Selon un nouveau rapport publié dans le cadre d’un projet financé par le CERIC, les professionnels du développement de carrière constatent qu’ils ne disposent pas de toutes les compétences et connaissances nécessaires pour aider efficacement un nombre croissant de clients aux prises avec des problèmes de santé mentale dans leur recherche d’emploi et leur planification de carrière. Intitulé Tracer la voie : Rôle des praticiens de carrière qui viennent en aide aux personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale (en anglais, Charting the Course: Mapping the Career Practitioner Role in Supporting People with Mental Health Challenges), le rapport évalue la stigmatisation que subissent les clients souffrant de problèmes de santé mentale, et précise les compétences dont les praticiens du développement de carrière ont besoin pour les aider à trouver de l’emploi et à assurer leur inclusion sociale.

L’auteur du rapport, Neasa Martin de Neasa Martin & Associates, a collaboré avec l’Association de développement des carrières de Nouvelle-Écosse (en anglais, Nova Scotia Career Development Association ou NSCDA) pour mener une série de sondages, d’entrevues et de consultations visant à découvrir comment surmonter les obstacles à l’emploi et améliorer l’accès aux services d’orientation professionnelle. Voici des constatations clés découlant d’un sondage mené auprès de 266 clients et professionnels du développement de carrière :

  • Un nombre croissant de clients sont aux prises avec des problèmes de santé mentale qui ont des répercussions sur leur recherche d’emploi. 91 % des praticiens du développement de carrière indiquent qu’ils travaillent actuellement avec des clients souffrant de problèmes de santé mentale et 57 % s’entendent pour dire que le taux de divulgation dans le cadre de la relation d’orientation professionnelle est à la hausse.
  • Les professionnels du développement de carrière ne sont pas à l’abri de ce risque. Près de la moitié (46 %) des praticiens ont révélé avoir vécu une expérience personnelle reliée à des problèmes de santé mentale. Ce taux est considérablement plus élevé que la moyenne au sein de la population, qui est d’une personne sur quatre.
  • Selon le rapport, 96 % des praticiens du développement de carrière reconnaissent que pour être efficaces, ils doivent disposer de compétences particulières pour motiver leurs clients et de moyens leur permettant d’améliorer leurs techniques pédagogiques en matière de santé mentale.
  • Les professionnels du développement de carrière ne se sentent pas très confiants ni très à l’aise lorsqu’ils travaillent avec des clients aux prises avec des problèmes de santé mentale, et les clients semblent le ressentir. Dans une proportion de 50 %, les clients souffrant de problèmes de santé mentale ayant participé au sondage croient que les praticiens ne disposent pas d’outils pour relever les défis liés au travail ou ne partagent pas de tels outils, ou qu’à titre de clients, ils reçoivent un bon appui pour accéder à des possibilités d’emploi et de formation.
  • Pour les professionnels de l’orientation aussi bien que pour les clients, la stigmatisation, la discrimination et la crainte constituent les plus grands obstacles à un retour au travail. Les deux groupes croient que les employeurs hésitent à engager des personnes souffrant de troubles mentaux et qu’ils ne sont pas motivés à le faire en raison d’un manque de compréhension.
  • Les clients indiquent que leurs besoins en matière d’accommodement au travail sont minimes : un horaire flexible leur permettant d’assister à leurs rendez-vous; des ajustements occasionnels des échéances et des horaires de travail; et la possibilité de disposer d’un espace de travail moins chaotique au besoin.
  • Les praticiens du développement de carrière comprennent bien que certains clients aux prises avec des problèmes de santé mentale peuvent éprouver une instabilité en matière de logement, perdre l’appui de leur famille ou de la société, avoir de la difficulté à obtenir des services de garde d’enfants, faire face à des obstacles en matière de transport et avoir une santé générale plus précaire. On reconnaît que ces multiples défis compliquent davantage la planification de carrière tout comme le font les obstacles et les politiques gouvernementales limitant les possibilités offertes aux clients.
  • Les professionnels du développement de carrière sont convaincus que le travail a des effets bénéfiques sur la santé mentale et 89 % croient qu’il n’est pas nécessaire que les gens soient libres de tout symptôme pour s’engager sur le marché du travail. Selon les praticiens, les professionnels du domaine de la santé mentale découragent les clients de rester au travail. En mettant l’accent sur l’incapacité des clients plutôt que sur leur bien-être ou leur compétence, on mine leur confiance et on les décourage à poursuivre leurs objectifs.
  • Pour le client, la relation qu’il entretient avec le praticien du développement de carrière est très importante. Compte tenu de la stigmatisation et de la discrimination exercées à l’égard des maladies mentales, les gens veulent s’assurer que leur confidentialité sera respectée et qu’on les écoutera sans porter de jugement. Les clients recherchent avant tout une relation reflétant des attitudes, des croyances et des comportements, et non des compétences fondées sur les connaissances.
  • Les clients indiquent qu’ils veulent sentir qu’on les respecte et qu’ils participent au processus décisionnel. Ils veulent être vus comme une personne et non comme un diagnostic, et ils veulent que les professionnels du développement de carrière concentrent leurs efforts à les aider à poursuivre leurs objectifs professionnels, et non à leur fournir des services de counseling en matière de santé mentale.

Aux fins du rapport, on a utilisé la définition de problème de santé mentale fournie par la Commission de la santé mentale du Canada : « Une condition de santé émotionnelle ou mentale qui peut nécessiter un traitement auprès d’un professionnel de la santé. Cela peut comprendre tout trouble mental qui entrave considérablement le fonctionnement d’une personne (troubles anxieux et de l’humeur, stress excessif, abus d’alcool ou d’autres drogues, problèmes de jeux, etc.) »

Comme l’indique le rapport, l’emploi est une pierre angulaire de l’inclusion sociale. Il procure une identité, un but, une raison d’être et des relations sociales, de même que les ressources financières requises pour être un membre actif au sein de sa communauté. Les personnes aux prises avec des troubles mentaux connaissent le taux de chômage le plus élevé de toutes les catégories de handicaps et pour plusieurs d’entre elles, le travail demeure un objectif illusoire.

Les maladies liées à la santé mentale constituent la catégorie d’incapacité professionnelle qui connaît la plus forte croissance au Canada, et sont la cause la plus importante de congé pour cause d’incapacité; en effet, la dépression entraîne la perte de 60 % des jours de travail et un travailleur sur 20 recevra un diagnostic de maladie mentale ou de trouble de santé mentale. Selon le rapport, on estime que les maladies mentales liées au travail et l’abus d’alcool ou d’autres drogues coûtent 33 milliards de dollars annuellement à l’économie canadienne.

Dans ce contexte, les professionnels du développement de carrière constituent une voie d’accès essentielle au marché du travail pour les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale. Le rapport indique que les praticiens ont de nombreux besoins en matière de formation : gestion de la divulgation; outils d’évaluation ciblés, stratégies de motivation et d’apprentissage des adultes; connaissance des ressources locales en santé mentale; soutien des pairs et son rôle dans l’emploi; et compréhension des occasions offertes sur le marché du travail.

En plus de proposer le développement d’outils et de ressources de formation et l’amélioration des connaissances et des compétences de la communauté des praticiens, le rapport indique aussi que les professionnels du développement de carrière et leurs associations ont la possibilité de jouer un rôle de revendication auprès du gouvernement afin d’accroître le financement et l’accessibilité des services de santé mentale; en outre, le rapport mentionne qu’une collaboration à l’échelle des disciplines et des secteurs permettrait d’améliorer la qualité des services.

Le rapport fait quatre recommandations particulières :

  1. Favoriser une meilleure coordination des services de santé mentale et des services de développement de carrière;
  2. Faire équipe avec les consommateurs pour développer des outils de formation;
  3. Revendiquer une meilleure répartition, disponibilité et accessibilité du soutien et des services liés à la santé mentale; et
  4. Évaluer les politiques gouvernementales et les pratiques de financement qui entravent l’accès à la formation et aux services d’emploi pour les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale.

En conclusion, le rapport reconnaît qu’il est également nécessaire de motiver et de soutenir les employeurs qui engagent des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale, et de proposer des pratiques d’excellence relatives à la façon d’assurer l’intégration réussie de ces personnes en milieu de travail.