Par Justin Pritchard

La vie et la carrière sont soumises à un changement continuel et non linéaire, ce qui entraîne inévitablement des résultats imprévisibles; la pratique de la pleine conscience peut nous fournir les outils nécessaires pour vivre de façon plus lucide et équilibrée

Tout récemment, j’ai participé à une retraite de méditation dirigée par Steve Armstrong, qui enseigne la pratique de la pleine conscience. La retraite s’échelonnait sur deux jours complets durant lesquels les participants se livraient à des exercices de méditation (assis et en marchant) et apprenaient les techniques de la pleine conscience. Un des concepts récurrents durant les enseignements était l’importance de comprendre les pensées utiles (positives) et inutiles (négatives) de l’esprit. Naturellement, en tant qu’accompagnateur en gestion de carrière, j’ai commencé à établir des liens entre la pleine conscience et les théories du développement de carrière. La pleine conscience consiste à vivre au moment présent afin d’expérimenter la vie telle qu’elle est.

Nous pouvons pratiquer la pleine conscience par des exercices formels et informels. Un exercice de la pleine conscience est formel lorsque, par exemple, l’on réserve une période de la journée pour pratiquer la méditation assise, en portant notre attention sur la respiration ou d’autres sensations corporelles. Il est informel si, par exemple, l’on porte simplement une attention particulière aux sensations que nous procure une activité quotidienne, comme faire la vaisselle, se brosser les dents, prendre une douche, ou faire une promenade. Lorsque nous sommes pleinement conscients, nous sommes en mesure de surveiller nos pensées et ainsi d’éviter d’être perdus dans nos pensées et de réagir aux sentiments. La pleine conscience peut aussi agir comme un processus permettant de séparer les couches de l’esprit et ainsi de le libérer des chaînes qui le retiennent.

Durant la retraite, Armstrong a parlé des pensées utiles fondamentales de l’esprit, dont notre capacité à demeurer ouvert, réceptif, prêt, intéressé, alerte, patient, sans attente, impassible (d’humeur égale) et neutre. Il convient de mentionner que, dans le contexte de la pratique de la pleine conscience, la réactivité et l’attention sont deux concepts différents. Lorsque nous agissons de façon réactive à une situation ou à une circonstance donnée, nous agissons rapidement, sans prendre le temps de réfléchir. Lorsque nous sommes attentifs, nous comprenons que nous avons le temps de prendre de sages décisions.

Les pensées utiles susmentionnées sont liées de près aux attributs dont nous parlons à nos clients, en tant que professionnels en développement de carrière, au centre de carrières. Ces pensées sont importantes, car elles nous aident à traverser la vie malgré son lot d’incertitudes et son imprévisibilité. La seule certitude que nous avons dans la vie est l’incertitude (Bright, 2013). Jim Bright, qui étudie et enseigne les concepts liés à la théorie du chaos et qui s’appliquent au développement de carrières, suggère que les carrières sont semblables aux conditions météorologiques en affirmant : « Comme la météo, nous sommes peut-être en mesure de prévoir ce qui se passera demain, ou le jour suivant, mais au fur et à mesure que les jours deviennent des semaines, des mois ou des années… il devient pratiquement impossible de faire des prévisions » (Bright, 2013).

Si nous examinons de plus près la théorie du chaos en développement de carrières, nous commençons à comprendre que la vie, et notre carrière en particulier, sont soumises à un changement continuel et non linéaire, ce qui entraîne inévitablement des résultats imprévisibles. Cela est dû à la complexité des influences qui s’exercent sur nous, comme celles liées à nos parents, nos amis, notre santé, notre culture, notre situation financière, l’endroit où nous vivons, etc. Bright suggère que ces influences changent sans arrêt et à des rythmes différents (Bright, 2013). De nombreuses personnes peinent à accepter que la vie soit incertaine et qu’elle soit soumise à un changement continuel et, par conséquent, elles s’efforcent de prendre le contrôle. Lorsque nous sommes en mode de prise de contrôle, il est très difficile de vivre et d’apprécier ce qui se passe au moment présent.

Notre habitude et notre intense désir de contrôler un grand nombre, voire l’ensemble, des aspects de notre vie nous empêchent aussi de vivre de façon lucide et sereine en raison de toutes les tensions que subissent notre esprit et notre corps. Armstrong suggère que ces tendances sont liées aux pensées inutiles de l’esprit, comme notre propension à désirer quelque chose sans réfléchir, à nous créer des attentes, à ne pas accepter les circonstances pour ce qu’elles sont, à agir de manière réactive et avec une vigilance excessive, et à demeurer intransigeants. Il convient de mentionner que le fait d’avoir des attentes n’est pas nécessairement mal ou mauvais; toutefois, le fait de s’accrocher à nos attentes peut créer des tensions dans nos vies, ce qui entraîne des déceptions et perturbe le déroulement fluide de la vie. La plupart des personnes adoptent ce genre d’attitudes dans différents aspects de leur vie, et même dans le cadre de leur propre développement de carrière et de leur recherche d’emploi.

Je me souviens d’un moment dans ma vie où je souhaitais plus que tout réaliser un stage d’été comme adjoint à la recherche (AR); ce stage s’harmonisait parfaitement avec mes intérêts et mes aspirations futures. Je croyais être le candidat idéal pour le poste parce que ma vaste expérience de travail pertinent et mes intérêts en recherche répondaient parfaitement aux exigences du poste. Je me souviens même avoir pensé, à un certain moment : « Comment pourraient-ils ne pas vouloir de moi? Je suis le candidat idéal! » Cette attente a entraîné une cruelle déception lorsque j’ai appris qu’on ne m’offrait pas le poste. Ensuite, j’ai consacré beaucoup d’énergie à me tracasser et à ruminer à l’idée que je n’avais pas été embauché.

En observant mon processus de réflexion tout au long de cette expérience, j’ai réalisé que je ressassais des pensées inutiles, et en particulier un sentiment de rejet. Il convient de mentionner que l’on ne devrait pas demeurer inactif dans la vie et négliger de déployer les efforts nécessaires pour atteindre ses objectifs de carrière. Le problème se présente lorsque nous nous accrochons aux attentes et aux idées que nous nous créons dans notre esprit, ce qui nous empêche de réagir de manière appropriée aux défis de la vie. Dans ces situations, nous réagissons parfois de manière égocentrique. « Pourquoi n’ai-je pas été embauché? Est-ce parce que je ne suis pas assez bon? Je ne pourrai jamais trouver un autre poste aussi parfait que celui-ci. Ils ont vraiment pris la mauvaise décision. »

Ce genre d’insatisfaction est connu sous le nom d’aversion. L’aversion nous amène à ne voir que les aspects négatifs d’une situation et à nous créer des illusions. Nous devenons tellement préoccupés par nos pensées qu’elles finissent par nous étouffer et nous amènent même à les prendre pour des faits. Heureusement, comme je connaissais la pratique de la pleine conscience, j’ai été en mesure de reconnaître ces pensées inutiles et de m’en servir comme une occasion d’apprendre et de grandir.

Un aspect important de la pleine conscience est le fait d’être conscient sans porter de jugement, ce qui signifie que nous vivons notre expérience sans la critiquer et sans résister. À la place, nous l’observons tout simplement, qu’il s’agisse d’une expérience agréable, neutre ou désagréable. Après avoir appris qu’on ne m’offrait pas le poste d’adjoint à la recherche, je savais qu’il était important que je me livre à des exercices de méditation consciente. La première étape de cet exercice consiste à reconnaître une sensation (comme la respiration), une pensée ou un sentiment. J’ai vite fait de remarquer que mon esprit vagabondait et que je commençais à rejouer dans ma tête la situation désagréable que je venais de vivre. Le dialogue égocentrique qui se déroulait de façon incessante dans mon esprit était le suivant : « Pourquoi n’ai-je pas eu cet emploi? Je le méritais et j’étais le candidat idéal! » Ensuite, j’ai doucement, mais fermement, ramené mon attention sur ma respiration en observant les sensations que me procuraient chaque inspiration et chaque expiration; cette technique donne à l’esprit un point sur lequel se concentrer.

Puis, j’ai remarqué presque immédiatement que mon esprit s’est mis à vagabonder de nouveau. « Peut-être que mon CV n’a pas été joint correctement au courriel que j’ai envoyé et qu’ils ne l’ont pas reçu ». À ce stade, je sentais que je devenais anxieux et frustré; j’ai donc décidé d’étiqueter ces sentiments, « Anxiété… Frustration. » Le fait d’étiqueter nos sentiments nous aide à les reconnaître et à les observer. Lorsque nous étudions une pensée, un sentiment ou une sensation dans notre corps, nous remarquons ses attributs et ses caractéristiques. Ce que je ressentais était une tension dans ma poitrine et un léger essoufflement. J’ai aussi remarqué une certaine chaleur qui me traversait tout le corps et une envie de mettre fin à l’exercice de méditation et de me lever. Selon Armstrong, le fait d’analyser une pensée, un sentiment ou une sensation s’apparente à une collecte de données; plus nous avons de données, plus notre aperçu de la situation est clair.

En poursuivant l’exercice, j’ai remarqué que les sentiments d’anxiété et de frustration allaient et venaient; ils n’étaient donc pas permanents. Lorsque nous avons l’impression que des sentiments sont permanents et vifs, nous voulons réagir sans réfléchir et de manière impétueuse. Le fait qu’ils ne soient pas permanents nous permet d’établir un lien avec la théorie du chaos et l’idée que tout dans la vie est en état de mutation en raison des changements continuels qui s’opèrent, même les pensées et les sentiments. Par conséquent, nous pouvons dire que nous ne sommes pas nos pensées, mais plutôt que nos pensées font partie des expériences que nous vivons.

La pratique de la pleine conscience est simple en théorie, mais elle n’est pas nécessairement facile. Cette difficulté tient au fait que nous consacrons beaucoup de temps à nous perdre dans nos pensées; ou bien nous refusons d’accepter le passé et ruminons à son sujet, ou bien nous fabulons et nous faisons des plans pour l’avenir. Cela fait en sorte qu’il est difficile, voire impossible, d’accepter les situations et les circonstances pour ce qu’elles sont dans le moment présent. Lorsque nous acceptons les choses pour ce qu’elles sont, nous sommes en mesure de faire l’expérience de pensées utiles comme l’ouverture, la patience et la neutralité. Compte tenu de ce monde imprévisible dans lequel nous vivons, nous devrions nous efforcer de cultiver les pensées utiles et de ne pas nous laisser emporter par les pensées et les sentiments négatifs, et la réactivité égocentrique. La pratique de la pleine conscience peut nous aider à vivre une vie plus lucide et sereine.

 

Justin Pritchard travaille en tant qu’accompagnateur en gestion de carrière dans le cadre du nouveau programme « Transition to Career (T2C) » du centre de carrières de l’Université de l’Alberta. Son expérience en tant qu’intervenant en développement de carrière s’ajoute à celle qu’il a acquise en tant qu’ancien président d’un groupe spécialisé dans la pleine conscience à l’Université de l’Alberta; il fait également des recherches sur les relations qui existent entre le développement de carrière et la pleine conscience au centre de carrières. Justin a récemment terminé une maîtrise dans le cadre de laquelle il a étudié les effets de la pratique de la pleine conscience, en ce qui a trait à la créativité, sur l’éducation.

Référence

Bright. J. (2013). Chaos theory of careers explained: Interview with Dr.Jim Bright at Vanderbilt University [vidéo]. Accessible sur www.youtube.com/watch?v=BL2wTkgBEyk