Par Isabelle Falardeau

Modèle permettant aux clients d’améliorer la tolérance à l’incertitude chez la personne indécise et de l’encourager à explorer fructueusement des perspectives de carrières

L’anxiété est une émotion normale qui survient lorsqu’on appréhende un événement pénible, tel une menace à son intégrité physique ou psychologique. Elle provoque une vigilance qui entraîne la mobilisation de ses ressources pour mieux affronter une épreuve. Une anxiété anormale est ressentie quand la personne surestime ou imagine un danger et qu’elle sous-estime ses compétences à l’affronter. Il est normal de ressentir une certaine anxiété au moment où l’on élabore son choix de carrière. En effet, de nombreuses questions anxiogènes se dressent nécessairement quand on cherche à clarifier son choix vocationnel : Et si je me trompais dans mon choix? À la fin de ma formation, vais-je me trouver un emploi ? Vais-je être heureux et compétent dans ce métier? Et si je n’aime plus mon travail après 10 ans? L’anxiété vocationnelle anormale s’observe chez les personnes qui tolèrent mal l’incertitude. Malheureusement pour elles, cette incertitude jalonne toute la démarche en orientation, du début à la fin… La seule façon de réduire son anxiété est d’apprendre à mieux tolérer les zones grises, les questions sans réponse, l’ambiguïté de l’information, etc.

L’anxiété normale et l’anxiété anormale classent nos clients en deux grandes catégories : ceux qui tolèrent bien l’incertitude liée au choix de carrière et ceux qui la tolèrent mal, au point de chercher à la fuir par certains de leurs comportements (comme sauter sur la première idée, éviter de penser à son indécision). Évidemment, la ligne entre ces deux catégories de personnes n’est pas clairement tracée. La frontière est poreuse.

En plus de sa capacité à tolérer ou non l’incertitude liée au choix professionnel, notre client adoptera ou non des comportements d’exploration vocationnelle, comportements qui vont faire avancer sa réflexion vers une décision judicieuse. À partir de ces deux dimensions de l’indécision que sont la tolérance à l’incertitude et l’exploration vocationnelle, je vous propose quatre visages forts différents.

Quatre figures de l’indécision

Le curieux engagé (case 1) représente le client idéal, qui gère bien son incertitude, fait ses devoirs en explorant correctement l’information scolaire et professionnelle. Il vient aux rencontres et collabore entièrement durant l’entretien. Il vit une indécision normale, nécessaire et passagère. Par contre, les clients que l’on retrouve dans les autres catégories souffrent d’une indécision qui ralentit ou bloque le processus d’orientation, chacun pour des raisons différentes. Pour le conseiller, il s’agira d’amener ses clients bloqués dans les cases 2 à 4 vers la case 1. L’intervention ne consistera donc pas à réduire l’indécision, mais plutôt à augmenter la tolérance à l’incertitude et à encourager la mobilisation de la personne indécise, autrement dit à passer d’une « mauvaise » à une « bonne » indécision…

Comment aider le passif nonchalant (Case 2)

Eddy est au secondaire et vient voir la conseillère d’orientation. Il doit faire un choix de programme pour l’année prochaine. Il ne s’est jamais trop poser de questions sur sa future carrière. Il aime le sport et les jeux vidéo. Il démontre un peu d’irritation devant les questions de la conseillère.

Les interventions possibles pour l’aider sont : l’inviter à passer un test, en ligne de préférence, pour activer son intérêt et éviter une succession pénible de questions sans réponse en tête à tête avec le conseiller ; amener une réflexion sur la perspective temporelle (sans le moraliser) en démontrant l’impact de son présent sur son futur ; le questionner sur le sens peut-être négatif qu’il donne à l’orientation (devenir adulte c’est travailler et ne plus avoir de plaisir , s’orienter, c’est répondre à une pression parentale ou sociétale) ; explorer avec lui les sites d’information sur les formations postsecondaires ; le mettre en lien avec des travailleurs ; l’inciter à faire un choix « provisoire » de formations et non de professions ; écrire noir sur blanc quelques options possibles et un plan d’actions.

Comment aider le dispersé étourdissant (Case 3)

Maria doit s’inscrire à l’université. Cela fait des années qu’elle se pose plein de questions sur son choix de carrière. Elle change continuellement d’idées. Elle s’intéresse à plusieurs domaines d’études qu’elle a abondamment explorés et ne parvient pas à écarter. Cela l’empêche même de dormir.

Les interventions possibles sont : discuter de l’incertitude inhérente au processus d’orientation et de l’importance d’apprendre à tolérer les questions sans réponse précise ; valoriser l’indécision comme une position d’éveil et d’ouverture qui garantit de ratisser large et de ne pas oublier des options ; proposer des outils d’aide à la décision (tableau comparatif, arbre décisionnel) ; envisager des compromis à la suite de renoncements nécessaires (faire de la musique dans ses loisirs, faire du bénévolat pour aider les gens, apprendre une langue et voyager en dehors de son travail, par exemple) ; dédramatiser les conséquences d’une mauvaise décision ; référer en psychologie en cas d’anxiété trop élevée.

Comment aider le rêveur enlisé (Case 4)

Gregory veut devenir policier. Il en rêve depuis qu’il est tout jeune. Son père est policier et il l’admire beaucoup. Il a été refusé deux fois au collège à cause de ses résultats scolaires insuffisants. Il vient voir un conseiller pour l’aider à trouver une stratégie pour être admis une fois pour toute en techniques policières.

Les interventions possibles sont : comprendre d’abord que ce client cache une grande anxiété en n’ouvrant pas l’éventail des choix possibles ; identifier les raisons pour lesquelles il désire devenir policier et en extraire les valeurs sous-jacentes (aider les gens, faire respecter les lois, faire partie d’une équipe, travailler physiquement) ; garder un tout petit espoir que le plan A, être policier, pourrait un jour fonctionner (cela l’aide à envisager des plans B provisoires qui deviendront plus réalistes) ; lui montrer avec tact l’écart entre les exigences d’admission et ses résultats scolaires ou aptitudes; l’accompagner dans l’exploration d’options qui tiennent compte de ses valeurs ; aborder les conséquences négatives de s’acharner sur une seule option (perte de temps, d’argent, accumulation de refus ou d’échecs, dévalorisation) ; trouver des compromis pour arriver à renoncer à ce rêve (s’entraîner en dehors de son travail, aider les gens différemment) ; démontrer beaucoup d’empathie face à ce deuil à faire ; valoriser l’indécision passagère et la tolérance à l’incertitude.

En conclusion, chaque client indécis apparaît comme un cas de figure unique et parfois complexe. J’ai identifié quatre catégories d’indécis pour vous permettre de vous y retrouver et d’ajuster vos pratiques professionnelles en conséquence. Le rêveur enlisé représente un tel défi que je lui consacre l’écriture d’un prochain livre.

 

Isabelle Falardeau est conseillère d’orientation depuis 2000 et psychologue depuis 1985. Après une carrière en milieu collégial, elle fait maintenant de la pratique privée au nord de Montréal. Elle a écrit plusieurs livres sur l’indécision, deux ont remporté un prix de l’OCCOQ, en 2000 et en 2008.