Ces questions à l’intention des professionnels de la carrière appellent à une action intentionnelle pour lutter contre le racisme envers les Noirs 

Tracey Lloyd 

Nous vivons une période troublante. Près d’un an après le début de la pandémie et en raison d’incidents inquiétants causés par les conflits raciaux et l’injustice, nous sommes nombreux à mener une réflexion approfondie sur ce que tout cela signifie dans notre vie personnelle et professionnelle. Le nouveau coronavirus et le mouvement Black Lives Matter ont convergé pour exercer une influence considérable sur notre bien-être, ce qui nous a confrontés à l’incertitude. 

Les professionnels du développement de carrière ont traditionnellement aidé leurs clients à traverser les périodes d’ambiguïté et d’anxiété, qu’il s’agisse d’une transition de l’école au marché du travail, d’une perte d’emploi, d’un changement de carrière ou d’une amélioration des compétences. Certains travaillent avec des personnes issues de groupes sous-représentés qui sont déjà désavantagées et évincées du marché du travail. La pandémie aggrave la fracture sociale et économique, amenant les professionnels de la carrière à se sentir interpellés dans leur capacité à insuffler l’espoir et à être au service de leurs clients.  

De nombreuses organisations ont répondu aux pressions du public pour lutter contre le racisme envers les Noirs. Alors que les institutions ont la responsabilité d’élaborer des politiques et des pratiques inclusives pour améliorer la vie des personnes appartenant à un groupe économiquement et socialement marginalisé, les professionnels du développement de carrière ont également un rôle important à jouer pour faciliter l’accès à des possibilités de carrière et d’emploi intéressantes pour leurs clients. Quel que soit le poste que vous occupez dans ce domaine, je vous invite à réfléchir à certaines questions qui nécessitent une plus grande prise de conscience, une action intentionnelle et une responsabilité personnelle. Je vous ferai part de quelques réflexions sur les causes profondes et les facteurs systémiques qui limitent la réussite professionnelle des personnes noires, des répercussions des récents événements mondiaux et des mouvements de justice sociale sur les discussions sur la carrière, ainsi que du rôle essentiel de sensibilisation et d’engagement envers les employeurs. 

Comprendre le contexte 

Hirschi (2012) décrit quatre capacités essentielles à la réussite professionnelle : 

  • Ressources identitaires : les aspirations personnelles et la perception de soi par rapport au travail; 
  • Capital humain : les connaissances et les compétences acquises; 
  • Ressources sociales : les relations personnelles et professionnelles; 
  • Ressources psychologiques : le niveau d’optimisme, d’espoir et de résilience. 

Le racisme envers les Noirs affecte le développement des capacités pour bon nombre de nos clients. De nombreuses études ont documenté les effets du racisme et la disparité des résultats en matière d’éducation, d’emploi et de santé pour les membres de diverses communautés noires au Canada (Environics Institute, 2017, 2019; Maynard, 2018; gouvernement du Canada, 2020). L’expérience des personnes noires continue de pâtir des systèmes d’oppression enracinés dans le colonialisme et la suprématie blanche. 

En adoptant les quatre capacités de Hirschi dans mon propre travail, je prends en considération l’expérience des personnes noires dans le système éducatif, qui est façonné par les faibles attentes des enseignants, le groupement par aptitudes, ainsi que des taux de suspension, d’expulsion et de décrochage disproportionnés. Le manque de représentation dans le curriculum et dans la classe affecte l’identité professionnelle. Je suis également consciente de l’effet du climat sociopolitique et des images médiatiques de la communauté noire sur la perception de soi, le sentiment d’appartenance, l’espoir et le bien-être psychologique global. Comme l’affirme Hooley (2020), « Nos carrières ne sont pas seulement l’expression de notre psychologie ou de notre volonté; elles sont ancrées dans les structures sociales. » [Traduction libre] 

Les discussions sur la carrière avec vos clients noirs doivent être fondées sur une compréhension de l’histoire et du contexte qui influencent leur trajectoire professionnelle. Cela nécessite également une compréhension de la positionnalité, en d’autres termes, leur identité, leur situation sociale et leur vision du monde. Comment votre propre positionnalité et privilège influencent-ils votre travail en tant que professionnel du développement de carrière? Comment cette compréhension de l’histoire et de l’expérience des personnes noires se révèle-t-elle dans votre pratique? Dans quelle mesure êtes-vous à l’aise de discuter des craintes de discrimination avec vos clients?  

Remettre en question le système 

McMahon, Arthur et Collins (2008) nous rappellent la relation historique entre le développement de carrière et la réforme de la justice sociale. Les auteurs demandent aux professionnels d’examiner les contextes sociaux, économiques et politiques de leur travail. Ils nous encouragent à équilibrer l’attention que nous portons à l’individu et à faire une évaluation plus critique des systèmes qui déterminent l’accès, le statut et la trajectoire professionnelle. Hooley (2020) avance que parfois les clients tirent avantage d’une aide individuelle, d’autres fois d’un changement systémique, mais plus souvent des deux à la fois. Comment votre approche de l’orientation professionnelle pourrait-elle être en accord avec les normes de la culture dominante et quel est le message transmis à vos clients?  

Afin d’assurer la représentation des clients noirs et de favoriser un sentiment d’appartenance, pensez à la composition de votre équipe, aux événements sur les carrières, ainsi qu’aux images et au langage utilisés dans votre matériel promotionnel et documentation d’apprentissage. Quels noms utilisez-vous habituellement sur les exemples de curriculum vitæ? Quels visages illustrent les brochures du programme et les présentations PowerPoint? Si des clients font partie de votre modèle de prestation de services, des leaders étudiants noirs ou des personnes noires chargées d’aider les pairs sont-ils engagés? Faites-vous participer des professionnels, des spécialistes de l’industrie et d’anciens élèves noirs à des événements sur les carrières? J’encourage les animateurs de ces séances à poser des questions liées à l’équité aux conférenciers invités, car certains de vos clients noirs peuvent être mal à l’aise d’exprimer leurs préoccupations. 

L’engagement envers les employeurs est également un élément essentiel de notre travail et nous permet de remédier aux préjugés systémiques en matière de recrutement et de maintien en emploi. Les services d’orientation professionnelle doivent repenser leur approche des relations avec les employeurs en posant des questions telles que : Comment évaluez-vous l’engagement d’un employeur envers les pratiques anti-oppressives? Comment réagissez-vous aux employeurs qui font de la discrimination? Quelles ressources pouvons-nous élaborer pour aider les clients à évaluer l’engagement d’un employeur potentiel à lutter contre le racisme envers les Noirs? 

Les services d’orientation professionnelle devraient également recueillir des données fondées sur la race et procéder à l’évaluation régulière de l’efficacité des programmes. Les données d’évaluation révéleront qui sont les participants, la qualité de l’expérience et les résultats pour les clients noirs. Les critères importants pour guider la collecte de données sont : 

  • Le taux auquel les clients noirs obtiennent des emplois et des stages par rapport à d’autres groupes 
  • Les types de possibilités d’emploi qui débouchent sur un emploi et leur expérience de stage 
  • La qualité de la supervision 

Le refus de recueillir des données fondées sur la race et d’y réfléchir de manière critique confirme le racisme systémique. Remettre en cause le système signifie que nous questionnons continuellement les structures dans lesquelles nous travaillons, interagissons et que nous favorisons à titre de professionnels du développement de carrière.  

Miser sur les forces 

Les discussions sur la carrière sont intrinsèquement relationnelles et visent à déceler les forces du client. La confiance en soi est gage de succès. En faisant preuve d’un regard positif à l’égard du client, le professionnel du développement de carrière contribue à renforcer cette confiance et transmet ce qu’Amundson (2018) qualifie de « sentiment d’importance » au client. 

Remettre en question nos idées préconçues et être conscient de notre positionnalité et de nos préjugés inconscients nous permettra de mettre en place des interventions en développement de carrière plus significatives, autant du point de vue individuel que systémique. En conséquence, les aspirations professionnelles et le champ des possibles du client s’élargiront naturellement. La poursuite de la justice sociale dans notre travail nous pousse à favoriser les relations professionnelles, les expériences de travail de qualité, un mentorat utile et à engager des superviseurs à titre de champions pour garantir que les membres des groupes économiquement et socialement marginalisés puissent réussir. Ceci est particulièrement important pour les clients noirs, qui sont souvent minoritaires dans de nombreux milieux de travail. 

Poursuivre la conversation 

Le développement de carrière est un impératif de justice sociale. Je termine par les cinq balises de Hooley (2020) : développer la conscience critique, nommer l’oppression, remettre en question ce qui est normal, encourager les gens à travailler ensemble et travailler à différents niveaux. En ce qui me concerne, compte tenu de mon travail et de mon leadership dans le domaine, cet exercice de réflexion et ce parcours d’apprentissage doivent être poursuivis. 

Bien que ce que j’avance soit également pertinent pour d’autres groupes économiquement et socialement marginalisés, j’ai choisi de me concentrer sur l’expérience des personnes noires pour veiller à ce qu’elle ne soit pas noyée dans la conversation plus large sur l’équité, la diversité et l’inclusion. Selon le cadre actuel, les clients et étudiants noirs restent désavantagés. J’espère que les questions que j’ai soulevées incitent à poser un regard critique sur notre pratique et mettent en lumière notre rôle en tant que professionnels de la carrière pour élever la discussion sur la carrière et améliorer la trajectoire professionnelle des membres des communautés noires. 

Tracey Lloyd est directrice des services d’orientation professionnelle et de l’enseignement coopératif au Centennial College, situé à Toronto. Avant de se joindre à l’équipe du Centennial College, Tracey Lloyd était directrice des programmes d’emploi à Tropicana Community Services. Elle a également enseigné dans le cadre du programme de formation des conseillers d’orientation et de développement de carrière au George Brown College. Madame Lloyd est titulaire d’un doctorat en éducation des adultes de l’Institut d’études pédagogiques de l’Ontario de l’Université de Toronto. 

Références 

Amundson, N.E. (2018). Active Engagement: The being and doing of career counselling, anniversary edition. Richmond, B.C: Ergon Communications. 

Environics Institute (2017). The Black Experience Project in the GTA. Toronto, Ontario. environicsinstitute.org/docs/default-source/project-documents/black-experience-project-gta/black-experience-project-gta—1-overview-report.pdf?sfvrsn=553ba3_2 

Environics Institute and Canadian Race Relations Foundation. (2019). Race Relations in Canada: A survey of Canadian public opinion and experience. Toronto, Ontario. crrf-fcrr.ca/images/Race_Relations_in_Canada_2019_Survey_-_FINAL_REPORT_ENGLISH.pdf 

Government of Canada. (2020). Social Determinants and Inequities in Health for Black Canadians: A snapshot. Ottawa, Ontario. canada.ca/content/dam/phac-aspc/documents/services/health-promotion/population-health/what-determines-health/social-determinants-inequities-black-canadians-snapshot/health-inequities-black-canadians.pdf 

Hirschi, A. (2012). The Career Resources Model: An integrative framework for career counsellors. British Journal of Guidance & Counselling, Vol. 40(4), 369-383. http://dx.doi.org/10.1080/03069885.2012.700506 

Hooley, T. (2020, January 26th). Career Development and Social Justice: Developing emancipatory practice. Cannexus 2020 Conference, Ottawa, Ontario. cannexus.ceric.ca/?page_id=1770&limit=&q=tristram+hooley&catid=23 

Maynard, R. (2018). Policing Black Lives: State violence in Canada from slavery to present. Black Point, Nova Scotia: Fernwood Publishing. 

McMahon, M., Arthur, N., & Collins, S. (2008). Social Justice and Career Development: Views and experiences of Australian career development practitioners. Australian Journal of Career Development, 17(3), 15-25.