sentir sur le marché du travail, les entreprises ont la possibilité d’engager des travailleurs à temps partiel pour faire des économies.
*Les nouveaux algorithmes de recrutement du personnel permettent aux entreprises d’engager des travailleurs de façon plus efficace dans les périodes de pointe saisonnières et les coûts fixes liés à la main-d’œuvre deviennent variables.
*Les plateformes numériques de la Silicon Valley, comme Uber et Postmates, ont créé une économie à la demande pour répondre aux besoins immédiats des consommateurs.
Voici quelques-unes des nombreuses tendances qui vont contribuer à la réduction graduelle du pourcentage d’emplois à temps plein sur le marché de travail dans la prochaine décennie.
Encore une fois, ce n’est pas la quantité de travail qui va changer, mais la complexité. De plus en plus de travailleurs devront apprendre à cumuler plusieurs emplois à temps partiel ou à gérer leur propre service à la pige.
La survie sur le futur marché du travail
Force est de constater que la plupart des emplois et des industries de base ont déjà été inventés. Les innovations futures (ainsi que les industries et les emplois qui en découleront) résident à la croisée des chemins de plusieurs disciplines que l’on croyait entièrement autonomes.
Si les étudiants d’aujourd’hui veulent se tailler une place de choix sur le marché du travail du futur, ils devront avoir un esprit universel et posséder un ensemble varié d’intérêts et de compétences générales et spécialisées. Les personnes ayant ce profil multidisciplinaire sont les plus qualifiées pour trouver des solutions originales à des problèmes tenaces. Elles constituent une valeur ajoutée de faible coût, car leurs besoins de formation sont moindres, leur capacité d’adaptation est utile à bien des égards et leurs compétences variées sont applicables dans plusieurs domaines et industries, faisant d’elles des personnes résilientes aux changements du marché du travail.
Le futur appartient au super professionnel – cette nouvelle espèce de travailleur qui possède une variété de compétences et qui apprend rapidement, selon les demandes du marché. Plus tôt nous formerons et éduquerons les étudiants canadiens avec cet objectif en tête, mieux se portera l’économie canadienne dans les décennies à venir.
David Tal est le cofondateur et président de Quantumrun Forecasting, une agence de recherche et de consultation qui utilise les prévisions stratégiques à long terme pour aider les organismes à bénéficier des nouvelles tendances. Apprenez-en plus au : http://www.quantumrun.com/consulting.