Par Deirdre A. Pickerell

Quels conseils donner en cette époque de contrats temporaires et de travail autonome?

Partout, le monde du travail se transforme. Certains emplois disparaissent, d’autres sont entièrement repensés, et d’autres encore n’existaient pas hier. Souvent, ces changements découlent des progrès technologiques, mais ce n’est pas toujours le cas. La mondialisation de l’économie et les nouvelles exigences des consommateurs ont également une incidence sur les méthodes et les lieux de travail. De nos jours, la plupart des travailleurs peuvent s’attendre à changer plusieurs fois de rôle, d’emploi, d’employeur ou même de carrière au cours de leur vie active (Kasriel, 2016). Les contrats temporaires et le travail autonome sont de plus en plus courants dans ce qu’on appelle souvent « l’économie d’engagements » (ou Gig Economy en anglais). Pour certains, cette façon de travailler offre plus de liberté, de souplesse et d’équilibre entre le travail et la vie personnelle. Elle favorise aussi l’engagement et offre plus d’occasions d’apprendre et de croître, car les gens créent le travail qui les intéresse. Pour d’autres, toutefois, ce type de travail est synonyme de précarité, car il implique de trouver suffisamment d’engagements pour survivre, et de se débrouiller sans les protections de base offertes aux employés (p. ex. indemnisation des accidents du travail, assurance-emploi; Zizys 2014).

Même si certains considèrent l’économie des emplois contractuels comme relativement nouvelle, il s’agit, sous bien des aspects, d’un phénomène connu qui a pris une forme différente. Le travail autonome, par exemple, existe depuis des décennies, et il constitue la norme dans de nombreux domaines professionnels (p. ex. photographes, artistes, musiciens, journalistes, coiffeurs qui louent leur poste de travail). Ce qui est nouveau, c’est à quelle vitesse le travail autonome devient courant; dans un article récent, on mentionne que les travailleurs autonomes pourraient bientôt représenter 50 % de la main-d’œuvre aux États-Unis (Kaufman, 2013). C’est beaucoup plus que les 10 à 15 % estimés aussi récemment qu’en 2008 (Hartog, van Praag, et van der Sluis, 2008). Alors que l’économie d’engagements prend de l’ampleur, les leaders d’opinion commencent à se demander qui s’en sort le mieux et qui est le plus à risque; la réponse n’est pas évidente, et elle ne le sera peut-être jamais.

La constante transformation du travail influe aussi sur les professionnels du développement de carrière (PDC). Leur carrière et leur environnement de travail sont également touchés par cette transformation, et ils doivent donc trouver comment servir leurs clients de façon efficace et éthique dans ce contexte en rapide évolution. Tout comme les clients qu’ils servent, certains PDC adoptent rapidement les nouvelles méthodes de travail, considérant l’économie d’engagements comme riche de possibilités. D’autres regrettent la disparition du modèle d’emploi traditionnel. Ces attitudes opposées quant au meilleur type d’emploi peuvent influer sur la pratique de chacun. Par exemple, un PDC qui privilégie un type de travail particulier peut négliger de présenter d’autres possibilités pertinentes à son client. Cette façon de faire est contraire aux principes d’intégrité, d’honnêteté et d’objectivité qui régissent le travail des PDC (voir Canadian Standards and Guidelines for Career Development Practitioners, 2004).

Les conseils suivants peuvent aider les PDC à réfléchir à ce que pourrait être la pratique éthique dans l’économie d’engagements.

  1. Restez à jour. Participez à des congrès, suivez des webinaires, lisez la documentation pertinente, et inspirez-vous des leaders d’opinion. Assurez-vous de bien connaître les idées qui circulent au sujet du marché du travail et des pratiques éthiques. Ne limitez pas vos explorations à un seul côté de la médaille; cherchez toujours le juste milieu entre le pour et le contre.
  2. Soyez au fait du contexte local. En plus de rester à jour, les PDC doivent aussi interpréter ce qu’ils apprennent en fonction de leur contexte local. Dans certaines régions, pratiquement tout le travail disponible peut relever de l’économie d’engagements; dans d’autres régions, le nombre d’engagements peut être limité par divers règlements ou par le type d’entreprises qui s’y trouvent. La terminologie peut aussi varier d’un endroit à l’autre; on parle peut-être plus de travail à la pige que d’engagements.
  3. Apprenez le jargon en vigueur. Un engagement peut être un contrat, un poste temporaire ou un travail à la pige; malheureusement, la terminologie n’est pas uniforme, ce qui peut provoquer de la confusion chez les PDC comme chez leurs clients. Dans certains cas, le terme « boulot » peut faire référence à la façon dont on trouve un travail (p. ex. au moyen d’une application Web), et non à la relation de travail. En somme, il importe de bien comprendre l’information que vous recevez, et de bien la traduire au profit de vos clients.
  4. Allez au-delà de votre code de déontologie. Quand ils font face à un dilemme, les PDC consultent leur code de déontologie. Toutefois, de nombreux codes ont du retard sur la réalité; ils ne prévoient pas certaines situations nouvelles. Le cas échéant, les PDC doivent donc aller au-delà de leur code de déontologie, tout en s’en inspirant. L’utilisation d’un modèle de prise de décisions éthiques aidera les PDC à explorer les diverses solutions possibles (voir « Ethical Decision-Making Model » dans les Canadian Standards and Guidelines for Career Development Practitioners, 2004).
  5. Considérez les autres compétences dont vos clients pourraient avoir besoin. Dans le contexte de l’économie d’engagements, les PDC peuvent devoir aider leurs clients à acquérir des compétences autres que celles que les employeurs exigent, notamment dans les domaines du marketing, de la gestion financière et de l’entrepreneuriat. Les PDC peuvent également devoir rappeler à leurs clients l’importance de l’éducation permanente.
  6. Soyez attentif à vos convictions et préjugés. Le rôle d’un PDC n’est pas de conseiller ni de déconseiller un certain type d’emploi; les PDC doivent être conscients de leurs convictions et de leurs préjugés relatifs à l’économie d’engagements, et de leur incidence sur la façon de servir leurs clients. Cherchez à rester neutre, et encouragez vos clients à faire leurs propres recherches.
  7. Considérez l’éthique de la promotion. Dans son article intitulé The Ethics of Advocacy: Channelling Outrage to Champion Change, Roberta Neault (2008) offrait ses conseils aux PDC intéressés à promouvoir des changements systémiques dans leur milieu de travail. Les PDC qui croient que l’économie d’engagements précarise les travailleurs voudront peut-être étudier la façon de promouvoir le changement. À l’inverse, les PDC qui ont adopté ce type de travail peuvent vouloir parler de leur expérience, afin de contribuer à un important débat.
  8. Soyez ouvert aux possibilités. Le travail à la pige peut souvent mener à une relation plus permanente avec un employeur. Au cours de ma propre carrière, un seul contrat de 2 heures (un « engagement » ponctuel sans suites prévues) m’a finalement valu plus de 15 ans de travail à Life Strategies Ltd., un petit cabinet de consultants primé pour son excellent travail dans le secteur du développement de carrière. Mon histoire n’est pas unique; un seul petit contrat offre souvent des débouchés inattendus.
  9. Éduquez vos clients et les employeurs. Il n’est pas très éthique d’embaucher des pigistes simplement pour éviter de payer des charges sociales ou d’avoir à respecter des normes d’emploi. En fait, dans certains cas, ce genre de pratique peut être carrément illégale. Par ailleurs, certains clients peuvent « travailler » à plein temps dans l’économie d’engagements, tout en recevant des prestations d’invalidité ou d’assurance-emploi; il s’agit bien entendu de comportements frauduleux. Faites la promotion des pratiques éthiques afin de contrer les travers de l’économie d’engagements.
  10. Donnez l’exemple. Le secteur du développement de carrière a connu et connaît encore des transformations incroyables. Les PDC peuvent devoir accepter la nature changeante de leur travail, en se concentrant sur les bienfaits des changements plutôt que sur leurs inconvénients. L’optimisme est considéré comme le meilleur indice de succès professionnel et de satisfaction au travail. Il appert aussi que l’espoir contribue grandement au développement de carrière. Les PDC qui envisagent l’avenir avec espoir et optimisme sont probablement plus susceptibles de transmettre ces sentiments à leurs clients.

Le plus important, c’est d’écouter attentivement l’histoire de chaque client. Soyez attentif à ses espoirs et à ses aspirations, de même qu’à ses craintes. Collaborez avec le client afin d’établir un objectif de carrière et un plan d’action qui répondent à ses attentes actuelles.

 

Deirdre Pickerell, CRHA, GCDF-i, est vice-présidente de Life Strategies Ltd. et doyenne des études à l’Université Yorkville, campus de la Colombie-Britannique. Elle a reçu le prix de leadership Stu Conger 2014 (développement de carrière et services de counselling) et le prix d’excellence 2006 de la Human Resources Professionals Association. Travailleuse autonome tout au long de sa carrière, Mme Pickerell a surtout décroché des contrats de travail temporaire au cours des 15 dernières années. Elle a donc fait partie de l’économie d’engagement bien avant que ce type d’économie soit bien connu.

Références

Canadian Standards and Guidelines for Career Development Practitioners (2004). Code of ethics.
Retrieved from career-dev-guidelines.org/career_dev/wp-content/uploads/2011/11/Doc-10-CODE-OF-ETHICS1.pdf

Kasrief, S. (2016). By 2030, will we all be our own boss? Retrieved from www.weforum.org/agenda/2016/11/by-2030-will-we-all-be-our-own-boss/

Kaufman, M. (2013). The gig economy: The force that could save the American worker?
Retrieved from www.wired.com/insights/2013/09/the-gig-economy-the-force-that-could-save-the-american-worker/

Hartog, J., van Praag, M., & van der Sluis, J. (2008). If you are so smart, why aren’t you an entrepreneur? Returns to cognitive and social ability: Entrepreneurs versus employees.
Retrieved from ftp.iza.org/dp3648.pdf

Neault, R. (2008). The ethics of advocacy: Channelling outrage to champion change.
Retrieved from ncda.org/aws/NCDA/pt/sd/news_article/5480/_PARENT/layout_details_cc/false

Zizys, T. (2014). Better work: The path to good jobs is through employers. Toronto, ON: Metcalf Foundation.
Retrieved from metcalffoundation.com/wp-content/uploads/2014/10/2014-10-02-Better-Work.pdf