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5 novembre, 2012Le conseiller d’orientation organisationnel: une expertise spécifique pour les organisations
5 novembre, 2012par Louis Cournoyer
Introduction
La formation des conseillers d’orientation québécois au cours des 40 ou 50 dernières années est grandement teintée de l’apport de la psychologie humaniste. La quasi-totalité de nos compétences relationnelles tirent leurs origines des travaux pionniers de Carl Rogers et de quelques autres chercheurs praticiens soucieux d’approfondir les liens entre le changement individuel et la qualité de la relation d’aide. Cet article vise à mieux faire connaître ou encore à rappeler quelques principes fondamentaux en psychologie humaniste (Rogers, 1971; Lebourgeois, 1999; Collectif « Savoirs et rapport au savoir », 2003; Lecomte et Drouin, 2007), ainsi qu’à permettre des liens historiques et pratiques avec les réalités des conseillers d’orientation au Québec (Mellouki et Beauchemin, 1994a, 1994b; Cournoyer, à paraître).
Émergence d’une troisième force
« Troisième Force » en psychologie, l’humanisme est présent au sein de courants et d’approches psychologiques, sociologiques et philosophiques. En psychologie, le courant émerge tranquillement au cours des années 1940, bien qu’il connaisse son véritable essor à l’échelle internationale qu’à l’entrée des années 1960 (Lebourgeois, 1999). Tel que le souligne ce dernier, l’humanisme est une réponse à la vision mécaniste et déterministe du comportement de la personne qui avait cours jusque-là au sein des courants béhavioristes et psychanalytiques. Si l’humaniste prend son véritable essor au cours des années 1960, ce n’est pas pour rien. Dans les sociétés occidentales, cette décennie et la suivante s’associent à l’arrivée dans la vingtaine de ceux qui seront appelés les « babyboomers ». Comptant pour une proportion significative de la population de la plupart des sociétés occidentales, ce « pouvoir hormonal » veut à l’image des jeunes changer le monde en se défaisant de l’Establisment (Lacoursière, Provencher et Vaugeois, 2001). Au Québec, la montée de l’humanisme se déroulera durant les années où se vivra le message du « Maître chez nous » de l’arrivée au pouvoir de Jean Lesage, de la Révolution tranquille et du Rapport Parent qui allait suivre, des mouvements indépendantistes prônant l’émancipation de l’identité nationale québécoise, puis jusqu’à en arriver au fameux « OUI, c’est possible » du référendum de 1980 (Lacoursière et coll., 2001). Au travers de ces événements se trame ainsi une volonté collective à l’actualisation d’un soi individuel, à la recherche de liberté, d’essence, etc. (Cournoyer, à paraître). Ce qu’il faut aussi noter, c’est que la montée de l’humanisme pouvait plus aisément se faire dans des sociétés prospères portant les avantages économiques des Trente Glorieuses (1945-1975). Autrement dit, il est fort à douter que cette libéralisation, cette actualisation du soi pouvait se dérouler au même moment en URSS, dans les pays sous-développés, ou encore en Asie (Cournoyer, à paraître). D’ailleurs, le courant humaniste et ses sous-courants (approche centrée sur la personne, Gestalt thérapie, psychologie existentialiste) vivront un déclin important au Québec à partir des récessions et des restructurations des modèles de gestion organisationnelle des années 1980 (Lebourgeois, 1999). Les thérapies cognitivo-comportementales brèves, plus rapides, moins coûteuses, plus mesurables et observables au plan des interventions et des résultats prendront le relais. Comme quoi, rien ne peut être saisi hors de son contexte!
Le changement au sein de la relation
La psychologie humaniste pose l’expérience humaine au cœur du processus de développement de la personne. Elle se veut en quelque sorte une libération de l’humain face à ses chaînes déterministes. Tel que le soulignent Lecomte et Drouin (2007), la psychologie humaniste repose entre autres sur une perspective phénoménologique de la personne libre de ses choix (et de ses non choix). C’est l’expérience de la personne elle-même qui prime. Tel que le soulignent ces auteurs, la relation d’aide mise davantage sur l’exploration et la découverte de soi par l’individu que sur l’interprétation et l’éducation de son aidant. Les conseillers d’orientation adoptant une posture humaniste articulent leurs interventions autour des notions d’actualisation, de croissance, d’intentionnalité ou encore de symbolisation de l’expérience subjective. Donc, si l’on conçoit l’individu comme étant autodéterminé, le conseiller aura pour tâche de faciliter la rencontre par l’individu de ses blocages, de ses conflits, de l’ancrage de son passé au travers de son expérience présente (Lecomte et Drouin, 2007). Bien que Rogers sera celui qui initiera et maintiendra le plus une posture centrée sur la personne, la plupart des approches du courant humaniste accorde une importance primordiale à la relation conseiller-client (relation de confiance) empreinte de compréhension et d’acceptation pouvant faciliter la reconsidération des problèmes et des inquiétudes, ainsi qu’une mise en action subséquente plus rationnelle (Lecomte et Drouin, 2007).
Quelques mots sur Carl Rogers
La figure la plus souvent associée au courant humaniste est celle de Carl Rogers. Psychologue, thérapeute, chercheur, pédagogue, formateur, mais longtemps reconnu comme un quasi-imposteur par ses pairs au sein de toutes ces disciplines (Collectif « Savoirs et rapport au savoir », 2003; Cournoyer, 2011a) constitue l’un des grands penseurs de notre temps. Ses travaux ont entre autres permis de développer des conceptions et des outils thérapeutiques s’appuyant sur l’idée d’un individu apte à apprendre de manière autonome et à évoluer par lui-même (Rogers, 1971). C’est sans aucun doute à Rogers que la plupart des conseillers d’orientation québécois doivent leur capacité de créer une relation d’aide par l’appui de compétences relationnelles variées (Cournoyer, 2011b). C’est également à Rogers que l’on doit plusieurs travaux sur l’étude des conditions requises pour l’établissement d’une véritable relation de confiance. Lecompte et Drouin (2007) rappellent entre autres à ce sujet les notions de congruence (conscience de la façon de vivre sa relation avec le client); d’authenticité (vivre ses propres sentiments, sans fuite, ni déni, aptitude à les intégrer et, au besoin, à les communiquer); de respect inconditionnel (accepter les facettes de l’expérience de son client comme partie prenante de son individualité); de valorisation, d’acceptation et de confiance en autrui (valoriser les apprentissages, témoigner une attention bienveillante non possessive; conviction intime de la dignité de la personne); de compréhension empathique.
Les approches humanistes les plus reconnues
Le courant de la psychologie humaniste s’associe comme les autres à une quantité innombrable d’approches. Toutefois, l’approche centrée sur la personne de Carl Rogers, la Gestalt thérapie de Fritz Perls, ainsi que la psychologie existentialiste que l’on peut notamment associée à Frank Yalom figurent parmi les plus reconnues mondialement. Les descriptions qui suivent ne sont, bien sûr, pas exhaustives.
L’approche centrée sur la personne pose comme principe que la compréhension passe non pas par l’interprétation (fait forcer les choix), mais par l’écoute empathique, le mouvement pas à pas de la conscience du client à percevoir sa réalité interne. Tel que le soulignent Lecomte et Drouin (2007), l’intervention humaniste tiendra compte de l’écoute empathique, de l’accompagnement du client au travers principalement de la relation d’échange, de la différenciation des critères internes de la personne (constructif, non constructif) et de l’intégration de nouvelles significations. Pour les tenants d’une approche centrée sur la personne, l’expérience « émotionnelle » au sein de la relation traduit un ressenti interne en mots cohérents et contribue grandement à faciliter la conduite d’une démarche authentique et honnête avec soi-même.
En ce qui concerne la Gestalt thérapie, Lecomte et Drouin (2007) soulignent la plus forte orientation de cette approche pour la découverte d’expériences plus approfondies, plus enfouies, inavouées, parfois insoupçonnées. Souhaitant dépasser les références habituelles du client, l’intervenant est plus actif que pour l’approche centrée sur la personne au plan du partage de ses impressions ici et maintenant et d’interventions visant à permettre le maintien du contact par le client de ses sensations, ses expressions non verbales, ses processus d’évitement, d’interruption ou d’évolution de la conscience (Cournoyer, 2011b). Les notions de conflits, de blocages, de résistances, d’anxiété et d’angoisse y sont très présentes (Lecomte et Drouin, 2007).
Enfin, la psychologie existentialiste se démarque par son focal sur les choix et les buts de vie (existentiels) de la personne. Selon cette approche, la compréhension de soi passe par l’expérience et la compréhension de l’anxiété et de l’angoisse existentielle (Lecomte et Drouin, 2007). L’absurdité de la vie humaine, la fatalité de la finitude de la vie humaine, de la solitude fondamentale de chacun de nous peut permettre à un conseiller d’orientation de pouvoir ainsi mobiliser son client quant à ce qu’il souhaite faire du reste de sa vie personnelle et professionnelle (Cournoyer, 2011b). En relevant et en tentant de mieux comprendre ses propres mécanismes de refoulements, déformations de sens et modes d’évitement, la personne peut ainsi s’affirmer davantage en tant qu’être libre et responsable de sa vie, de ses choix et de ses potentialités.
Louis Cournoyer c.o., Ph.D est professeur en counseling de carrière à l’Université du Québec à Montréal (UQÀM). Conseiller d’orientation depuis plus de 15 ans, il maintient une pratique professionnelle auprès de jeunes adultes et d’adultes, ainsi que d’accompagnement professionnel auprès des conseillers d’orientation et conseillers en développement de carrière.
Références:
Collectif « Savoirs et rapport au savoir » (2003). Autobiographie de Carl Rogers. Lectures plurielles. Direction de Jacky Beillerot et Michel Gault. Paris : L’Harmattan.
Cournoyer, L. (sous presse). Chemin faisant … L’évolution sociohistorique des conseillers d’orientation au Québec. In Canadian Career Text Book (Dir. Blythe Sheppard). Ottawa : Canadian Education and Research Institute for Counselling.
Cournoyer, L. (2011a). Les approches humanistes et existentielles en counseling de carrière. Document inédit produit dans le cadre de l’activité pédagogique Counseling individuel: théories, techniques et practicum (CAR 1700). Montréal : Université du Québec à Montréal.
Cournoyer, L. (2011b). Chronique De la lecture à la pratique. Recension du livre « Autobiographie de Carl Rogers » de J.Beillerot et M. Gaul, OrientAction
Lacoursière, J. Provencher, J. et Vaugeois, D. (2001). Canada Québec. Synthèse historique 1534-2000. Montréal : Septentrion.
Lebourgeois, C. (1999). « Survol historique de la psychologie et de la psychothérapie existentielles-humanistes au Québec », Revue Québécoise de psychologie, 20 (2), p.11-36.
Mellouki et Beauchemin (1994a). « L’orientation scolaire et professionnelle au Québec. Émergence d’une profession », 1930-1960. Revue d’histoire de l’Amérique française, 48 (2), p.213-240.
Mellouki M., et Beauchemin M. (1994b). « L’institutionnalisation, la crise et l’éclatement du champ de l’orientation scolaire et professionnelle au Québec (1960-1990) », L’Orientation Scolaire et Professionnelle, 23, p.465-480.