Par Gabrielle St-Cyr

Comprendre les différences et s’adapter pour une meilleure orientation professionnelle

En 2011, on recensait quelque 59 000 Inuit au Canada, soit environ 4,2 % de la population autochtone canadienne et 0,2 % de la population nationale totale. Les trois quarts de la population inuit vivent dans l’Inuit Nunangat, un vaste territoire nordique qui s’étend du Labrador aux Territoires du Nord-Ouest. Les Inuit présentent la plus jeune population parmi les trois groupes autochtones (Premières Nations, Métis et Inuit), avec un âge médian de 23 ans, comparativement à 41 ans pour la population non autochtone du Canada (Statistique Canada, 2013). En 2012, seuls 42 % des Inuit détenaient un diplôme d’études secondaires ou l’équivalent, une proportion deux fois moindre que pour la population non autochtone (Bougie, Kelly-Scott et Arriagada, 2013). Les communautés autochtones figurent également parmi les plus pauvres au Canada, un phénomène notamment lié à leur faible niveau éducationnel, à l’écart salarial face à leurs pairs non autochtones et au coût de la vie exorbitant dans les communautés éloignées (Wilson et MacDonald, 2010; Duhaime, 2009; Pendakur et Pendakur, 2008). Malgré ces difficultés, le contexte de rareté de main-d’œuvre et les défis démographiques propulseront un nombre grandissant de jeunes travailleurs inuit – et, de façon plus générale, autochtones – sur le marché du travail au cours des prochaines années. Il importe alors de leur offrir des services de développement de carrière adaptés à leur culture millénaire et à leurs besoins.

Le counseling de carrière imprégné par la culture

Le développement de carrière affecte tous les aspects de la vie d’un individu, de sa formation à son travail, en passant par sa vie familiale et ses loisirs. En ce sens, il est teinté par la culture, les valeurs et les modes de pensée de chaque être humain. Selon l’approche du counseling de carrière imprégné par la culture, développée entre autres par Nancy Arthur et Sandra Collins (voir notamment le livre Culture-Infused Counselling), il est par conséquent essentiel d’adapter les stratégies et techniques d’intervention en développement de carrière aux spécificités socioculturelles de la clientèle cible. Pour les communautés inuit, ces particularités culturelles sont variées et riches, que ce soit en lien avec la conception du temps, la proximité avec la terre ou l’importance des relations avec autrui. De tradition orale, la culture inuit est également très axée sur l’observation et l’imitation des comportements souhaités, une méthode d’apprentissage qui s’applique aux acquis techniques comme aux compétences personnelles. À titre d’exemple, les jeunes Inuit apprennent très vite, à travers l’observation et la manipulation, le maniement des outils traditionnels de chasse, de pêche, de couture ou de cuisine (RQuODE, 2016a, p. 82).

Adapter ses interventions, un nouvel outil pour les conseillers

Les conseillers en emploi qui interviennent auprès de la clientèle inuit sont confrontés à des défis d’accompagnement particuliers, qu’ils soient eux-mêmes inuit ou non. Il est donc tout à fait pertinent pour ces intervenants d’adapter leurs pratiques (généralement fondées sur des représentations occidentales) selon les spécificités socioculturelles de cette culture. Mais comment assurer une forte présence culturelle dans l’intervention, tant en individuel qu’en groupe? Quelles stratégies prioriser avec des clients inuit présentant des troubles de dépendance ou une faible scolarisation? Comment adapter son mode de communication et réduire ses filtres culturels dans un contexte de bilinguisme (inuktitut et français/anglais) teinté par la culture?

Pour soutenir les conseillers intervenant auprès de la clientèle inuit dans cette démarche, un guide de référence a été produit en 2016 en collaboration avec des représentants inuit : le guide PINASUUTITSAQ(qui signifie « travailler avec » en inuktituk) (RQuODE, 2016b). Ce guide s’appuie sur deux sources de données, soit la revue de la littérature et l’expertise des professionnels du secteur, par le biais de groupes de discussion et d’entrevues individuelles réalisés avec des intervenants basés au Nunavik et à Montréal (par exemple, des agents locaux d’emploi, des conseillers en emploi, des professionnels du développement de carrière et des professeurs).

Le guide PINASUUTITSAQ propose 50 stratégies d’intervention, en plus d’aborder les défis les plus fréquents pour ces clients. Les champs d’adaptation sont nombreux : relation avec le client, transition vers une approche communautaire, attention portée à la confiance en soi et à l’empowerment, diversification des formes d’apprentissage, communication, etc. À titre d’exemple, voici une stratégie sur le lien de confiance à bâtir entre le client et son conseiller, extraite du guide PINASUUTITSAQ :

Priorisez la création et le maintien du lien de confiance avec votre client

La société inuit est fondée sur les relations humaines et le partage. L’alliance de travail doit, comme dans toute relation d’aide, être prioritaire. Pour les Inuit, le lien de confiance se gagne à travers le temps et par la démonstration de ses savoirs (être et faire). Compte tenu notamment du fort roulement de personnel, le lien de confiance pourrait être plus long à établir dans les communautés nordiques. Il peut être utile de bâtir d’abord une relation un peu plus personnelle avec le client plutôt que de miser dès le départ sur la création d’une relation professionnelle productive.

  • Parler au « nous » (ex : nous allons faire ça ensemble) lorsque le contexte s’y prête.
  • « Déconventionnaliser » les rencontres avec les clients (ex : prendre le temps de discuter de sujets plus légers, offrir un café ou un verre d’eau, etc.).
  • Ne pas chercher à précipiter l’établissement de la relation de confiance ni l’alliance de travail. Les Inuit sont connus pour leur patience et leur sens de l’observation poussés : ils remarqueront les efforts, intentions et intérêts, même s’ils ne l’expriment pas directement.
  • Démocratiser la relation client-conseiller : faire preuve d’humilité et d’ouverture face à son rôle « d’expert », car le client demeure l’expert de sa propre vie. Garder en tête qu’il s’agit d’un échange de connaissances.
  • Parler de ses expériences personnelles et professionnelles avec le client (autodévoilement), en prenant soin de respecter ses propres limites (RQuODE, 2016b, p. 35).

Téléchargez le guide PINASUUTITSAQ gratuitement (disponible en anglais et francais) sur ceric.ca/resource/reference-guide.

Une approche applicable à d’autres réalités

L’approche du counseling de carrière imprégné par la culture est également pertinente pour les conseillers qui œuvrent auprès d’individus d’origine immigrante ou issus d’autres communautés autochtones. Puisque plusieurs référents culturels transcendent les groupes ethniques, notamment en ce qui a trait à la dimension collectiviste et à la communication orale, ces conseillers peuvent aussi s’inspirer des pistes d’adaptation proposées dans le guide de référence PINASUUTITSAQ. Bien entendu, puisque chaque individu et chaque situation sont uniques, il revient à l’intervenant de choisir et personnaliser les stratégies proposées, en tenant compte des réalités locales (par exemple, les localités nordiques, les régions rurales et les zones métropolitaines), des besoins particuliers de chaque client et de ses forces et besoins en tant que conseiller.

Une approche applicable à d’autres réalités

L’approche du counseling de carrière imprégné par la culture est également pertinente pour les conseillers qui œuvrent auprès d’individus d’origine immigrante ou issus d’autres communautés autochtones. Puisque plusieurs référents culturels transcendent les groupes ethniques, notamment en ce qui a trait à la dimension collectiviste et à la communication orale, ces conseillers peuvent aussi s’inspirer des pistes d’adaptation proposées dans le guide de référence PINASUUTITSAQ. Bien entendu, puisque chaque individu et chaque situation sont uniques, il revient à l’intervenant de choisir et personnaliser les stratégies proposées, en tenant compte des réalités locales (par exemple, les localités nordiques, les régions rurales et les zones métropolitaines), des besoins particuliers de chaque client et de ses forces et besoins en tant que conseiller.

 

Gabrielle St-Cyr est chargée de projet en recherche et analyse au sein du Regroupement québécois des organismes pour le développement de l’employabilité (RQuODE) depuis 2011. À ce titre, elle a mené plusieurs projets de recherche et d’intervention visant à faciliter l’insertion professionnelle de diverses clientèles, dont les nouveaux arrivants et les Inuit.

Références

ARTHUR, Nancy et Sandra Collins (2010). Culture-Infused Counselling, 2nd edition. Calgary, Counselling Concepts.
BOUGIE, Evelyne, Karen KELLY-SCOTT et Paula ARRIAGADA (2013). Expériences au chapitre de l’éducation et de l’emploi des Premières Nations vivant hors réserve, des Inuit et des Métis : certains résultats de l’Enquête auprès des peuples autochtones de 2012 (No 89-653-X au catalogue — No. 001). Ottawa, Statistique Canada.
DUHAIME, Gérard (2009). La pauvreté au Nunavik – État des connaissances. Québec, Université Laval – Chaire de recherche du Canada sur la condition autochtone comparée.
PENDAKUR, Krishna et Ravi PENDAKUR (2008). Aboriginal Income Disparity in Canada. Metropolis British Columbia.
Regroupement québécois des organismes pour le développement de l’employabilité (2016a). Recherche d’indicateurs pour créer une intervention en employabilité originale, adaptée à la clientèle inuit. Montréal, RQuODE.
Regroupement québécois des organismes pour le développement de l’employabilité (2016b). PINASUUTITSAQGuide de référence pour les conseillers en développement de carrière intervenant auprès de la clientèle inuit. Montréal, RQuODE.
Statistique Canada (2013). Les peuples autochtones au Canada : Premières Nations, Métis et Inuits. Document analytique – Enquête nationale auprès des ménages 2011 (No 99-011-X2011001 au catalogue). Ottawa, Gouvernement du Canada.
WILSON, Daniel et David MACDONALD (2010). « The Income Gap between Aboriginal Peoples and the Rest of Canada », Canadian Centre for Policy Alternatives, Ottawa, 34 pages.