par Jacques Limoges, c.o.

L’orientation tout au long de la vie, de la naissance à la mort

Depuis un certain nombre d’années, un peu partout et à maintes reprises, on parle d’orientation tout au long de la vie et, afin de m’assurer que les gens – incluant les spécialistes de l’orientation – ont bien compris, j’aime bien lorsque j’en parle compléter cet énoncé par la périphrase: de la naissance à la mort.

Fort heureusement, cet espace entre la naissance et la mort ne cesse de s’allonger pour une majorité de gens. Dans des pays comme le nôtre, l’espérance de vie a augmenté de 25 ans en à peine trois décennies. Il devient donc impératif de s’attarder à ce qui se passe entre ces deux repères existentiels.

En termes d’orientation scolaire et professionnelle, on pense immédiatement aux études, à l’insertion socioprofessionnelle, aux transitions inhérentes à la gestion de carrière et à la prise de retraite. Certains de ces épisodes se réalisent bien, d’autres moins bien et d’autres encore pas du tout. Dans tous les cas de figure, l’orientation – accompagnée ou autogérée – est de mise.

Le maintien professionnel

Depuis plus de dix ans, je mets en évidence le fait que l’enjeu dominant de tous ces épisodes carriérologiques est le maintien, évidemment sous diverses appellations comme la persévérance scolaire, la fidélisation de la relève, la rétention des travailleurs d’expérience et le maintien professionnel.

Au premier abord, le maintien peut être associé à la passivité, au « déjà vu », à la résignation et à la stagnation. Dans les faits, ce maintien est d’un tout autre ordre. Il est dynamique et systémique; une sorte de marche sur un fil tendu trop souvent balloté par des imprévus de plus ou moins grandes envergures. Ne ditons-pas «qui n’avance pas recule » ?

Tellement dynamique et systémique que – en ce qui a trait au maintien professionnel – il est impératif de le différentier et de l’aborder selon les tiers de carrière. Le premier tiers implique une double acculturation, soit au premier emploi et au monde du travail; le deuxième tiers appelle un bilan en profondeur et une optimalisation du potentiel d’entraide des divers milieux de travail et le troisième tiers nécessite l’acquisition de deux nouveaux savoirs (le savoir-rester et le savoir-partir) ainsi qu’une prise de position quant à son legs professionnel1.

Deux options pour la période faisant suite à « la vie active et productive »

Jadis, il était d’usage d’utiliser l’expression « vie active » pour décrire les années passées sur le marché du travail. Aujourd’hui, pour éviter toute confusion entre autres avec les retraités qui veulent ou se disent actifs, il y a lieu d’être plus explicite et de parler de « vie active et productive » voire de « vie active et productive génératrice de PIB »2.

Première option : la retraite

Certaines personnes voient la période faisant suite à cette « vie active et productive » comme étant une retraite ce qui veut dire que:

« ces personnes souhaitent utiliser cette nouvelle période de vie pour faire rien ou encore pour faire autre chose. Des choses différentes ou qu’elles n’ont pas encore eu le temps ou l’occasion de faire. Leurs expressions préférées sont «tourner la page », « la page est tournée », « c’est le temps de passer à autre chose » et, éventuellement, « je suis ailleurs » comme dans le bénévolat, les voyages, une chorale, le conditionnement physique, le retour sur les bancs d’école, etc. (Limoges, 2010)3

En somme, référant implicitement au modèle bien connu de Riverin-Simard, c’est-à-dire à sa trajectoire allant de la planète École à la planète Retraite en passant par la planète Travail, ces personnes souhaitent que l’orientation scolaire et professionnelle ne se limite qu’aux planètes École et Travail donc n’aille pas au-delà de cette vie active et productive génératrice de PIB.

Deuxième option : le Quatrième tiers de carrière

Mais, considérant que cet après vie active et productive risque d’être aussi long  que cette vie-ci, de plus en plus de gens optent pour ce que je propose d’appeler un quatrième tiers de carrière et, pour le décrire, voici trois passages de mon prochain livre.

« S’il y a un quatrième tiers, c’est évidemment parce qu’il y a déjà trois tiers et que ce quatrième fait suite au troisième. S’il est question d’un quatrième tiers de carrière, c’est que les trois premiers font référence à la carrière dans son sens le plus large.

Ce quatrième tiers est professionnel ou carriérologique du fait que, bon gré mal gré, il est justifié et est sous l’influence de ce que fut la vie active et productive au sens initial de l’expression, c’est-à-dire avec en sous-entendu une référence au PIB.

Ce tiers est à la fois une continuité de cette vie sans en être pour autant partie prenante. Il se situe quelque part entre la planète Travail et la « planète » Retraite, pouvant même chevaucher légèrement comme lorsqu’une personne est à demi-temps travail et à demi-temps à la retraite. (Limoges, 2010)4

Selon cette deuxième option, tant comme démarche que comme service d’accompagnement, l’orientation devient vraiment une réalité pertinente tout au long de la vie, de la naissance à la mort.

Entre les planètes Travail et Retraite, des satellites artificiels

Toujours dans cette veine de penser et référant encore au modèle de Riverin-Simard, je fais ensuite ressortir la possibilité de concevoir entre les planètes Travail et Retraite des satellites artificiels5, l’augmentation significative de l’espérance de vie rendant la chose à la fois pertinente et nécessaire. Voilà une excellente façon de prolonger cette vie active et productive ou, comme le proposaient récemment Castonguay et Laberge6, de vieillir activement.

Plus un satellite artificiel côtoie la planète Travail plus il lui ressemble. Ainsi, c’est le cas de cet ancien comptable agréé d’une importante firme internationale qui, une fois retraité, décide d’ouvrir un petit bureau dans son sous-sol et d’y faire des rapports d’impôt de particuliers. Pour l’essentiel, cette personne maintient l’essentiel de ses compétences professionnelles, conserve son statut et ses relations interpersonnelles et ainsi de suite. À cette position, l’objectif majeur du satellite est généralement d’assurer un supplément financier donnant accès à un pouvoir d’achat accru.

À l’autre extrême, plus un satellite est dans les parages de la planète Retraite, plus il a les particularités de celle-ci. Le plus souvent, ce satellite tiendra peu compte des compétences professionnelles ou prendra la forme d’un  engagement envers la société civile, par exemple, par un bénévolat ou par une autre forme d’entraide, répondant surtout à des convictions ou à une quête de sens. À titre d’exemple, cet ex-électricien qui, trois fois par semaine, est chauffeur pour une popote roulante.

Enfin, au centre de ce continuum entre les planètes Travail et Retraite, on retrouvera des satellites prenant un peu des deux. Ces satellites se concrétiseront, par exemple, par un travail saisonnier ou à temps partiel et seront surtout motivés par une conviction ou un besoin d’actualisation de certaines compétences. Les « entreprises » générées à cette position mitoyenne n’auront évidemment pas les mêmes caractéristiques que celles aux abords de la planète travail, par exemple quant à la rentabilité, au prestige et à la pérennité. Ainsi, cet ancien haut-fonctionnaire d’un ministère du Tourisme qui décide d’ouvrir un camping écologique saisonnier lequel, certaines années, ne couvre même pas ses frais d’opération mais permet à son propriétaire de transmettre son amour de la nature.

Retraite et Quatrième tiers de carrière : de nouveaux créneaux pour les professionnels de l’orientation

Cette nouvelle compréhension des choses appelle, en tout premier lieu, une refonte en profondeur des programmes de préparation à la retraite afin qu’ils tiennent compte, entre autres, des dix deuils ou deuillets de la désinsertion professionnelle ainsi que d’une typologie élargie des retraites. En second lieu, l’orientation à cette étape de l’existence doit surtout amener les personnes à prendre la bonne option quant à leur après vie active et productive et quant à l’option qui leur convient à court, moyen et long terme. Enfin, l’orientation doit éventuellement aider ces personnes à décider si elles doivent construire ou non une forme de satellite artificiel.

Autant d’enjeux délicats et stimulants à travailler ! C’est pourquoi, dans le livre en question, je propose aux personnes concernées une démarche ainsi que de nombreux exercices. Libre aux professionnels de l’orientation de les récupérer pour leurs pratiques individuelles et groupales. Dans ce livre-démarche, je propose même un nouveau mot pour décrire une retraite réussie : le jubilado !


1 Voir mes publications sur le sujet chez Septembre Éditeur (www.septembre.com) et chez GGC éditions (www.adl.qc.ca).
2 Il faut bien admettre que, le plus souvent, l’activité des retraités est consommatrice de PIB.
3 Limoges, J. 2010. Un Quatrième tiers ? Sherbrooke, GGC éditions. Parution prévue pour le printemps 2010.

4 Idem.
5 Artificiels car le naturel est en définitive ce que Riverin-Simard appelle la planète Retraite. (c.f. Limoges, J. 1999, « L’expérience du retrait comme forme de brouillage en gestion de carrière » dans Éducation permanente, no. 139/1999-1.
6 Castonguay, C. et Laberge, M. 2010. La longévité : une richesse. Montréal, CIRANO


Jacques Limoges, c.o., est professeur associé au Département d’Orientation professionnelle de l’Université de Sherbrooke.