par Eric Damato, c.o.

Comment les gens tracent leur trajectoire professionnelle au fil du temps ? Débutent-ils leur intégration sur le marché du travail grâce à une occasion qui s’est présentée ? Un stage ? Une immersion socioprofessionnelle ? Un curriculum vitae envoyé ou une référence placée au bon moment ? De quelle manière orientent-ils par la suite leur choix professionnel ? En complétant une formation ? En consolidant leurs acquis ? En recherchant les occasions de gravir les échelons ou en changeant d’emplois ? En se réorientant ? Et, comment s’assurent-ils de réussir à réussir leur vie professionnelle et de pouvoir s’estimer satisfaits de l’ensemble de leur parcours vocationnel ?

Les intérêts professionnels

Le travail réflexif sous-jacent aux choix professionnels d’un individu requiert une capacité1 à identifier des tâches stimulantes, à rechercher un environnement de travail idéal ainsi qu’à réfléchir sur la façon de mettre à profit la manière d’accomplir, s’inspirant notamment de sa personnalité, les tâches associées aux activités professionnelles de ce dernier. Les auteurs pullulent en ce sens et les outils comme les tests psychométriques visent essentiellement à faire émerger ces caractéristiques afin de tracer une piste de réflexion carriérologique.

Est-ce que la personne se plaît dans des tâches créatives, dans la recherche expérimentale, dans des fonctions de gestion ou encore dans des activités manuelles ? Préfère-t-elle plutôt un travail routinier ? En équipe ou en solitaire ? Un environnement dynamique, formel ou encore orienté vers une cause sociale ? Ces questions, comme bien d’autres, constituent le fondement dialogique des aspects à considérer dans un contexte de réflexion vocationnelle. En parlant du principe de congruence, Holland2 établissait l’importance de se retrouver dans un milieu similaire à sa typologie, à ses caractéristiques personnelles. Ainsi donc, le pairage consiste à identifier les intérêts du client, à jumeler le plus fidèlement possible l’adéquation entre l’ensemble des caractéristiques identifiées (amalgame de préférences et de critères composant l’univers des intérêts personnels et professionnels) et à trouver l’équivalent en termes de profession sur le marché du travail.

Ainsi, plus on tend vers un métier ou une profession qui correspond à nos intérêts plus nous y trouverons un effet de compatibilité vocationnelle. Nous comprenons donc qu’une personne qui affectionne la relation d’aide, sous la forme de l’enseignement ou de la médecine, envisagera sans doute une profession d’enseignante au secondaire ou de technicienne en soins préhospitaliers à titre d’exemples. Si le pairage s’avère plus ou moins facile à établir, bien que le travail de réflexion implique une multitude de prises de conscience de soi envers soi, qu’advient-il des gens qui s’orientent en substituant, volontairement ou non, le choix professionnel pour un autre faisant en sorte que l’adéquation semble moins évidente à priori ?

La substitution de sens

Rivière3 écrivait que « […] la réussite est tout ce qui contribue à un épanouissement personnel. L’important, c’est de trouver un lieu de réalisation et je crois que cet objectif dure toute la vie. Sur le plan collectif, cela devient un principe écologique, c’est être du côté de la qualité de la vie, être du côté de la vie ». Partant du principe où l’objectif est effectivement d’éprouver un sentiment de réussite au plan professionnel, les gens tentent de trouver des emplois convenables en fonction de l’adéquation entre leurs intérêts et ce qu’offre le marché du travail. Ceux-ci définissent ainsi consciemment ce qu’est un emploi convenable jusqu’au moment où il ne l’est plus. Par contre, il y a d’autres personnes qui substitueront un choix « naturel », c’est-à-dire en s’orientant vers un autre type d’emploi plutôt que d’emprunter les chemins classiques.

Nous savons qu’habituellement une personne ayant un profil Investigateur manifestera une grande curiosité, aimera analyser, décortiquer, comprendre les choses, etc. Comme il existe plusieurs métiers en relation avec cette caractéristique, les choix peuvent être évidemment multiples comme c’est aussi le cas pour n’importe quel profil identifié. Mais justement, en tenant compte de cette caractéristique mise en évidence lors d’une réflexion vocationnelle, celle-ci ainsi que toutes les autres combinées, comment l’individu fixe-t-il enfin son choix de carrière dans une direction plutôt qu’une autre ? Plus précisément encore, quelle est la portée – par conséquent les retombées – de la mise en œuvre du choix de carrière ? Nous comprendrons que choisir d’accomplir des tâches spécifiques comporte essentiellement une perspective de gain intrinsèque et extrinsèque.

Si l’on se concentre davantage sur le gain qui mène à l’épanouissement de soi en tant qu’être occupationnel, nous comprenons que le choix de carrière peut signifier que tous les chemins peuvent et doivent être envisagés dans la réflexion professionnelle. Or, pourquoi faire une chose, poser une action au plan professionnel, plutôt qu’une autre ? Qu’est-ce que cela apporte à la personne qui s’exécute en ce sens ? Pourquoi choisir la profession de médecin, de mécanicien, de thanatologue ou d’écrivain ? Autant de possibilités facilement associables avec un profil Investigateur, mais qu’en est-il réellement du choix final et du sens accordé par le client ? Un médecin peut avoir une motivation intrinsèque liée au désir d’aider les gens (concept de relation d’aide) au plan médical, mais peut aussi être intéressé uniquement par la possibilité de poser des diagnostics sans avoir un réel intérêt social ; les patients seraient carrément considérés comme des objets lui permettant de faire ce qu’il aime. De la même façon, un éboueur peut donner du sens à son emploi du fait qu’il estime faire sa part pour la collectivité (encore ici, il s’agit du concept de relation d’aide ; une dimension sociale dans la typologie de Holland) en s’assurant de ramasser et nettoyer nos rues de nos déchets. Il est possible par conséquent que la dimension Social se retrouve dans le profil de cette personne, sans que l’on puisse en saisir la portée si l’on adopte une pensée traditionnelle du choix de carrière. Par conséquent, dans ce contexte, les motivations occupationnelles ne sont pas toujours faciles à détecter et à envisager. Le phénomène de substitution d’un choix classique ou traditionnel par un emploi aux connotations différentes de celles auxquelles on pense habituellement peut être effectivement inattendu ou surprenant.

Il y a là donc un principe sous-jacent se rapportant à la substitution vocationnelle donnant un sens inédit au choix professionnel. Un autre exemple serait le présent article; pourquoi écrire, prendre du temps pour réfléchir, expérimenter, discuter et ensuite mettre sur papier un article et espérer finalement qu’il soit publié ? Quel en serait le gain intrinsèque de l’auteur ? Partager ses connaissances ? Contribuer à l’avancement de la profession ? Se faire connaître pour des considérations ultérieures ? Pour une question de soi, de l’autre ou de nous ? Ou simplement pour ressentir de la fierté parce que cela donne un sens à ce qu’il fait ?

Riverin-Simard4 précisait que « […] les personnalités vocationnelles semblent dicter à l’individu : 1. selon quelles modalités il veut se développer (ontologie relative à la praxis) ; et 2. quels sont les modes de production et les produits dans lesquels il cherche à s’investir (ontologie relative à la poiésis) ». La substitution vocationnelle s’opère et prend place dans la stratégie d’approche que l’individu mettra en place dans le but d’obtenir un gain intrinsèquement avantageux faute de quoi, le sens de ses actions risquerait de s’en trouver passablement moins significatif à ses yeux. Il importe de comprendre que les choix professionnels se peaufinent et s’ajustent en fonction de ce gain menant, nous le rappelons, vers la réalisation de soi en tant qu’être occupationnel.

Perspectives vocationnelles

La trajectoire empruntée au fil du temps est certes importante à décortiquer afin de comprendre la stratégie vocationnelle déployée et de saisir ainsi la nuance mise en évidence lors de la prise de position de l’individu jusqu’à maintenant. On se posera la question : que gagne l’individu à faire un travail qui puisse donner un sens intrinsèque à ses actions au quotidien ? Enfin, qu’elles seraient les autres substitutions vocationnelles que nous pourrions envisager lorsqu’il s’agit de réfléchir au devenir professionnel ? Comment éveiller la pratique professionnelle à cette source infinie de possibilités tirées de la substitution vocationnelle ?


  1. Damato, E. (2010). Pour une reclassification interprétative des intérêts. Le Bulletin OrientAction, Vol. 7,  No 1. p.1-3.
  2. Holland, J. (1985). Making Vocational Choices, Englewood Cliffs, New Jersey, Prentice Hall.
  3. Rivière, B. (2002). Réussir pour qui? Pourquoi?, Revue Carriérologique, vol.9, no.1 et 2, Montréal, p.325
  4. Riverin-Simard, D. (1996). Travail et personnalité. Sainte-Foy : Les Presses de l’Université Laval, p.53.

Membre de l’Ordre des conseillers et conseillères d’orientation et des psychoéducateurs et psychoéducatrices du Québec (OCCOPPQ) et détenteur d’une maîtrise en orientation ainsi qu’un DESS en éthique appliquée, Éric Damato possède plus de 15 ans d’expérience significatifs en intervention et en évaluation psychométrique. Sa trajectoire professionnelle lui a permis notamment de développer des habiletés liées à l’intervention clinique (counseling et accompagnement), l’animation d’ateliers thématiques ainsi que l’évaluation psychométrique utilisée en contexte d’évaluation de potentiel en milieu industriel.