Comment la Kootenay Career Development Society s’efforce de combattre le racisme institutionnalisé dans ses propres murs

Malorie Moore

author headshotDans son livre paru en 2017 et intitulé Why I’m No Longer Talking to White People about Race, Reni Eddo-Lodge déclare : « La chose perverse dans notre structure raciale actuelle, c’est qu’il a toujours incombé à ceux qui sont au bas de l’échelle de faire des efforts pour la changer. Pourtant, le racisme est un problème de Blancs. Il met en relief les angoisses, l’hypocrisie et les doubles normes liées au fait d’être Blanc. C’est un problème ancré dans la psyché de la blancheur et que les Blancs sont responsables de résoudre. On ne peut pas tout faire de l’extérieur. »

Reni Eddo-Lodge a raison : la responsabilité de remettre en question la suprématie blanche au sein des structures organisationnelles incombe aux personnes qui ont le pouvoir d’effectuer de tels changements, c’est-à-dire les gestionnaires et les dirigeants, particulièrement s’ils sont Blancs. C’est dans cet esprit que j’ai écrit cet article qui, je l’espère, pourra inspirer d’autres organisations dont la direction et le conseil d’administration sont majoritairement composés de Blancs, afin de les inciter à prendre des mesures concrètes. Veuillez noter que je ne parle pas à titre d’experte, et qu’en ce qui concerne notre organisme, nous n’en sommes qu’au tout début de notre processus vers une approche antiraciste. Cet article n’est en aucun cas un guide pratique, mais plutôt un compte rendu transparent de la manière dont notre organisme a commencé à lutter contre le racisme institutionnalisé sur le lieu de travail.


Une note sur la suprématie blanche

Veuillez noter que pour les besoins de cet article, toute référence à l’expression suprématie blanche renvoie à un ensemble complexe de structures, de systèmes et d’attitudes sociétales. Dans son livre Me and White Supremacy publié en 2020, Layla F. Saad décrit la suprématie blanche de la manière suivante : « La suprématie blanche est une idéologie raciste qui repose sur la croyance que les Blancs sont supérieurs à bien des égards aux personnes d’autres races et que, par conséquent, ils devraient être dominants par rapport aux autres races. La suprématie blanche n’est pas seulement une attitude ou une façon de penser. Elle s’étend également à la manière dont les systèmes et les institutions sont structurés pour maintenir cette domination blanche… En fait, la suprématie blanche est loin d’être marginale. Dans les sociétés et les communautés centrées sur les Blancs, c’est le paradigme dominant qui constitue le fondement à partir duquel les normes, les règles et les lois sont créées. »


Qui sommes-nous?

La Kootenay Career Development Society (KCDS) est un organisme à but non lucratif qui œuvre dans de nombreuses communautés rurales de la région East Kootenays, en Colombie-Britannique. Nous comptons 60 employés, et notre personnel, notre conseil d’administration et nos équipes de direction sont majoritairement formés de Blancs. Bien que nous ayons mis en œuvre depuis plusieurs années un certain nombre de pratiques qui mettent l’accent sur un engagement à l’égard de la diversité et de l’inclusion, tant dans notre prestation de services que dans le recrutement, ce n’est qu’au printemps 2020 que nous avons pris du recul pour évaluer de manière critique notre position organisationnelle en matière de lutte contre le racisme.

Comment avons-nous initié notre processus?

Ce processus a été lancé à l’initiative d’un gestionnaire qui est une personne de couleur. Bien que j’applaudisse mon équipe pour son ouverture d’esprit, sa capacité d’écoute et son passage à l’action, il faut néanmoins noter que, si nous concevons le racisme comme un problème de Blancs, un tel processus aurait pu, et aurait dû être entrepris plus tôt par un gestionnaire blanc. Je mentionne ceci pour souligner le fait que les efforts de lutte contre le racisme sont souvent pris en charge par les personnes autochtones, noires et de couleur (PANDC), ainsi que pour encourager les autres Blancs qui lisent ceci à agir plus tôt. L’un des plus grands défis dans le démantèlement du racisme sur le lieu de travail est peut-être de faire ce premier pas. Toutefois, en tant que Blancs bien intentionnés, nous ne pouvons pas nous permettre d’hésiter à prendre des mesures de peur de ne pas avoir toutes les réponses.

Nos premiers pas

En premier lieu, nous avons commencé par créer un groupe de travail sur l’antiracisme, dont le but était de déterminer et de prendre des mesures en lien avec un certain nombre de stratégies de lutte contre le racisme, et ce, dans les meilleurs délais. Pour atteindre cet objectif, nous devions nous réunir souvent (deux à quatre fois par mois) et, dans le cadre de ces rencontres, convier des membres du personnel de gestion ayant une capacité de prise de décision. Dès le début, des membres de notre équipe de direction, notamment notre directeur général, ont participé activement à ce groupe de travail. Ces rencontres nous ont amenés à entreprendre plusieurs projets.

Avec la contribution de tous nos membres du personnel, nous avons créé une déclaration de solidarité visant à exprimer notre soutien au mouvement Black Lives Matter. Nous avons également élaboré un énoncé de reconnaissance territoriale à l’égard des peuples autochtones, afin de l’inclure dans nos communications par courriel et d’en faire mention au début des réunions du personnel et autres rencontres. La déclaration de solidarité et l’énoncé de reconnaissance des territoires autochtones se trouvent tous deux sur notre page Web et ont été diffusés sur les médias sociaux. Anticipant une certaine résistance de la part du personnel ou des membres de la communauté, nous avons réfléchi à des moyens de répondre à d’éventuels commentaires négatifs ou racistes. Cependant, la réaction a été beaucoup moins négative que ce que nous appréhendions au départ, et même que la plupart des commentaires que nous avons reçus étaient extrêmement positifs.

« … nous ne pouvons pas nous permettre d’hésiter à prendre des mesures de peur de ne pas avoir toutes les réponses. »

En ce qui concerne la prestation de services, nous avons reconnu la nécessité de faire appel à la participation du personnel de première ligne dans la formation continue sur des sujets liés au racisme et à la suprématie blanche. Nous avons fourni des ressources pertinentes au personnel et encouragé le développement professionnel par l’entremise de différents cours, comme Indigenous Canada (Autochtones du Canada), ainsi que des formations internes sur les compétences culturelles et les pratiques culturellement sécuritaires. Nous avons également alloué du temps de travail à un club de lecture pour les employés, dans le cadre duquel des membres du personnel ont lu ou écouté la série de conférences de Thomas King Massey intitulée The Truth about Stories: A Native Narrative (La vérité sur les histoires : le point de vue autochtone). De plus, les membres du club se réunissaient deux fois par semaine pour discuter de ce qu’ils avaient appris.

Soulignons que nous avons aussi organisé une formation sur l’antiracisme par l’entremise du groupe Future Ancestors, basé en Alberta. Chaque année, la KCDS offre à son personnel une formation sur la diversité et l’inclusion. Toutefois, cette formation sur l’antiracisme était bien différente, car on y encourageait explicitement les Blancs à assumer activement leur complicité individuelle au sein d’une société reposant sur des bases de racisme et de colonialisme anti-Noirs. Chaque mois, nous prenons le temps, en équipe, de passer en revue le contenu de cette formation et d’examiner comment nous pouvons intégrer cet apprentissage dans nos rôles de fournisseurs de services. Certaines conversations récentes ont mis l’accent sur l’importance de réfléchir à nos propres préjugés tout au long du processus de prestation de services, et de faire un effort conscient pour éviter le langage oppressif et choisir nos mots avec soin.

En tant que gestionnaires et dirigeants, nous avons eu droit à une formation spécifique sur l’antiracisme, ce qui nous a donné l’occasion d’examiner en détail notre déclaration de solidarité. Nous avons été encouragés à déterminer de manière précise ce que nous avions l’intention de faire pour démontrer notre engagement à l’égard des idées exprimées dans cette déclaration. C’est pourquoi, dans cette perspective, nous avons veillé à ce que notre plan stratégique comporte un objectif d’embauche plus diversifié, ainsi que de meilleurs services aux clients qui sont sous-représentés dans notre région. Nous sommes toujours en train d’affiner notre plan stratégique, et je reconnais que nous avons encore du travail à faire pour définir plus précisément nos objectifs et nous assurer d’éviter les formulations vagues ou cryptiques.

Enfin, nous avons reconnu qu’en tant que membres d’une équipe de direction à prédominance blanche, nous n’avons pas les outils et les ressources nécessaires pour effectuer tous les « bons » changements. Nous avons reconnu le fait que pour être efficaces, nous avions besoin d’aide. À cette fin, nous avons pris la décision d’engager un consultant externe, afin de nous aider à déterminer les changements que nous devons effectuer pour évoluer vers un modèle d’organisation davantage axé sur l’antiracisme.

Voilà donc les premières étapes que nous entreprenons en tant qu’organisation pour lutter contre la suprématie blanche sur notre lieu de travail. Nous avons fait des erreurs, et nous continuerons à en faire. Cependant, je peux dire avec gratitude que la peur de faire des erreurs ne nous a pas empêchés d’essayer d’essayer de nous améliorer.

Malorie Moore est une travailleuse sociale autorisée à l’emploi de la Kootenay Career Development Society. Elle s’appuie sur son expérience en santé mentale et son travail avec les populations marginalisées pour soutenir le développement clinique de l’organisme et du personnel de première ligne. Madame Moore adore vivre dans la région des Kootenays, où elle passe son temps libre à faire du canot, de l’escalade et diverses activités dans les montagnes.