Les intervenants en développement de carrière autochtones intègrent la vision du monde de l’interdépendance dans leur pratique pour offrir des services tous azimuts

Tina-Marie Christian, Seanna Quressette et Kevin Ned

Author headshotsVous rappelez-vous votre première conversation, enfant, sur l’éducation et le rapport au travail? Quel âge aviez-vous? Étiez-vous avec vos parents, vos grands-parents, votre tante favorite ou votre oncle préféré?

Vous avez peut-être oublié cette conversation depuis longtemps. À l’époque, vous n’avez pas réalisé que celle-ci – et les suivantes – modèleraient votre vision de l’éducation et de l’emploi. Chez les Autochtones, ces conversations étaient bien différentes.

Le développement de carrière dans une perspective autochtone est à la fois similaire et qualitativement différent du développement de carrière dans une perspective allochtone. Un important contexte historique façonne l’expérience éducative et professionnelle de certains membres des premiers peuples, sans compter ce qui est vécu aujourd’hui et qui a également une portée sur le parcours professionnel des travailleurs autochtones.

L’idée d’une approche identique pour tout le monde de l’orientation professionnelle est dépassée. Les pratiques actuelles de counselling d’emploi sont beaucoup plus axées sur les besoins individuels – il s’agit d’une approche centrée sur la personne. Et c’est particulièrement vrai pour le client autochtone à la recherche d’un emploi. Avant de nous pencher en profondeur sur les débouchés actuels et futurs qui s’offrent aux Autochtones, nous devons marquer un temps d’arrêt pour réfléchir à la source des connaissances et aux expériences de vie qui façonnent leurs choix.

L’héritage traumatique des pensionnats

La nouvelle de la découverte récente de sépultures anonymes d’enfants sur les sites d’anciens pensionnats autochtones canadiens affecte toutes les communautés autochtones. Les survivants des pensionnats et leurs enfants et petits-enfants revivent le traumatisme de ces écoles.

En 1996, un rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones a révélé les traumatismes et les sévices subis par plusieurs générations forcées de fréquenter les pensionnats pour Autochtones. Ces établissements disaient scolariser et acculturer les élèves autochtones. Dans les faits, on y offrait un enseignement où l’endoctrinement religieux, les travaux domestiques et agricoles et la servitude prenaient le pas sur l’éducation. Le cadre éducatif et les réalisations scolaires étaient médiocres.

De nombreux enfants de survivants des pensionnats ont arrêté leurs études dès l’âge permis, à 16 ans. En outre, il n’était pas facile de faire des études postsecondaires, faute de soutien ou d’intérêt de la part de l’entourage à cet égard. La fréquentation du système scolaire canadien n’était d’ailleurs pas valorisée par la famille. Pour compliquer les choses, le système patriarcal du ministère des Affaires indiennes créait de nombreux obstacles aux études postsecondaires. Comme on le remarque dans l’ouvrage A Short History of Aboriginal Education in Canada publié en 2009, peu d’élèves dépassaient le niveau primaire, quel que soit le nombre d’années passées à l’école. Les auteurs rapportent qu’en 1930, seuls 3 % des élèves autochtones avaient dépassé la sixième année, et que les trois quarts de tous ceux qui étaient scolarisés étaient en première, deuxième ou troisième année.

L’ancien pensionnat de Kamloops où les restes de 215 enfants ont été retrouvés. (iStock)

Cette situation a empêché de nombreux Autochtones d’accéder au marché du travail. Certains aînés croient que c’était à dessein, car les lois entravaient également les efforts en matière d’entrepreneuriat et d’emploi en restreignant la mobilité et en empêchant l’accès aux capitaux. Les agents des Indiens employés par le ministère fédéral des Affaires indiennes devaient fournir des laissez-passer pour quitter la réserve, limitant ainsi l’accès au marché du travail.

Lorsque les étudiants autochtones parvenaient à accéder à l’enseignement supérieur, ils étaient souvent mal préparés sur le plan scolaire et estimaient que les méthodes d’enseignement ne correspondaient pas à leur façon d’apprendre et d’acquérir des connaissances. Le traumatisme intergénérationnel et l’impact des pensionnats continuent d’affecter les chercheurs d’emploi et les étudiants d’aujourd’hui. De nombreux enfants de survivants des pensionnats ont connu des problèmes de santé mentale, notamment d’anxiété et de toxicomanie, au cours de leurs études postsecondaires.

Bâtir un avenir meilleur en éducation

La progression naturelle de l’apprentissage par la découverte et l’ascension scolaire continue dont les Canadiens ont bénéficié n’a rien à voir avec l’approche autocratique et paternaliste prescrite par les Affaires indiennes. La colonisation a fait fi de tout le processus de développement vécu par les Canadiens lors de la révolution industrielle. Les peuples autochtones sont passés d’un apprentissage et d’un enseignement traditionnels sur le terrain à une approche très structurée en classe qui ne faisait pas de place à l’apprentissage par l’expérience.

« Beaucoup apprennent mieux dans un contexte relationnel, par l’expérience pratique, en ayant l’objet d’étude sous les yeux. »

Malgré les défis auxquels ils ont été confrontés, les dirigeants autochtones et leurs communautés ont maintenu le cap sur l’autonomie. Le lobbying politique formel a commencé dès 1972 par la publication de la déclaration de principe La maîtrise indienne de l’éducation indienne par la Fraternité des Indiens du Canada (maintenant l’Assemblée des Premières Nations), un document qui a été le fer de lance des changements apportés au système éducatif pour les populations autochtones.

Les établissements d’enseignement commencent à comprendre les difficultés que rencontrent certains étudiants autochtones et adoptent des méthodes d’apprentissage plus inclusives, avec le soutien d’aînés, de défenseurs des intérêts des Autochtones et de centres d’apprentissage autochtones. Beaucoup apprennent mieux dans un contexte relationnel, par l’expérience pratique, en ayant l’objet d’étude sous les yeux. Dans une vision du monde intégrée autochtone, l’apprentissage fait appel au cœur, à l’esprit et au corps. Le mode de transmission du savoir autochtone implique l’explication de la raison d’être de l’apprentissage, la compréhension des relations qui se construisent à travers l’apprentissage et l’utilisation d’images et d’exemples concrets dans l’enseignement.

En mars 2021, le Conference Board du Canada a indiqué qu’il existe au pays plus de 80 établissements autochtones qui desservent plus de 10 000 étudiants par an, une augmentation de 15 % en 15 ans. C’est grâce à ces établissements que nous commencerons à voir des changements significatifs dans les taux de poursuite des études et de diplomation des étudiants autochtones au niveau postsecondaire.

Une fiche d’information publiée en 2018 par l’Assemblée des Premières Nations sur l’éducation autochtone révèle que près de la moitié (47 %) des Autochtones ayant fait des études postsecondaires ont obtenu un diplôme collégial. Parmi les facteurs qui continuent d’affecter les étudiants autochtones figurent le manque de confiance ou de préparation, le fait que ce ne soit pas une priorité personnelle, le coût, les responsabilités personnelles ou familiales et la santé.

Entrer sur le marché du travail

D’autres obstacles encore se dressent entre les Autochtones et l’emploi. Le faible niveau d’alphabétisation, par exemple, est une barrière à l’embauche qui trouve son origine dans les traumatismes intergénérationnels et l’histoire coloniale. Sur le plan pratique, il y a aussi l’accès limité aux garderies et aux transports ou encore l’absence de permis de conduire, qui découlent en partie de l’éloignement de certaines communautés. Les différences culturelles, les compétences en matière de communication, les normes sociales et les stéréotypes jouent tous également sur l’accès à l’emploi des Autochtones.

Parmi les stéréotypes se trouve l’image déformée que se font la plupart des allochtones des réserves, souvent caractérisée par la pauvreté et le manque de débouchés. C’est sans penser au développement économique qui a cours dans de nombreuses communautés ni aux services polyvalents dont leurs membres bénéficient, notamment en matière d’éducation, d’emploi, de santé, de santé mentale et de développement social.

Ces services jouent un rôle important pour aider les étudiants et les personnes en recherche d’emploi – et risquent être sollicités encore davantage à l’avenir, la population active autochtone augmentant trois à cinq fois plus vite que la population active dans son ensemble. Le soutien à la jeunesse, particulièrement, pourrait prendre une importance capitale, comme environ la moitié de la population autochtone a moins de 25 ans.

Le rôle des intervenants en développement de carrière autochtones

Heureusement, il existe aujourd’hui de nombreux programmes de formation solides – à l’intérieur et à l’extérieur des réserves – pour aider les Autochtones en recherche d’emploi. Ces programmes de formation comprennent la formation professionnelle et la formation générale.

Il faut noter que, souvent, les services ne s’arrêtent pas à l’orientation professionnelle. S’inscrivant ainsi dans la vision du monde de l’interdépendance, les conseillers d’orientation professionnelle autochtones sont souvent chargés d’aider leurs clients de diverses manières, qu’il s’agisse de les orienter vers des services de counselling ou de toxicomanie, de gérer les données relatives aux clients, d’organiser des entretiens de premier contact, de contribuer à la préparation des CV ou d’aider les travailleurs à communiquer avec les employeurs.

C’est cette vision globale du monde et de la personne qui rend l’intervenant en développement de carrière autochtone si précieux. Financé par le gouvernement fédéral et offert par Emploi et Développement social Canada, le Programme de formation pour les compétences et l’emploi destiné aux Autochtones est conçu pour aider les peuples autochtones à améliorer leurs compétences et à trouver un emploi.

Ressources pour les intervenants en développement de carrière afin de mieux soutenir les clients autochtones :

Le Programme de formation finance les organismes de prestation de services autochtones qui conçoivent et offrent des services de formation professionnelle aux membres des Premières Nations, aux Inuits, aux Métis et aux Autochtones vivant en milieu urbain ou non affiliés dans leurs collectivités. Il propose également de la formation sur le cheminement professionnel et une certification pour les conseillers en développement de carrière autochtones (intervenant en développement de carrière certifié).

L’un des grands avantages du Programme de formation est le sentiment de sécurité qui peut naître chez le client autochtone du fait d’être en relation avec un autre membre des peuples autochtones. Ces intervenants en développement de carrière autochtones connaissent les protocoles, ne sont pas choqués par le vécu des familles et sont capables d’entrer en relation avec les clients à toutes les étapes de leur parcours professionnel.

De plus, l’intervenant autochtone sert de modèle à ceux qui entrent ou reviennent sur le marché du travail. Ils le voient comme l’un des leurs qui a suivi une formation et qui est maintenant là pour offrir des services.

Les intervenants en développement de carrière autochtones jouent également un rôle important en renseignant les employeurs sur la manière de travailler avec des employés autochtones, et aident les entreprises à se familiariser avec la culture et l’histoire autochtones ainsi qu’avec les protocoles liés à l’emploi.

Les diplômés autochtones du programme d’intervention en développement de carrière du Collège Douglas ont de nombreuses belles histoires à raconter, qui nous rappellent le travail colossal restant à accomplir sur le chemin de la réconciliation. Car se souvenir est le premier pas vers une nouvelle vision d’avenir.

Tina-Marie Christian, M.A. en gestion organisationnelle, B.Ed., originaire de la Nation Syilx (Okanagan) et membre de la Première Nation Splatsin (Enderby, C.-B.). Mme Christian est titulaire d’une maîtrise ès arts en gestion organisationnelle, d’un baccalauréat en éducation (des adultes) et d’un diplôme associé en administration des affaires (marketing). Elle a plus de 40 ans d’expérience de travail au sein d’organisations autochtones dans les domaines de l’éducation et du développement du personnel, de la défense des droits, du développement communautaire et personnel, et de la santé et du bien-être. Mme Christian donne le cours de développement de carrière autochtone au Collège Douglas. 

Seanna Quressette, M.Ed., CCDP, a plus de 30 ans d’expérience en développement de carrière et enseigne depuis plus de 20 ans aux intervenants en développement de carrière autochtones. Mme Quressette est coordonnatrice de la formation professionnelle continue à la faculté des études communautaires appliquées du Collège Douglas.

Kevin Ned est membre de la bande de la haute Nicola et intervenant en formation à l’emploi pour la Première Nation de Westbank. M. Ned œuvre dans le domaine de la formation et de l’emploi depuis plus de 20 ans, dont 14 ans à titre de directeur de l’enseignement pour la bande d’Okanagan. Il a également été conseiller de bande pendant 12 ans et possède un diplôme en gestion du Nicola Valley Institute of Technology, un certificat en intervention en développement de carrière et un certificat de praticien en compétences essentielles du Collège Douglas.