Par Doria Ross

Les organismes d’aide au démarrage d’entreprise ont l’habitude d’administrer aux gens qui requièrent leurs services un « bon test diagnostic » pour vérifier leurs aptitudes entrepreneuriales. Est-ce vraiment efficace et nécessaire?

Faut-il le rappeler, les instruments d’investigation psychique (d’aucuns disent psychologique), tels les tests, les inventaires, les échelles sont des instruments de mesure indirecte conçus selon un modèle behavioriste, stimulus-réponse (les réponses à un test, comme à un examen, ne sont pas des réponses à une question mais bien à un stimulus, contrairement à la perception populaire). Il s’agit d’instruments imprécis dont la mesure est généralement peu valide. Affirmer que « le test dressera un portrait juste de la personne » et que « les tests de psychométrie constituent le seul moyen infaillible (sic) de déterminer les motivations intrinsèques d’un candidat » (lu dans le Journal des Affaires) relève d’une sorte de crédulité naïve.

Habituellement, les conseillers utilisent des tests et autres instruments similaires pour recueillir des informations sur le client afin d’évaluer ses intérêts, ses aptitudes, ses comportements, son potentiel etc., et de prédire ses possibilités de réussite pour accomplir telles tâches ou telles activités, assumer des responsabilités, gérer une entreprise, etc. Or, il est connu que la plus grande faiblesse de ces instruments c’est la prédiction. Le danger existe qu’une approche psychométrique généralisée ait tendance à verser dans une sorte de fumisterie dont la première victime innocente serait le conseiller lui-même.

Un brillant professeur au programme de doctorat en Mesure et évaluation à l’Université d’Ottawa nous répétait : « A test is better than a guess ». Et moi de répondre: “So what ? »  Le « guess » c’est le propre d’un quidam qui ne sait pas. De toute façon, quiconque réfléchit sur l’incroyable complexité du cerveau humain qui gère des milliards de réactions neurologiques d’ordre chimique et électrique, cachant des potentiels  insoupçonnés qu’une occasion ou une situation révèlent soudainement, devient incroyant par rapport à la capacité des « tests » à révéler ce qui se passe entre les deux oreilles des gens. Ainsi en est-il des entrepreneurs. C’est dans l’action, dans une situation donnée, que se révèle le potentiel réel, et non pas dans les tests, comme c’est dans une situation donnée que se révèle le héros.

Il est connu qu’à la tête d’une entreprise il faut un duo complémentaire inséparable : un entrepreneur et un administrateur. Vite dit, le premier se préoccupe de vision, de stratégie, de développement, et le second s’occupe de l’organisation et des opérations. Rarement d’accord, ils génèrent une dynamique essentielle à la réussite de l’entreprise. Ils constituent une direction en équilibre. C’est le point de départ. En effet, la réussite en gestion d’entreprise est basée sur la gestion de l’équilibre. D’abord dans l’équipe de direction, puis entre la production et la consommation, entre le marketing et la force de vente, entre la pub, la R & D et la concurrence, etc.

Dans une recherche entreprise auprès de cinquante chefs de PME manufacturière (dûment sélectionnés) de la région de Montréal, j’ai découvert que seulement 22 % avaient le double profil entrepreneur et administrateur. Les autres auraient probablement intérêt, pour se faciliter la tâche, à bénéficier de l’aide d’un associé, d’un mentor, d’un conseiller, etc. dont les caractéristiques soient, de préférence, complémentaires.

L’inventaire des préférences cérébrales de Ned Herrmann, qui identifie le profil type de l’entrepreneur et de l’administrateur, entre autres, m’apparaît l’instrument le plus sérieux que je connaisse. L’hypothèse de base fut validée par cinq thèses de doctorat indépendantes. Quoique très intéressant, il n’est pas indispensable.

Il existe un merveilleux instrument qui permet aux gens de se connaître réellement, de s’auto-évaluer, de développer des habiletés de gestion de PME. De même que l’évaluation et la formation des pilotes d’avion passent nécessairement par le simulateur de vol, ainsi l’évaluation et la formation des chefs d’entreprise devraient passer par un simulateur de gestion d’entreprise. Cet instrument existe au Québec et des organismes d’avant-garde l’utilisent : l’Université de Sherbrooke en management, les commissions scolaires du Pays-des-bleuets et Harricana au DEP, le CLD d’Amos, etc.

Le simulateur reconstitue l’environnement décisionnel d’une gestion d’entreprise dans un marché concurrentiel affecté par l’évolution de l’économie et le comportement des entreprises impliquées. Comme il n’y a pas de « bonnes décisions gagnantes » inscrites dans le logiciel, la simulation ne se «  brûle » pas et les participants peuvent recommencer. C’est toujours nouveau. Les gens qui ont vraiment du potentiel entrepreneurial y prennent goût et veulent toujours recommencer. Je l’ai observé à maintes reprises. Et le complément de l’entrepreneur, l’administrateur, apprend à devenir un meilleur partenaire en saisissant l’ensemble complexe du problème à résoudre en gestion d’entreprises. De même, le choix d’un mentor, d’un associé, d’un conseiller devrait se faire en complémentarité des caractéristiques du chef d’entreprise.

S’il y a un domaine où l’innovation est incontournable, c’est bien dans l’entrepreneuriat. Devant le constat d’un déficit entrepreneurial au Québec, il est temps d’innover dans les moyens, dans les interventions, dans les actions. Un «  Québec plus entreprenant » devrait s’initier dans et par l’action.


Doria Ross est professeur retraité de l’UQAM.  À la fondation de l’UQAM, il a créé le baccalauréat en Information scolaire et professionnelle qui est devenu le baccalauréat en Développement de carrière. Il s’est impliqué activement dans la création de la maîtrise en Carriérologie après avoir fondé une revue francophone internationale Carriérologie. Il s’est également impliqué activement dans la conception, la production et la validation d’une simulation de gestion d’entreprise.