Le conseiller d’orientation et les tests
Par Doria Ross
Le recours aux résultats de tests, d’inventaires, d’échelles, etc. dans la pratique de l’orientation scolaire et professionnelle s’avère une tâche minutieuse et ardue qui justifie un questionnement rigoureux.
En effet, la communication des résultats de tests au client exige une préparation, une vérification, une séquence, une stratégie et une façon d’introduire l’entrevue, très minutieuses. La pratique du testing est très complexe et les professionnels qui s’y adonnent doivent entreprendre une démarche rigoureuse en adoptant un esprit critique. C’est le message que livrent deux professeurs de l’Université de Sherbrooke, Marie-Chantal Guédon, psychologue et spécialisée dans l’application de la psychométrie, et Réginald Savard, spécialisé en counseling d’orientation. Ils ont uni leur expertise pour tenter de justifier l’intégration de la psychométrie en counseling d’orientation, en publiant Tests à l’appui, aux Éditions Septembre, en 2000.
En lisant ce livre, on perçoit une sorte de tiraillement entre la psychologue qui connaît très bien les faiblesses des instruments de mesure psychique que sont les tests, au sens large, et le conseiller d’orientation qui veut les intégrer dans ses interventions de counseling. Pour respecter une certaine rigueur, les auteurs nous servent des mises en garde et fixent des exigences élevées au sujet du recours aux tests. Mais ils n’ont pas réussi à me convaincre du bien-fondé de l’utilisation des tests dans une relation d’aide. Ce qui aurait pu se présenter comme une recension d’écrits devient une sorte de plaidoyer contre l’utilisation des tests en orientation, à l’aide de Tests à l’appui, d’où sont tirées les citations paginées dans ce texte.
Dans l’introduction, les auteurs notent, au passage, « l’incompatibilité perçue par de nombreux professionnels du counseling entre le recours aux instruments normatifs que sont les tests et la philosophie du processus de relation d’aide », avant de livrer le constat suivant : « La pratique du counseling met en effet l’accent sur l’expérience subjective comme point central de l’intervention. Elle invite aussi l’intervenant à être au cœur du processus de relation d’aide et ainsi à devenir son propre instrument de travail. La psychométrie est alors reléguée au second rang, sinon complètement évincée » (p. 9). Mais les auteurs tenteront quand même de démontrer l’utilité des tests en counseling d’orientation.
Il faut reconnaître, au préalable, que les instruments de mesure psychique, tels les tests, les inventaires et les échelles, sont des instruments de mesure indirecte qui s’inspirent du modèle stimulus-réponse1. Les auteurs de Tests à l’appui le répètent : « Un score de test n’est jamais une mesure directe et précise » et « l’information qui en découle a donc un caractère partiel, imprécis et plus ou moins temporaire » (p. 13). De plus, « les résultats de tests ne fournissent au mieux que des indications imprécises et limitées sur les caractéristiques d’une personne » (p. 47-48). Et les auteurs conseillent de noter au client « l’imprécision qui entoure toujours les résultats de tests et le caractère limité de ceux-ci » (p. 55).
Non seulement les tests dits d’orientation sont moins valables qu’on ne le croit généralement, mais ils peuvent être affectés par divers biais dus à leur structure, à cause des choix forcés, dus à la perception du répondant qui se dit « Ça dépend », dus à la clé de correction établie en référence à un groupe et non pas à un individu, dus à la désirabilité sociale, à l’état du client, etc. Un inventaire d’intérêts, par exemple, pourrait reconnaître des intérêts significatifs à une personne même si elle n’en n’a pas, ce que Ned Herrmann explique par l’effet de préférences cérébrales qui seraient en opposition. Se fier à de tels résultats artificiels et factices conduirait à une sorte de désorientation du client. De même, la technique du choix forcé peut pousser le client à inscrire trop de choix ou de préférences qui ne lui conviennent pas précisément de sorte que le profil final aura forcément tendance à biaiser sa réalité.
De plus, les tests fournissent un instantané, à un moment donné, dans la vie d’une personne. Leur utilisation représente certains dangers que soulignent Guédon et Savard en servant une mise en garde aux utilisateurs : invalider sa perspective personnelle, bloquer sa réflexion (p. 19), perte de cohésion interne (p. 34, 35), dissonance affective (p. 38), perception menaçante du test (p. 39), effets imprévus d’informations bouleversantes (p. 40), impact négatif sur la motivation ou l’image de soi (p. 52), situations particulières vécues au moment de la passation du test (p. 21).
Par exemple, les élèves qui éprouvent un sérieux problème d’orientation sont souvent confrontés à un autre problème de réussite scolaire. Or, une expérience d’échecs à des examens objectifs peut se transposer négativement dans la réussite d’un test dont la structure est similaire, provoquer une sorte de blocage affectif et contribuer à invalider les résultats.
Quoique les informations tirées des tests « peuvent être utiles », « peuvent faciliter la réflexion », « peuvent aussi faciliter le travail du conseiller » (p. 11), par contre, « si le recours à des tests enrichit un processus, il ne contribue pas nécessairement à simplifier le travail du conseiller » (p. 15). De fait, leur utilisation requiert beaucoup de temps, de préoccupation et de minutie. Le conseiller doit préparer le client, s’assurer de ses bonnes dispositions (p. 23), administrer l’instrument, le corriger et s’enquérir des réactions du client. Puis le conseiller doit entreprendre « un travail approfondi touchant l’interprétation des résultats » (p. 27), « saisir la nature de l’information » provenant des résultats du test, l’interpréter objectivement, mettre les résultats en relation avec la réalité du client et « recadrer cette information en fonction des besoins particuliers » (p. 29) du client. De plus, le conseiller doit rechercher les indices (éléments ou incidents tels que l’état de santé) qui pourraient invalider les résultats du test et expliquer la non-concordance entre ce que le conseiller a appris de son client et ce que les résultats du test révèlent. L’analyse de cette adéquation permettra au conseiller « soit de confirmer et d’enrichir les indications découlant de l’instrument utilisé, soit de les nuancer ou même de les remettre en question » (p. 29). Quel serait alors le véritable but du counseling?
S’agit-il de valider la perception qu’a le conseiller de son client, au moyen des résultats d’un test, ou de valider les résultats d’un test au moyen de la perception du conseiller et du client?
Si les auteurs de Test à l’appui semblent, ici, enlever du pouvoir aux tests, plus loin ils leur accordent une grande importance en concevant les résultats de tests comme un critère d’évaluation du client, car « souvent, son appréciation concorde sur plusieurs points avec les résultats de tests, ce qui valide sa réflexion et renforce une image positive de soi comme personne capable de se décrire ou de juger de ce qui lui convient » (p. 60). Cette appréciation du client est obtenue sous forme d’auto-évaluation à partir des paramètres du test. Une mise en garde s’impose.
Si l’entrevue se déroule en référence aux résultats de tests, au lieu de se référer au vécu du client, plus dynamique, plus complet, plus significatif de ce qu’il est devenu, le risque est grand d’accorder plus d’importance aux résultats des tests qu’au client lui-même. L’introduction d’une sorte d’interface (les tests) entre le conseiller et le client, dans une relation d’aide, risque de dévaloriser le counseling qui doit être centré sur le client, compte tenu de la valeur exagérée qu’accordent naïvement les gens aux tests.
Le but principal du recours au testing serait la connaissance de soi. Or, « selon Martinot, les individus apprennent à se connaître grâce à l’introspection, grâce au traitement qu’ils font des souvenirs des événements passés organisés autour des croyances qu’ils ont d’eux-mêmes » (p. 11). C’est par l’analyse du vécu du client, en l’aidant à donner du sens à son vécu, en travaillant avec sa réalité, compte tenu de ses expériences, que le conseiller amène la personne à se connaître et à se reconnaître telle qu’elle est pour mieux se projeter dans l’avenir.
Quant à la prédiction, il est connu que c’est la plus grande faiblesse des tests. Leur capacité de prévision se limite au court terme comme les cotes à la bourse ou les prévisions météorologiques. Le meilleur prédicteur de la réussite, c’est la réussite vécue. Au lieu de confronter les perceptions qu’a le client de lui-même, avec des résultats de tests, ne serait-il pas plus « professionnel » et efficace de les confronter avec son vécu, sa réalité? En faisant l’analyse de son vécu avec le conseiller, le client découvre graduellement sa propre identité, la comprend, lui donne un sens et la connaissance de soi qu’il acquiert est un aboutissement logique d’une démarche cohérente centrée non pas sur des résultats artificiels de tests, mais sur lui-même, sur sa réalité, sur son vécu.
De toute façon, si les résultats de tests correspondent aux caractéristiques que le client a révélées de lui-même, c’est qu’il se connaît bien et les tests sont inutiles. Si, au contraire, les résultats de tests ne correspondent pas aux caractéristiques du client, il faut alors les nuancer et même les rejeter (p. 29). Ils seraient donc inutiles. Pourquoi s’entêter à dresser un écran, les tests, entre le conseillé et le conseiller? D’une part, on tente de convaincre le client qu’il est capable de prendre une décision, qu’il a les ressources, qu’il est responsable, etc. et, d’autre part, il apprend qu’on doit utiliser un instrument étrange pour lui révéler ce qu’il est et ce qu’il doit faire. Si après avoir vécu avec lui-même durant 20, 30, ou 40 ans, il n’a pas appris à se connaître, aussi bien le référer à un psychologue dont la place du testing, dans sa formation universitaire, est plutôt culturelle.
En préférant l’approche psychométrique à l’approche analytique, en orientation, on risque de métamorphoser le processus dit d’orientation en procédés et procédures. Craignant que des « mécaniciens du testing » s’improvisent conseillers d’orientation, l’OPCCOQ2, voulait exiger que l’utilisation des tests (passation, correction, interprétation, communication des résultats) non seulement ne soit autorisée qu’à des experts, notamment les c.o., mais devienne un acte dit professionnel, protégé, comme le diagnostic et la prescription de médicaments chez les médecins. D’aucuns comparaient le recours aux tests par les c.o. à la pratique médicale qui établit des diagnostics à partir des résultats de tests.
Les instruments de mesure psychique, dits tests d’orientation, sont, de par leur nature, rappelons-le, des instruments de mesure indirecte, calqués sur un modèle de stimulus- réponse, qui donnent des mesures inévitablement imprécises, partielles et limitées. Alors que les instruments de mesure utilisés en médecine pour confirmer ou établir un diagnostic sont généralement des instruments de mesure directe dont la précision se raffine de plus en plus avec le développement de la recherche en sciences biologiques et neurologiques.
Un autre problème dont l’importance est négligée, c’est la validité de certains tests utilisés par les professionnels de l’orientation. Ce n’est pas parce qu’un instrument d’investigation psychique devient populaire auprès des utilisateurs qu’il devient par le fait même valide. Si les données recueillies pour valider un instrument de mesure ne sont pas valables, non représentatives, faute d’un échantillon dûment constitué ou d’une méthodologie dûment éprouvée, par exemple, tout traitement statistique si poussé soit-il (régression multiple, analyse factorielle, etc.) ne réussira pas à les améliorer ni à les corriger. On donnera l’illusion de la rigueur scientifique.
Il existe des tests, dit-on, dûment validés. D’accord. Ils ont été validés à partir de groupes de personnes échantillonnées ou, souvent, sur des groupes de personnes disponibles au moment de l’étude. Admettons que la validité de l’instrument a été établie de façon rigoureuse. Il faut retenir que cette validité a été calculée de façon réductrice, à partir de la moyenne du groupe utilisé. Les extrêmes, de part et d’autre de la moyenne, ne partagent pas nécessairement les caractéristiques de la moyenne. Ils sont des marginaux. Ce sont eux qui viennent le plus souvent consulter un conseiller. Il s’ensuit que la pratique du counseling orientée, appuyée ou soutenue par des résultats de tests accuse des dérives et des égarements avec une clientèle marginale.
Et puis, il y a la magie des chiffres. Eli Devons, cité par Mintzberg (p. 81), traitait « De l’utilité douteuse des données quantitatives: « une fois qu’un nombre était écrit […] il était rapidement accepté comme « le nombre sur lequel on est d’accord », dans la mesure où personne n’était capable de développer des arguments rationnels montrant qu’il était inexact […]. Et une fois que les nombres étaient appelés « statistiques », ils acquéraient l’autorité de l’Écriture sainte » (p.155). Et Mintzberg de conclure : « Enfin, bien que les données quantitatives puissent informer l’intellect, ce sont pour une large part les données qualitatives qui engendrent la sagesse ».
Il y a eu des initiatives d’innovation prometteuses dans certaines universités ainsi que dans certains cégeps, mais la recherche fondamentale en orientation fait défaut pour soutenir un cadre de référence conceptuel éprouvé. Cependant, Virginie Brodeur et Louis Cournoyer nous présentent, dans le Bulletin d’OrientAction printemps 2011, une initiative novatrice fort intéressante en intégrant deux approches soutenues par la psychologie positive, l’une orientée vers les solutions et l’autre visant l’analyse de projets personnels. Ils nous proposent un cadre de référence conceptuel pour entreprendre « une démarche type de counseling de carrière », soit la deuxième génération de counseling.
Mais la croyance à la vertu des résultats de tests est résistante, faute de preuves objectivement établies, à la suite d’études longitudinales, pour démontrer l’échec du recours au testing dans la pratique de l’orientation. Car si un client, « orienté » à coup de résultats de test, s’avère mal orienté par la suite, c’est sa faute à lui : il n’a pas répondu honnêtement, son identité du moi n’est pas structurée, il est ambivalent, etc. Les tests ne mentent pas, dit-on.
Nonobstant les arguments, les considérations, les dénonciations qui précèdent, soyons bons princes, portons-nous à la défense des inconditionnels du testing qui accordent une valeur « indéniable » aux résultats des instruments de mesure psychique. Pour justifier le recours aux tests, je vais utiliser une histoire de Karl Weick, rapportée par Henry Mintzberg (p. 169).
Les soldats d’une unité militaire s’étaient perdus dans les Alpes à la suite d’une grosse tempête de neige. Le troisième jour ils réapparurent à leur base et expliquèrent:
Convaincus que nous étions perdus, nous nous préparions pour notre fin. Puis l’un de nous a trouvé une carte dans sa poche et cela nous a tranquillisés. Nous avons dressé nos tentes et attendu la fin de la tempête, puis nous avons découvert notre position sur la carte. Et nous voilà. Le lieutenant [qui avait envoyé l’expédition] demanda cette carte remarquable et l’étudia. Il découvrit à son grand étonnement que ce n’était pas une carte des Alpes, mais une carte des Pyrénées (p. 54).
Mintzberg en déduit que lorsqu’on « est perdu, n’importe quelle carte fait l’affaire! Autrement dit, une représentation intellectuelle erronée vaut mieux qu’une absence de représentation puisque, au moins, elle constitue un encouragement et peut pousser à l’action ».
Ainsi en est-il des résultats de test. Même erronés, ils peuvent aider le client… perdu. Le client est-il vraiment ce qu’on laisse croire qu’il est? En partie, peut-être, mais en totalité? Peu importe, il a enfin appris ce qu’il est et c’est rassurant, il est devenu quelqu’un.
Que votre conscience déontologique dorme en paix, chers utilisateurs de tests. Vous pouvez quand même aider vos clients.
1 – On le rappelle aux profanes, la réponse que fournit le client, dans un test ou un examen, ce n’est pas la réponse à une question mais bien à un stimulus, selon un modèle behavioriste. En effet, tous les items ou éléments d’un test ne sont pas présentés sous forme interrogative.
2 – Ordre professionnel des conseillers et conseillères d’orientation du Québec, devenu l’ordre des conseillers et conseillères d’orientation et des psychoéducateurs et psychoéducatrices du Québec, OCCOPPQ. (Ces deux ordres ont « divorcé » en décembre 2010, retrouvant ainsi leur propre identité et leur autonomie).
3 – Toutes les pages citées dans le texte font référence au livre de Marie-Chantale Guédon et Réginald Savard intitulé « Tests à l’appui » publié chez Septembre éditeur en 2000.
Références:
Langlois, Jacques. L’Orientation, mode d’emploi. Renouveau pédagogique Inc. 2010
Mintzberg, Henry et al. Safari en pays stratégie. Village mondial. 1999.
Weick, Karl E. Cartographic Myths in Organization. Wiley. 1990.
Doria Ross, docimologue est Professeur retraité de l’UQAM.
Courriel: ross.doria@uqam.ca