L’actualisation de soi et son impact sur la société
par Roxane Laliberté, c.o.
Selon Rogers (1963), le développement de la personne humaine est orienté vers l’actualisation de soi, selon un dynamisme de vie qui n’a pas nécessairement la même force pour chaque personne. L’intensité du besoin de s’actualiser est liée à la force du dynamisme de vie de l’individu. Le développement de la personne constitue un processus de réalisation qui s’étale sur toute la vie. Il est favorisé par la conscience que la personne a d’elle-même, par certaines facultés intérieures aidant la personne à s’actualiser et par l’environnement dans lequel elle évolue, lorsque celui-ci encourage la mise en oeuvre de ses potentialités.
Certaines personnes ont plus de mal à s’actualiser que d’autres. Le besoin de sécurité semble parfois nuire à l’actualisation de la personne. Aussi, le manque de reconnaissance dont la personne a été victime dans son enfance a fait naître des conflits entre la tendance actualisante de la personne et ses actes concrets (Rogers, 1963). La personne a ainsi appris à devenir non pas ce qu’elle est, mais plutôt ce que les autres veulent qu’elle soit, et cela va la plupart du temps à l’encontre de son actualisation. L’image de soi peut aussi freiner le processus d’actualisation lorsque la personne agit en fonction d’une image idéale d’elle-même qui ne correspond pas à son identité. Différents mécanismes de défense et certaines résistances à la croissance permettent à la personne d’éviter de ressentir la souffrance et l’anxiété face au changement et à l’inconnu. Toutefois, ces résistances sont parfois nécessaires et elles sont ainsi un signe de santé psychologique. Une attitude d’ouverture et d’acceptation semble être un moyen efficace de dépasser les entraves faisant obstacle au processus d’actualisation de soi. Pour la personne, cette acceptation devient elle-même une manière de s’actualiser.
La non-actualisation des individus comporte des conséquences qui se manifestent, entre autres, dans les rapports de force établis entre les personnes, rapports résultant de la valorisation du pouvoir et de « l’avoir ». L’importance accordée aux valeurs matérialistes s’inscrit dans la valorisation de « l’avoir » qui finit par empêcher « l’être » ou l’actualisation de la personne. Il importe d’être conscient de la responsabilité qui incombe à chaque personne d’avoir le « courage d’être » qui elle est et de sortir d’elle-même et de ses intérêts personnels et égocentriques afin de s’ouvrir aux autres.
Voici comment il serait possible de formuler et de comprendre l’actualisation de soi et son impact sur la société. Lorsque la personne s’actualise en mettant en oeuvre ses potentialités dans les actes qu’elle accomplit tous les jours, elle construit son bonheur. Mais la personne ne développe pas seule ses talents, elle les actualise en relation aux autres, en les mettant au service des autres. Ainsi, elle participe non seulement à son propre bonheur, mais à celui de tous les êtres touchés directement ou indirectement par elle.
Certaines pistes de réflexion et d’intervention sont ouvertes. On observe qu’il est exigeant pour la personne d’opter pour devenir elle-même, de s’affirmer avec sa différence, surtout dans des contextes sociaux peu ouverts à ces valeurs, voire critiques. De plus, « le développement ne donne pas seulement des récompenses et des plaisirs, mais aussi de nombreuses souffrances intérieures, et il en sera toujours ainsi. » (Maslow, 1972, p. 233). Cet auteur ajoute que se développer, c’est s’ouvrir à l’inconnu et renoncer ainsi au confort apparent de ce qui est familier; c’est accepter que la vie soit un peu plus exigeante. Le développement de la personne se fait en dépit de ces difficultés ou de ces obstacles et il demande du courage, de la volonté, de la force et de la détermination (Maslow, 1972). L’auteur croit que ce développement ne peut se faire dans un environnement où les valeurs vont à l’encontre du respect de la dignité de la personne humaine.
Selon Maslow (1972), l’ « avoir » ou la prospérité économique ne suffit pas à faire le bonheur de la personne; le « savoir » ou l’acquisition de connaissances de plus en plus étendues ne peut combler les aspirations profondes de la personne; le « pouvoir » ou le progrès des sciences et des techniques soulève des nouveaux problèmes devant lesquels la personne se sent démunie. Cet auteur reconnaît que la réalisation ou l’actualisation de soi ne signifie pas le dépassement de tous les problèmes humains, puisque que les êtres sains vivent aussi des conflits, éprouvent de l’anxiété, de la frustration, de la tristesse et de la douleur. Ces problèmes sont des réalités inévitables inhérentes à la nature de l’homme (Maslow, 1972).
Toutefois, on constate aussi que chaque progrès enregistré par la personne en quête d’actualisation, chaque étape de la croissance franchie, apportent une sensation de bonheur qui motive intérieurement la personne à poursuivre sa route. Selon PRH – International (1997), devenir soi, guérir de ce qui empêche d’être soi, accéder peu à peu à une plénitude de vie, cela s’apprend. Cet apprentissage est à la portée de tous et il nécessite l’acceptation de la collaboration des autres. C’est le rôle de la formation humaine et de tout éducateur ou intervenant qui choisit de s’investir dans l’accompagnement des personnes et des groupes afin de favoriser leur croissance (PRH – International, 1997).
Les sources du développement et de la réalisation humaine sont essentiellement inhérentes à la personne, et non pas créées ou inventées par la société, qui ne peut que favoriser ou empêcher ce développement (Maslow, 1972). Il appartient ainsi à chaque personne de reconnaître sa responsabilité face à ce qu’elle devient et c’est ainsi qu’elle pourra participer pleinement à l’émergence d’une société favorisant le développement et la réalisation humaine.
Comment peut-on faire advenir une société plus humaine ? Comment serait-il possible de transposer à grande échelle les moyens qu’une minorité de personnes ont commencé à utiliser avec profit pour prendre conscience de leur potentiel et pour l’actualiser ? Comment convaincre les personnes responsables de la société du rôle qu’elles doivent exercer pour rendre prioritaire l’utilisation de ces moyens ? Que faut-il faire pour entendre et guérir la souffrance qui se cache derrière tous les symptômes qui perturbent la société actuelle ? Comment peut-on donner le goût à chaque personne de découvrir qui elle est et ce pour quoi elle est faite ? Est-ce que des choix de société appuyés sur des valeurs plus humaines et favorisant davantage l’actualisation et la croissance de la personne diminueraient le niveau de stress, la pression reliée à la performance, la dépendance aux biens matériels, les problèmes de santé mentale, l’usage d’alcool ou de drogues… ? Autant de questions pour lesquelles il importe de poursuivre les recherches en maintenant comme premier objectif l’amélioration du bien-être de la personne et du mieux-être de la société dans son ensemble.
Références bibliographiques:
Maslow, A. (1972). Vers une psychologie de l’Être. (New York, 1968). Traduit et adapté de l’anglais par Mesrie-Hadesque, Paris: Fayard.
Personnalité et Relations Humaines(PRH) – International (ouvrage collectif). (1997). La personne et sa croissance: fondements anthropologiques et psychologiques de la formation PRH. Document inédit, Poitiers (France).
Rogers,C.(1963). The actualizing Tendancy in Relation to « Motives » and to Consciousness. Dans Jones, M. R. (ed.), Nebraska Symposium on motivation, 11 (pp.1-24). Lincoln: University of Nebraska Press.