Soutenir le développement de carrière des personnes autochtones, noires et de couleur
6 octobre, 2020Le numéro d’automne du magazine Careering explore le thème sur les super pouvoirs de carrière
7 octobre, 2020Un outil flexible permettant aux individus de se connecter à leurs intérêts et à leurs valeurs
Gabrielle Beaupré et Geneviève Taylor
Maya vient d’entamer sa deuxième session comme étudiante au baccalauréat en comptabilité. Elle est déçue de ses résultats scolaires et elle commence à douter de son choix de carrière. Elle se demande si elle sera assez performante pour éventuellement obtenir le titre professionnel qu’elle visait initialement. Elle s’inquiète beaucoup et ressasse souvent des pensées négatives. Depuis peu, elle éprouve des difficultés de sommeil et de concentration et ne voit plus ses amis autant qu’avant. Finalement, elle manque d’énergie pour toutes ses activités, incluant ses études et son travail à temps partiel.
Cette situation illustre bien les enjeux de santé psychologique présents chez les étudiants universitaires, alors que la proportion d’étudiants vivant du stress, de l’anxiété et de la détresse émotionnelle ne cesse d’augmenter (UEQ, 2019). À cela s’ajoutent les questionnements liés à la carrière, au choix de programme ou au cheminement professionnel, fréquents chez la population étudiante. Les résultats d’une enquête pancanadienne récente avancent que près de 40% des étudiants postsecondaires ont de la difficulté à gérer leurs problèmes liés à la carrière (ACHA, 2019). Ils vivent également de l’anxiété causée par un marché du travail de plus en plus instable et incertain et par une multitude d’opportunités, ce qui peut induire un sentiment de « paralysie » et d’insatisfaction chronique (Schwartz, 2004). Malheureusement, les professionnels des services d’aide aux étudiants en milieu universitaire dénoncent le manque de temps et de ressources pour accompagner adéquatement les étudiants (ASEUCC, 2013). Ils doivent donc compter sur de nouvelles approches pour renforcer l’autodétermination des étudiants dans leur réflexion sur l’avenir.
La mindfulness comme super-pouvoir
La mindfluness (présence attentive ou pleine conscience) apparaît comme un super-pouvoir pouvant aider les étudiants postsecondaires à faire face aux enjeux reliés à la carrière. La mindulness décrit généralement l’état de conscience d’une personne qui porte délibérément son attention sur son expérience (interne et externe), dans l’instant présent, sans jugement et avec acceptation (Kabat-Zin, 2003). Concrètement, une personne «mindful» a tendance à être plus attentive à ses pensées, ses émotions ou ses sensations, et ce avec acceptation et bienveillance. Comme un muscle que l’on exerce, la mindfulness peut être développée par le biais de diverses interventions prenant la forme de pratique personnelle ou de méditation guidées:
- exercices d’attention dirigée sur différents objets (respiration, sensations corporelles, cinq sens) ;
- exercices de l’attention dirigée sur les mouvements du corps ;
- exercices de compassion pour soi et pour les autres.
L’impact de la mindfulness sur le bien-être
Plusieurs études scientifiques ont démontré les liens entre la mindfulness et différents aspects du bien-être. D’abord, la mindfulness aide à développer la souplesse psychologique, un facteur important pour la santé mentale, permettant à l’individu de s’adapter à un changement ou une situation difficile (Kashdan & Rottenberg, 2010). Avec la COVID-19, certains auteurs se sont intéressés aux facteurs de résilience en contexte de pandémie. Ils ont décrit la mindfulness comme un mécanisme d’adaptation aidant les gens à être plus résilients face à l’incertitude (Polizzi, Lynn et Perry, 2020). En effet, la mindfulness encourage l’individu à se concentrer sur l’instant présent, ce qui atténue les ruminations du passé et l’anticipation négative du futur. De plus, les interventions basées sur la mindfulness permettraient de réduire le stress et les symptômes dépressifs des étudiants universitaires et les clients en orientation (Piot, 2020; Grégoire et al., 2016). Enfin, la mindfulness aiderait les étudiants à réguler leurs émotions lorsqu’ils traversent une impasse décisionnelle liée à leurs objectifs de carrière (Marion-Jetten, Taylor et Schattke, soumis).
« La mindfulness aide à développer la souplesse psychologique, un facteur important pour la santé mentale, permettant à l’individu de s’adapter à un changement ou une situation difficile. »
La mindfulness et la carrière
Au-delà des bienfaits sur le bien-être et sur la régulation des émotions, comment la mindfulness peut-elle agir comme super-pouvoir relié à la carrière?
Mieux se connaître
Premièrement, la mindfulness peut aider une personne à mieux distinguer ses valeurs fondamentales et les activités qui l’intéressent vraiment des attentes de la société ou de ses proches (Schattke, Taylor, & Marion-Jetten, 2020; Strick et Papies, 2017). Sachant qu’il existe plusieurs moyens de mieux se connaître, la mindfulness apparaît comme un outil supplémentaire. Elle améliore la capacité d’une personne à porter attention à tous les aspects de son expérience, tout en acceptant ce qui émerge au lieu d’essayer d’éviter (Carlson, 2013).
Par exemple, en portant attention à son corps, Maya pourrait réaliser qu’elle éprouve souvent des tensions dans les épaules lorsqu’elle pense aux examens pour devenir comptable. Elle pourrait aussi se rendre compte qu’elle a des pensées négatives durant ces moments et les observer pour voir ce que ça peut lui indiquer. En même temps, elle remarquerait qu’elle se sent ouverte et légère lorsqu’elle donne une présentation orale. Ces informations s’avèreront très utiles pour choisir le contexte de travail dans lequel elle sera satisfaite en tant que comptable.
Se fixer des buts de carrières autoconcordants
Deuxièmement, la mindfulness aiderait l’individu à se fixer des buts de carrière en lien avec ses véritables valeurs et intérêts. C’est ce qu’on appelle l’« autoconcordance des buts ». Ceux-ci naissent d’une motivation autodéterminée et sont essentiels pour le bien-être de l’individu (Deci, Ryan, Schultz et Niemiec, 2015). En effet, les résultats d’une série d’études longitudinales ont démontré que choisir un programme d’études en lien avec ses intérêts et ses valeurs peut diminuer la détresse psychologique, augmenter les résultats académiques et diminuer le risque de décrochage scolaire (Taylor et al., 2014).
En pratiquant la mindfulness, Maya pourrait réaliser qu’elle se préoccupe souvent de ce que les autres diraient si elle abandonnait son programme et si elle ne devenait pas comptable. Elle pourrait alors observer, sans jugement, que sa motivation envers son objectif de carrière n’est peut-être pas aussi autodéterminée qu’elle le croyait. Tel que mentionné précédemment, Maya pourrait aussi prendre conscience de ses véritables valeurs et de ce qui l’intéresse réellement. Cela pourrait l’amener à mieux préciser son objectif de carrière, et éventuellement s’engager dans un but de carrière plus autoconcordant.
Développer sa créativité
Finalement, la mindfulness favorise la créativité (Lebuda et al., 2016) sous toutes ses formes, ce qui permet à l’inidivu d’imaginer des possibilités nouvelles et innovantes lorsqu’il est confronté à des obstacles. Les études à ce sujet ont démontré que les gens trouvaient plus facilement des solutions à un problème lorsqu’ils avaient médité avant (Colzato et al. 2014 : Ding et al. 2015).
À ce titre, la mindfulness pourrait aider Maya à trouver des opportunités inédites pour surmonter les embuches liées à sa carrière.
Aider les étudiants universitaires grâce à la mindfulness
Comment les professionnels en développement de carrière peuvent-ils cultiver la mindfulness des étudiants universitaires ? D’abord, ils peuvent les encourager et les accompagner à observer et à reconnaître ce qu’ils vivent dans leur quotidien (pensées récurrentes, sensations physiques, émotions) et à accepter ces expériences avec bienveillance. Les étudiants universitaires pourraient capitaliser sur le développement de la mindfulness comme habileté, d’autant plus que sa pratique est adaptée et accessible malgré leur horaire chargé. Plus que jamais, l’orientation professionnelle apparaît comme un processus continu tout au long de la vie, et non comme une étape fixe temporellement. Ainsi, la mindfulness représente une habileté « évolutive », étant donné qu’elle se développe au fur et à mesure que l’étudiant évolue en interaction avec le marché du travail.
La mindfulness comme superpouvoir lié à la carrière est donc un outil supplémentaire permettant d’atténuer les émotions négatives généralement associées aux questionnements à ce niveau. Puisqu’elle favorise un meilleur accès à ses intérêts à ses valeurs, à ses pensées récurrentes, à ses sensations et à ses émotions, elle permet à l’étudiant de faire des choix cohérents et de mieux s’adapter aux obstacles, même après avoir gradué.
Gabrielle Beaupré, M.A., c.o, est étudiante au doctorat en éducation à l’UQAM. Elle s’intéresse à la présence attentive, à la motivation envers les buts de carrière et au bien-être auprès des étudiants universitaires. Son projet doctoral est financé par les Fonds de Recherche du Québec Société et Culture.
Geneviève Taylor, Ph.D., est professeure en counseling de carrière au département d’éducation et pédagogie à l’Université du Québec à Montréal, ainsi que chercheure au sein du Groupe de recherche et d’intervention sur la présence attentive (GRIPA). Ses recherches portent sur le rôle de la présence attentive et les processus motivationnels reliés à la carrière.
Références
American College Health Association. (2019). American College Health Association-National College Health Assessment II: Canadian Reference Group. Hanover : American College Health Association.
Association des services étudiants des universités et collèges du Canada (ASEUCC). (2013). Post-Secondary Student Mental Health: Guide to a Systemic Approach.
Carlson, E. N. (2013). Overcoming the Barriers to Self-Knowledge : Mindfulness as a Path to Seeing Yourself as You Really Are. Perspectives on Psychological Science, 8(2), 173‑186.
Colzato, L.S., Szapora, A., Lippelt, D. et Hommel, B. (2014). Prior meditation practice modulates performance and strategy use in convergent- and divergent-thinking problem. Mindfulness. http://dx.doi.org/10.1007/s12671-014-0352-9 (online publication ahead of print).
Deci, E. L., Ryan, R. M., Schultz, P. P. et Niemiec, C. P. (2015). Being aware and functioning fully. Handbook of mindfulness: Theory, research, and practice, 112-129.
Ding, X., Tang, Y., Deng, Y., Tang, R., et Posner, M.I. (2015). Mood and personality predict improvement in creativity due to meditation training. Learning and Individual Differences, 37, 217–221.
Grégoire, S., Lachance, L. et Richer, L. (2016). La présence attentive, mindfulness. État des connaissances empiriques et pratiques. Montréal : Presses de l’Université du Québec.
Kabat-Zinn, J. (2003). Mindfulness-based interventions in context : Past, present, and future. Clinical psychology: Science and practice, 10(2), 144–156.
Kashdan, T. B. et Rottenberg, J. (2010). Psychological flexibility as a fundamental aspect of health. Clinical Psychology Review, 30(7), 865-878.
Lebuda, I., Zabelina, D. L., & Karwowski, M. (2016). Mind full of ideas: A meta-analysis of the mindfulness–creativity link. Personality and Individual Differences, 93, 22-26.
Piot, F. (2020). Projet Oreka : essai randomisé contrôlé destiné à évaluer l’impact d’ateliers issus de l’approche d’acceptation et d’engagement sur la souplesse psychologique, le bien-être psychologique et l’espoir chez des individus confrontés à une impasse professionnelle [The Oreka Project : Randomised controlled trial to evaluate the impact of workshops based on Acceptance-Commitment Therapy on psychological flexibility, psychological well-being, and hope among people experiencing a professional impasse]. [Unpublished doctoral dissertation]. Université du Québec à Montréal.
Polizzi, C., Lynn, S. J., & Perry, A. (2020). Stress and Coping in the Time of COVID-19: Pathways to Resilience and Recovery. Clinical Neuropsychiatry, 17(2).
Schwartz, B. (2004). The paradox of choice : Why more is less (Vol. xi). HarperCollins Publishers.
Strick, M. et Papies, E. K. (2017). A Brief Mindfulness Exercise Promotes the Correspondence Between the Implicit Affiliation Motive and Goal Setting. Personality and Social Psychology Bulletin, 43(5), 623‑637.
Taylor, G., Jungert, T., Mageau, G. A., Schattke, K., Dedic, H., Rosenfield, S. et Koestner, R. (2014). A self-determination theory approach to predicting school achievement over time : The unique role of intrinsic motivation. Contemporary Educational Psychology, 39(4), 342‑358. https://doi.org/10.1016/j.cedpsych.2014.08.002
Union étudiante du Québec. (2019). Enquête « sous ta façade » : enquête panquébécoise sur la santé psychologique étudiante.