par Geneviève Plante et Louis Cournoyer

L’approche centrée sur les schémas d’adaptation dysfonctionnels est issue de la thérapie des schémas développée par Young et ses collègues (Young, Klosko et Weishaar, 2005). Le concept de schéma est défini comme suit:
« Modèle ou thème important et envahissant, constitué de souvenirs, d’émotions, de pensées et de sensations corporelles, concernant soi-même et ses relations aux autres, constitué au cours de l’enfance ou de l’adolescence, enrichi tout au long de la vie par l’individu et dysfonctionnel de façon significative » (Young et coll., 2005, p. 34).

Un schéma trouve son origine au sein d’expériences nocives répétées dans l’enfance ou l’adolescence où certains besoins affectifs fondamentaux (sécurité, autonomie, liberté, autocontrôle et relations interpersonnelles) n’ont pu être répondus de manière satisfaisante pour la personne. En fin d’adolescence ou à l’âge adulte, soit lorsque nous rencontrons nos clients, ces derniers peuvent vivre des situations qui activent la manifestation de certains schémas d’adaptation au travers de modalités cognitives, affectives ou comportementales. Il est à noter que certaines conditions biologiques de la personne peuvent agir comme facteur d’influence (ex. : tempérament) sur la manière dont la personne réagit aux situations de vie (Young et coll., 2005). Il y a lieu de considérer la présence manifeste de schémas d’adaptation dysfonctionnels lorsque des stratégies ayant servi initialement pour assurer une certaine survie émotive chez la personne en jeune âge sont gardées et répétées plus tard dans la vie alors que le contexte n’est quant à lui plus du tout le même. Par exemple, il peut avoir été nécessaire plus jeune de s’isoler des autres, notamment de ses parents, afin d’éviter des punitions sévères aux plans psychologiques et physiques. Toutefois, si la personne maintient des comportements issus de la peur d’entrer et de maintenir des contacts avec autrui une fois rendue adulte, cela peut avoir des conséquences importantes sur la santé psychologique de la personne.

Chaque personne étant unique, Young et coll. (2005) identifient trois styles d’adaptation adoptés par les clients en contexte d’activation de certains de leurs schémas : reproduire, éviter, compenser. Cela rend certes le travail sur les schémas encore plus difficile puisqu’il peut être complexe de les détecter au travers de l’expérience subjective du client (Cournoyer, 2010). Pour mieux démêler les concepts théoriques nécessaires à une meilleure compréhension de cette approche, les figures 1 et 2 sont à examiner.

Figure 1. Les schémas d’adaptation selon le type de besoin et le style d’adaptation.

Cinq types de besoins affectifs fondamentaux
Sécurité liée à l’attachement aux autres L’autonomie, la compétence et le sens de l’identité La liberté d’exprimer ses besoins et ses émotions La spontanéité et le jeu Les limites et l’autocontrôle
Schémas d’adaptation
Séparation et rejet Manque d’autonomie et de performance Survigilance et inhibition Orientation vers les autres Manque de limites
Abandon et instabilité
Méfiance et abus
Manque affectif
Imperfection et honte

Isolement social

Dépendance et incompétence
Peur du danger ou de la maladie
Fusionnement et personnalité atrophiée
Échec
Négativité et pessimisme
Surcontrôle émotionnel
Idéaux exigeants et critique excessive
Punition
Assujettissement
Abnégation
Recherche d’approbation et de reconnaissance
Droits personnels exagérés
Contrôle de soi et autodiscipline insuffisants

Figure 2. Les schémas d’adaptation selon les motifs de développement, les fonctions d’influence au plan du tempérament, ainsi que les styles d’adaptation.

Motifs de développement des schémas
Frustration des besoins Traumatismes ou victimisation Excès de satisfaction des besoins Internalisation ou identification sélective avec des personnes importantes
Fonctions d’influence au plan du tempérament
Émotif vs Aréactif Dysthymique vs Optimiste Anxieux vs Calme Obsessionnel vs Distractif Passif vs Agressif Irritable vs Jovial Timide vs Social
Styles d’adaptation
Compensation Évitement Capitulation

En counseling de carrière, l’approche centrée sur les schémas d’adaptation dysfonctionnels propose au professionnel d’être attentif aux schémas du client. En effet, dans cette approche, les conseillers d’orientation sont invités à essayer d’identifier, au travers des comportements, pensées et sentiments du client, les schémas présents chez ce dernier. Naturellement, cette identification se fait uniquement si des schémas apparaissent au cours du processus et si cela est pertinent à l’accompagnement du client dans sa demande. Si c’est le cas, le travail avec les schémas peut amener le client à mieux se comprendre et ainsi, à mieux contourner les conséquences négatives de ses schémas sur sa démarche d’orientation (difficulté à prendre une décision, conflit de valeurs, etc.) (Cournoyer, 2010). Cette prise de conscience permet aussi aux clients d’effectuer des choix plus adaptés en prenant en compte la présence des schémas.

L’approche centrée sur les schémas d’adaptation dysfonctionnels présente plusieurs avantages pour les conseillers d’orientation qui l’utilisent. Tout d’abord, elle offre un cadre conceptuel permettant de former des hypothèses de travail. Ces hypothèses sont aidantes lorsqu’il s’agit d’intervenir auprès d’un client présentant, par exemple, certaines distorsions cognitives ou une dynamique interne unique. L’approche centrée sur les schémas permet justement de détecter et de travailler les distorsions présentes chez les clients, offrant ainsi un cadre structurant l’exploration de leurs cognitions. C’est donc ce que l’approche sur les schémas apporte : un cadre pour comprendre les dynamiques des clients, surtout si elles sont dysfonctionnelles. L’accès à ce cadre a un impact direct sur les hypothèses de travail qui peuvent être formées entre les rencontres et donc, sur les interventions faites durant le processus. Il arrivera que cela vous éclaire sur certains éléments qui accrochent dans la démarche d’orientation du client. Naturellement, ce cadre n’est pas une panacée et il faudra toujours vérifier comment les interprétations faites à partir des schémas seront reçues par les clients. Toutefois, ce cadre de référence s’avère précieux pour prendre du recul sur ce qui se passe dans la relation avec le client.

Ensuite, cette approche est intéressante parce qu’elle a été créée en s’inspirant de différents courants en psychologie (Young et coll., 2005). De ce fait, le modèle présenté inclut des concepts psychologiques tels que l’attachement et l’importance des relations en début de vie. Cela lui donne une teinte psychologique qui peut être complémentaire à d’autres approches, dont l’approche centrée sur les solutions. L’approche centrée sur les schémas a aussi l’avantage d’offrir une flexibilité. En effet, elle ne suggère pas que tous les clients sont toujours en situation d’activation de schémas dysfonctionnels. C’est plutôt le contraire. Les schémas sont parfois fonctionnels, parfois dysfonctionnels. Ils sont activés dans certaines situations. Ils peuvent se manifester différemment selon le style d’adaptation dans lequel ils se présentent (Young et coll., 2005). Ces exemples servent à illustrer toutes les nuances que comporte cette approche. Ces nuances sont importantes parce qu’elles permettent de rendre compte de l’unicité des clients et d’éviter les généralisations qui peuvent parfois être destructrices. Ces nuances permettent également au professionnel adhérant à l’approche centrée sur les schémas d’être flexible dans ses interventions. Ces dernières peuvent donc être adaptées selon les clients, les problématiques, les schémas, etc.

Il est possible de compléter un cadre de référence de l’intervention basé sur les schémas d’adaptation par l’appel de stratégies d’intervention cognitives, affectives et comportementales de l’approche centrée sur les solutions de O’Hanlon et Weiner-Davis (1995). D’une part, cette approche permet d’identifier des objectifs et des solutions. D’autre part, l’approche centrée sur les schémas permet d’approfondir la compréhension du fonctionnement psychologique de la personne et donc, d’orienter une pratique auprès d’une clientèle présentant des enjeux personnels divers.

La combinaison de ces deux approches au sein d’un processus de counseling de carrière peut, par exemple, s’amorcer par une question miracle amenant le client à se projeter à la fin du processus et à verbaliser ses attentes. Cela aidera à ce que l’objectif global du processus soit fixé. Ensuite, par les questions qui seront posées lors de l’exploration de la problématique, des intérêts, aptitudes ou valeurs pourront être identifiés. Au travers de ces éléments, des pistes de solutions pourraient également ressortir. En effet, si le client raconte une histoire de réussite du passé, les moyens utilisés à ce moment peuvent être soulignés afin de les appliquer à la situation présente. Ce type d’intervention se base sur l’approche orientée vers les solutions. Dans un second temps, l’approche centrée sur les schémas tiendra davantage compte de la relation conseiller-client. Par exemple, si le conseiller remarque qu’il se passe quelque chose dans cette dernière qui est de l’ordre de l’activation d’un schéma d’adaptation dysfonctionnel, il doit en faire part au client. Cela pourrait lui faire prendre conscience de sa façon d’entrer en contact avec les autres. Conséquemment, cela l’aidera à faire des choix plus en accord avec ce qu’il est. Il peut donc être utile de détecter et valider des schémas auprès du client. Si le client est en accord avec la présence d’un schéma, il peut également s’avérer intéressant de voir comment cela l’affecte positivement ou négativement. Ainsi, ces impacts pourront être pris en considération dans la mise en place d’un plan d’action. Des moyens pourront ensuite être suggérés, mais c’est surtout en se basant sur les forces et les ressources du client ainsi que sur les moyens ayant fonctionné par le passé que le plan d’action sera formé. Le professionnel adhérant à l’approche centrée sur les solutions tentera également d’inspirer au client le changement voulu en utilisant des tournures de phrases lui laissant espérer qu’il va se produire. Et c’est ainsi que les deux approches pourront nous aider à aider le client.


Références

Cournoyer, L. (2010). Approche générique en counseling de carrière centrée sur les schémas d’adaptation. Description et illustration du processus. Document de travail, Version 2.0. Montréal : Université du Québec À Montréal.

O’Hanlon, W. H. et Weiner-Davis, M. (1995). L’orientation vers les solutions. Une approche nouvelle en psychothérapie. Bruxelles : Éditions SATAS.

Young, J. E., Klosko, J. S. et Weishaar, M. E. (2005). La thérapie des schémas. Approche cognitive des troubles de la personnalité. Bruxelles : De Boeck.


Geneviève Plante est étudiante à la maîtrise en carriérologie à l’Université du Québec à Montréal (UQÀM).

Louis Cournoyer c.o., Ph.D est professeur en counseling de carrière à l’Université du Québec à Montréal (UQÀM). Conseiller d’orientation depuis 15 ans, il maintient une pratique professionnelle auprès de jeunes adultes et d’adultes, ainsi que d’accompagnement professionnel auprès des conseillers d’orientation et conseillers en développement de carrière.