Que vais-je devenir? Quand c’est fini pour les athlètes
par Stephen Coseni
Bien des jeunes adultes rêvent de devenir des athlètes professionnels, mais il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus. Même ceux qui y parviennent connaissent généralement une carrière plutôt brève. Comment pouvez-vous aider ces athlètes à trouver leur second souffle sur le plan professionnel?
Imaginez la scène suivante : un client entre dans votre bureau. Il a 26 ans, est titulaire d’un diplôme d’études secondaires et n’a jamais occupé d’emploi. Il aimerait qu’on l’aide à s’orienter professionnellement. « Je ne sais pas quoi faire », vous dit-il. « J’ai rédigé ce curriculum vitae au secondaire, mais il ne m’a mené à rien. » En discutant davantage avec lui, vous apprenez qu’il a joué au baseball toute sa jeunesse. Vous l’invitez alors à parler de son parcours dans ce sport. Il baisse la voix et se frotte la jambe : « C’est tout ce que je connais; je m’entraînais pour devenir professionnel, mais je me suis blessé au genou. Je me suis toujours imaginé en joueur de baseball, mais maintenant, que vais-je devenir? »
Très jeune, les enfants rêvent de devenir « quelqu’un ». Ils observent leurs modèles – autour d’eux, dans les médias et dans leur sport préféré. Tous les jours, ils pratiquent leur sport de prédilection jusqu’à la nuit tombée. À l’adolescence, ils intègrent une équipe et leurs parents investissent afin de les aider à développer leur talent. Alors que d’autres adolescents vivent difficilement cette période, ceux qui font partie d’une équipe sportive bénéficient d’une image positive auprès des autres jeunes et de leur famille, en plus d’avoir une haute estime d’eux-mêmes. Ils s’entraînent tous les jours et en rêvent la nuit. Des occasions se présentent au fil du temps, tandis qu’ils acquièrent plus d’expérience et de talent dans leur discipline. Une carrière professionnelle est imminente. Tous leurs efforts vont enfin payer. La plupart des gens n’auront jamais ce genre de possibilité, mais après tout, la plupart des gens n’ont jamais tant voulu y arriver; ils n’ont pas autant sué, autant souffert, autant donné pour réussir.
À partir de là, différentes situations peuvent se présenter :
- La personne n’est pas sélectionnée.
- Une blessure l’oblige à abandonner son rêve.
- Elle devient athlète professionnel et a) n’atteint jamais le sommet, les ligues majeures, mais joue plutôt un rôle de réserviste; ou b) joue un rôle prépondérant dans une équipe durant quelques années avant d’être remplacée par une recrue plus jeune et plus rapide.
- Elle réalise son rêve. Elle réussit dans le sport. Elle devient un modèle pour les autres. On trouve sa photo sur les boîtes de céréales. Les commanditaires se l’arrachent. Elle connaît une longue carrière et gagne beaucoup d’argent. En prenant sa retraite à l’âge de 38 ans, elle peut consacrer la seconde partie de sa vie à sa famille.
Nous ne nous attarderons pas sur la situation n° 4 dans cet article. Selon les statistiques, ce cas de figure est rarissime pour ceux qui envisagent de faire carrière dans le sport professionnel. Selon la National Collegiate Athletic Association, le baseball est le seul sport où plus de 2 % des joueurs de niveau secondaire ou collégial deviennent professionnels (dans ce cas, le pourcentage s’élève à 9,7 % – autrement dit, les chances de réussir demeurent extrêmement minces). Faire une carrière de 20 ans et devenir le prochain Derek Jeter est donc plutôt improbable. Le commun des joueurs est plutôt promis à une fin de carrière précoce, une perte d’identité et une réorientation professionnelle difficile.
« La plus grande peur des athlètes, c’est le vide. Vous espérez que la passion reviendra », raconte Tanya Dubnicoff, qui a participé à trois Jeux olympiques et a été l’entraîneure de l’équipe de poursuite cycliste féminine canadienne, soulignant ainsi à quel point il peut être difficile pour un athlète de renoncer à des habitudes qui font étroitement partie de son identité.
Cet article ne doit pas dissuader les parents d’inscrire leurs enfants à des activités sportives ou de les aider à réaliser des rêves plus « atteignables ». Les enfants doivent rêver (les adultes aussi, d’ailleurs). Le sport nous enseigne des leçons utiles lors des étapes de développement les plus importantes de notre vie : le travail d’équipe, la ténacité, la confiance, l’assiduité, l’engagement et ainsi de suite. Cependant, nous devons reconnaître que de nombreux athlètes peinent à entreprendre une nouvelle carrière après leur vie sportive et qu’il est nécessaire de mettre en place des influences qui les aideront à s’orienter.
« Je pense qu’il s’agit d’une faiblesse chez de nombreux entraîneurs (moi y compris, lorsque j’occupais ces fonctions). Nous n’avons pas du tout tendance à le faire », indique Debbie Muir, cofondatrice de Great Traits Inc., qui a mené l’équipe nationale féminine de nage synchronisée à quatre médailles olympiques, en parlant de la façon dont les entraîneurs préparent les athlètes à leur vie après le sport. « Nous encourageons les athlètes à suivre des cours ou une formation, ou encore à travailler à temps partiel, afin de leur permettre de prendre du recul par rapport à leur vie d’athlète de haut niveau et aux objectifs et à la pression qui l’accompagnent. Le comité olympique canadien ainsi que de nombreux instituts sportifs sont maintenant beaucoup plus attentifs aux questions de la retraite et de la réorientation professionnelle des athlètes. »
L’Institut canadien du sport fait partie des organismes qui s’investissent pour aider les athlètes des équipes nationales canadiennes à entreprendre une carrière post sportive, grâce au Programme de transition pour athlètes d’élite.
« Notre approche consiste à voir ce processus non pas comme un service annexe et réactif, mais comme un service à valeur ajoutée offert de manière proactive et intégrée », explique Andrée-Anne Leroy, directrice nationale du programme à l’Institut canadien du sport. « Les recherches montrent que les athlètes qui trouvent un équilibre entre activités sportives et non sportives tendent à demeurer plus longtemps dans le système et à mieux réussir leur sortie du sport professionnel. »
Le Programme de transition pour athlètes d’élite a été lancé le 17 septembre dernier. Il s’agit d’un programme à long terme visant à aider les athlètes olympiques et paralympiques actuels, en devenir et à la retraite. La première étape du programme consiste à nommer un responsable dans les sept Instituts canadiens du sport afin de fournir des services de réorientation professionnelle à certains athlètes en particulier. À terme, l’objectif est de pouvoir assurer à tous les athlètes des équipes nationales canadiennes un accès à des services de transition d’ici 2018.
Si nous revenons maintenant au scénario évoqué au début de cet article, il est plus facile de faire preuve d’empathie pour le client et ce qu’il vit. Alors qu’il tire un trait sur sa carrière de sportif, ses camarades commencent la leur et se taillent une place dans le sport. Son incapacité à transposer ses expériences et ses connaissances dans des perspectives d’emploi futures engendre chez lui un sentiment de frustration et d’impuissance. En tant que conseillers, nous devons agir de manière stratégique et montrer au client l’importance de ses compétences transférables, comment il peut s’exprimer avec confiance au sujet de son « absence d’expérience professionnelle » et utiliser le réseau qu’il a créé autour de lui durant sa carrière professionnelle.
Un athlète vit pour le moment où il brillera. Cette prise, ce tir, cette routine qui changera le cours de la partie. Changer de carrière est un autre genre de partie. L’entraînement, c’est dorénavant la recherche d’emploi et l’auto-exploration. La pression ne vient plus des spectateurs, mais d’un groupe d’intervieweurs. Désormais, décrocher une médaille, c’est trouver une carrière qui ranimera sa passion et restaurera son identité et son estime de soi.
Stephen Coseni suit une formation de conseiller en orientation professionnelle et en développement de carrière au Collège George Brown et a effectué un stage au CERIC durant l’été 2013. Stephen a enseigné l’anglais langue seconde à l’étranger, ce qui l’a amené à s’intéresser au marché de l’emploi outre-mer, à travailler avec les nouveaux arrivants et à développer ses connaissances en matière de réorientation professionnelle.