Par Steeven Bernier

Durant la dernière année, plusieurs d’entre-nous ont entendu des histoires dans les médias de personnes qui ont perdu leur emploi et qui se sont reconvertis professionnellement pour aller prêter main forte au système de la santé. Cependant, les conditions de travail dans le domaine de la santé semblent s’être dégradées partout dans le monde. Les grands titres des journaux en font foi : « Manque de reconnaissance, conditions de travail : ces infirmiers ne veulent plus travailler à l’hôpital ». Or, dans ce contexte, plusieurs professionnels de la santé qui y étaient déjà depuis plusieurs années décident de quitter leur emploi et changer de métier. Dans ce contexte, il apparaît donc que les professionnels du domaine de l’orientation et du développement de carrière auront à rencontrer ces clients prochainement, si ce n’est pas déjà le cas actuellement. Or, au-delà de ce changement de cap pour ces-derniers, il importe de comprendre le contexte les ayants menés à cette prise de décision.

La pandémie ainsi que les stratégies visant à la contrer (couvre-feu, confinement, etc.) ont entraîné une augmentation des taux de troubles mentaux, sans compter l’augmentation de la détresse psychologique, des problèmes d’insomnie, d’idées suicidaires et de consommation de substance, entre autres, chez les professionnels de la santé (Cénat, 2020; Cénat et al., 2020). Chez ceux-ci, mentionnons que même en période hors pandémie, ils sont plus à risque que la population générale d’avoir des troubles mentaux, d’être sousdiagnostiqués et d’être sous-traités (El-Hage et al., 2020). Or, plusieurs facteurs reliés à la pandémie peuvent influencer l’état psychologique des professionnels de la santé. Mentionnons principalement l’exposition directe aux patients ayant une charge virale haute, l’exposition au risque de contamination, l’épuisement physique, la réorganisation des espaces de travail, l’adaptation à des organisations rigides de travail, la gestion de la pénurie de matériels, le nombre inhabituellement élevé de décès parmi les patients, des collègues ou des proches ainsi que des questions éthiques relatives à la prise de décision dans un système de soins en tension, être parents avec la crainte de contaminer ses enfants ainsi que la stigmatisation des soignants comme vecteurs potentiels de l’infection virale (El-Hage et al., 2020).

Or, le Canada ne fait pas exception à la réalité décrite précédemment. Effectivement, selon les données avancées par Statistique Canada récemment, 7 travailleurs de la santé sur 10 ont déclaré une détérioration de leur santé mentale pendant la pandémie de COVID-19 (Statistique Canada, 2021). Qui plus est, cette détérioration perçue est plus accrue chez les professionnels travaillant avec des cas confirmés ou soupçonnés de Covid-19. Ainsi, dans ce contexte anxiogène qui s’ajoute à un système de santé déjà éprouvé, de plus en plus de professionnels de la santé songent à se réorienter. Afin de diminuer l’impact psychologique de cette nouvelle réalité, différentes stratégies peuvent être utilisées. Mentionnons, du côté individuel, la présence de soutien social, le développement de la résilience ainsi que l’application des saines habitudes de vie qui peuvent contribuer positivement (Hage et al., 2020). Au-delà de ses stratégies visant à s’adapter, plusieurs d’entre-eux se questionneront sur leur carrière.

Il importe donc de comprendre la réalité de ces professionnels désirant changer d’emploi ou de profession afin de mieux intervenir auprès d’eux. Des éléments psychologiques, tels que ceux décrits précédemment, ont pu les amenés à cette décision ou, à tout le moins, à cette réflexion.

Steeven Bernier est chargé d’enseignement à la faculté des sciences infirmières de l’Université Laval ainsi que chargé de cours au département des sciences de la santé de l’UQAR, plus particulièrement pour les cours en lien avec la santé mentale. Il effectue actuellement une maîtrise en sciences de l’orientation. Sa recherche dans le cadre du mémoire porte sur les stratégies organisationnelles mises en place par les milieux de soins pour accompagner les infirmières ayant vécu un épuisement professionnel.

Références

Cénat, J.M., (2020). US deportation policies in the time of COVID-19: a public health threat to the Americas. Public Health. https://doi.org/10.1016/j.puhe.2020.05.017.

Cénat, J. M., Blais-Rochette, C., Kokou-Kpolou, C. K., Noorishad, P. G., Mukunzi, J. N., McIntee, S. E., … & Labelle, P. (2020). Prevalence of symptoms of depression, anxiety, insomnia, posttraumatic stress disorder, and psychological distress among populations affected by the COVID-19 pandemic: A systematic review and meta-analysis. Psychiatry research, 113599.

El-Hage, W., Hingray, C., Lemogne, C., Yrondi, A., Brunault, P., Bienvenu, T., … & Aouizerate, B. (2020). Les professionnels de santé face à la pandémie de la maladie à coronavirus (COVID-19): quels risques pour leur santé mentale?. L’encephale, 46(3), S73-S80.

Statistique Canada (2021). Répercussions de la COVID-19 sur les travailleurs de la santé : prévention et contrôle des infections (RCTSPCI). https://www.statcan.gc.ca/fra/enquete/menages/5340