L’orientation professionnelle : une profession de choix
12 novembre, 2012Les ressources motivationnelles et la réussite scolaire : une combinaison gagnante!
12 novembre, 2012par Érick Beaulieu c.o.
Qui suis-je professionnellement? Qu’est-ce qui me distingue des autres professionnels de la relation d’aide vocationnelle?
Est-ce que se distinguer implique d’être supérieur à d’autres? Non. Se distinguer implique de reconnaître ce qui nous différencie des autres. Pourquoi cette question semble si taboue entre nous? C’est paradoxal de voir jusqu’à quel point la question de notre identité est taboue entre nous, alors que celle de nos clients est l’objet de notre « microscope »… Lors d’une démarche d’orientation, l’objectif est de clarifier les caractéristiques personnelles de nos clients pour les amener à conscientiser leurs aspirations, ainsi que les angles morts entravant leur parcours pour s’actualiser dans leur environnement.
Quelles sont les exigences actuelles engendrées par les environnements de travail des conseillers d’orientation (c.o.)? Quels sont nos angles morts collectifs qui nous empêchent de répondre aux nouvelles exigences de notre environnement? Subissons-nous ces changements (« pas le choix », comme nous le rappellent parfois nos clients) ou les entrevoyons-nous en connaissance de cause? Chose certaine, il devient de plus en plus clair que nous faisons face à un point tournant qui pousse notre expertise à franchir les frontières de ce traditionnel bureau qui délimitait jadis nos fonctions. Comment nous positionnons-nous face à ces changements, mis à part l’optique individuelle de l’inévitable chacun pour soi? Quels sont ces fils conducteurs qui doivent guider nos défis collectifs? Quelles sont les compétences que nos défis actuels exigent?
Georges Moyen, c.o. et psychologue, et moi, c.o., avons présenté en mai une formation réflexive au colloque de l’ACOC (association des conseillers d’orientation du collégial) et à celui de l’OCCOPPQ (Ordre des conseillers et conseillères d’orientation et des psychoéducateurs et psychoéducatrices du Québec) en juin 2006. Intitulée « Peuton changer la perception actuelle à l’égard des c.o. », cet atelier amenait les c.o. à réfléchir (chacun pour soi et en groupe) à la congruence entre 1) ce qu’on entend dire de nous; 2) ce qui nous distingue ou ce qu’on fait; 3) ce qu’on dit ou comment on s’explique auprès de notre entourage. Un constat unanime s’impose pour les deux groupes qui ont participé à cet atelier.
L’étape 1, qui consistait à entendre les c.o. nous dire comment ils étaient perçus, provoqua des réactions assez spontanées dans les sous-groupes qui devaient s’entendre avant de partager leurs constats en grand groupe. L’étape 2 amenait les c.o. à exposer le sens de leur travail. On tentait ici de convenir de dénominateurs communs qui caractérisent nos actes professionnels, au-delà des particularités qui différencient nos mandats. Cette étape a vu naître certaines divergences dans la façon qu’on a de comprendre ce qu’on fait. Les avis étaient plus partagés que lors de l’étape 1 qui aurait aussi pu s’intituler « Nos griefs ». L’étape 3 visait à vérifier si nous étions capable de nous entendre sur notre manière de nous expliquer auprès de notre entourage. Cette étape, plus que les autres, a vraiment permis de mettre le doigt sur un malaise généralisé. Elle est venue valider une hypothèse que j’ai souvent véhiculée, notamment lorsque je parle de notre angle mort collectif sur le COinternet. Je parle ici de notre affirmation de soi individuelle (donc collective) moins fondée sur des points communs, mais de plus en plus axée sur les particularités de nos différents milieux de travail et notre manière individualisée d’y répondre.
Voici une série de « questions qui tuent » découlant de cette hypothèse :
- S’il est difficile pour la majorité d’entre nous de faire sa place (affirmer et défendre ses positions professionnelles) dans nos milieux de travail et auprès des acteurs qui gravitent autour de nous, est-il normal de croire que nous sommes partiellement responsables des griefs que nous dénonçons (i.e. notre perception problématique sur la place publique ou le sort que nous réservent nos décideurs)?
- Si ce que nous faisons dans notre travail détermine ce qu’on dit de notre travail, est-il normal que le manque de cohésion face à notre rôle (déterminé par ce qu’on fait) provoque autant de confusion auprès des autres?
- Comment pouvons-nous espérer pouvoir assumer le rôle conseil auquel on nous convie de plus en plus si notre capacité à affirmer notre identité professionnelle (le « E » d’Holland) pose plus ou moins problème pour la majorité d’entre nous?
Lors du colloque de l’OCCOPPQ édition 2006, nous avons eu en introduction une conférence probante sur la détresse psychologique au travail de professionnels qui a été présentée par Angelo Soares, professeur au département d’organisation des ressources humaines de l’École des sciences de la gestion à l’UQAM. Présentant les résultats d’une recherche impliquant entre autres 244 c.o., une partie de sa présentation exposait comment les c.o. sont largement caractérisés par un travail émotionnel « intégrateur » (75,5 % d’entre nous!), qui met l’emphase sur l’expression de l’amabilité, le sourire, la gentillesse ou le gentil-S(ocial) comme j’aime bien nous caricaturer.
Nos milieux de travail sont gérés par des administrateurs à la merci de coupures budgétaires qui exigent que nous sachions encore mieux faire valoir notre rôle dans un contexte d’efficience accrue (cause de déficiences…). On nous demande d’articuler ce trait d’union entre les contingences de l’organisme qui nous chapeaute et nos obligations professionnelles. Où avons-nous appris à négocier de pareilles situations? N’est-ce pas là le rôle d’associations, de syndicats, voire même d’un Ordre? En sommes-nous au point où le c.o. devrait devenir le champion des compétences multiples? Sommes-nous à ce point individuellement redevables des exigences croissantes de notre environnement? Le rôle conseil qu’on nous incite à assumer s’appuie sur l’importance de notre responsabilité face à l’organisation des services au sein des organismes auxquels nous appartenons. Vœu pieu? Est-ce réaliste pour des gentil-S qui n’osent surtout pas confronter, dans le bon sens du terme? Doit-on plutôt y voir une habileté parfois requise pour faire valoir nos prérogatives professionnelles? Si quelques-uns d’entre nous possèdent cette nature plus affirmative (Entreprenante), quand nous opposons-nous, par exemple, à la coupure d’un poste de c.o. lors de l’arrivée de l’approche orientante, souvent présumée (vendue??) comme un remplacement de ce qui constitue le cœur de notre expertise?
Nous orientons-nous d’abord au nom des exigences que l’environnement semble nous imposer? Quelle place accordons-nous à ce que nous sommes lorsque vient le temps de faire valoir nos principes et valeurs d’intervention? En avons-nous (au-delà du code de déontologie)?? Quels sont-ils? Je crois fondamentalement que c’est parce que nos clients se perdent de vue, d’une façon ou d’une autre, au nom des pressions de leur environnement qu’ils viennent nous voir pour se retrouver, se redécouvrir. Ne sommes-nous pas rendus à faire ce même constat en tant que profession, collectivement? Ne voyez-vous pas l’importance de s’attarder à ces questions, collectivement, si on souhaite s’affranchir d’une certaine impuissance dans nos milieux de travail, afin d’optimiser notre mission orientante auprès des autres? Avons-nous un fil conducteur commun ou non?
À ce même colloque de l’OCCOPPQ qui s’est tenu en juin 2006, Céline Bacon, c.o., nous a présenté les résultats préliminaires de ses travaux de doctorat qui jettent pour la première fois un éclairage des plus probants sur notre problème d’identité professionnelle. Elle démontre entre autres comment l’évolution de notre profession laisse cette question en plan depuis plus de 30 ans! « Nous avons besoin d’une épistémologie de l’Orientation », lui ai-je proposé. Nous avons davantage été formés par des bonzes académiques spécialisés dans la « mécanique » orientante. Il est grand temps de se doter d’enseignants qui viendront nous aider à développer notre vision orientante, question de pouvoir ensuite la défendre lorsque c’est requis. Quand est-ce que notre espace académique passera du paradigme technique au paradigme professionnel (réflexif!) que commandent ces nouvelles exigences de notre environnement? Je prétends que notre formation n’a pas encore suffisamment entamé le virage réflexif (gage de l’argumentatif) qui doit guider nos actes professionnels, aussi déontologiquement motivés puissent-ils être. Comme si la loi résumait l’âme… Le tout est plus que la somme de ses parties!
Comme le suggère le titre d’un atelier qui sera donné durant l’assemblée annuelle de l’OCCOPPQ en septembre 2006, « Sommes-nous (c.o.) des cordonniers mal chaussés? L’urgence d’agir sur cette problématique identitaire est directement proportionnelle à l’importance accordée aux nouveaux (nombreux!) défis qui nous occupent, comme l’approche orientante (a.o.) et le rôle conseil qu’elle nous oblige à assumer. De dire que tous les c.o. doivent dorénavant posséder un E(ntreprenant) dominant nierait l’importance (COMPLÉMENTAIRE et non pas remplaçable) du travail accompli par les c.o. qui, dans leurs bureaux, sont affairés à rencontrer des clients individuellement. Est-ce que l’avenir de ce qui constitue le cœur de notre expertise, le counseling d’orientation, repose seulement sur la sous-traitance? Est-ce que le recours au privé devient la solution facile pour assurer sa survie? Voir cette nouvelle avenue (a.o.) comme une panacée équivaudrait à réduire l’orientation à une seule voie (voix) de masse, savoureuse pour la logique comptable qui vient corrompre nos obligations de moyenS (voir le code de déontologie) au profit d’une obligation de résultat$ qui pèse de plus en plus sur chacun de nous. Les (très orientants!) travaux de Savard, Lecompte et cie (« Qui sont les psychothérapeutes efficaces? Implications pour la formation en psychologie ») nous démontrent d’ailleurs la très faible corrélation entre l’approche empruntée et les résultats escomptés d’une relation d’aide.
Chacun pour soi, ensemble, nous avons à nous positionner face à ces défis. Expérimenter pour mieux s’orienter. Se réfléchir si on souhaite faire réfléchir nos clients, telle devrait être notre congruence. Une vision d’ensemble de qui nous sommes doit naître de nos expériences individuelles. Sinon, à quoi bon porter un titre supposé nous rassembler? Un minimum de points de convergence doivent venir fonder le « qui suis-je » orientant, pour soi et ceux qu’on aide. Nous assistons actuellement à un morcellement de notre pratique, de notre identité parfois bureaucratisée, technocratisée… Est-ce cela que nous souhaitons? Laisser les choses aller (l’environnement d’efficience) nous obligera à être ainsi ou comme cela, sans avoir notre mot à dire. Nous orientons-nous par la force des choses ou par choix? N’incarnons-nous pas ce trait d’union, idéalement écologique, respectueux de soi ET de l’environnement? Pratiquons-nous, entre nous, ce que nous effectuons avec nos clients? Jouons-nous à l’autruche lorsque l’environnement nous interpelle, gentil-S(ocial) oblige? Comment transigeons-nous avec l’adversité que nos clients nous partagent? Qu’est-ce que ça nous apprend sur notre façon d’assumer nos propres défis?
Comment s’outiller pour faire face à cet appel à la responsabilisation individuelle et collective, telle est LA question sur laquelle nos formations continues (et de base!) devront graduellement s’attarder. Voire même via d’autres moyens à envisager ensemble, tôt ou tard, par la force des choses qui nous acculera sans cesse dans un coin de mur? Jusqu’à ce qu’on s’assume… Comme on aide nos clients à le faire?!
Érick Beaulieu, c.o., offre des services en pratique privée et travaille à l’Université de Montréal. Il s’implique auprès de l’ACOC et est co-fondateur du COinternet (1997), groupe de discussion pour les c.o. et autres conseillers en ISEP. Il a aussi participé au comité d’admission de l’OCCOPPQ jusqu’à tout récemment. Il est le co-auteur (avec Georges Moyen c.o. et psy.) d’une formation réflexive pour les c.o. intitulée « Peut-on changer la perception actuelle à l’égard des c.o.? ». Il agit en philosophe, osant remettre en question les tabous et présupposés du champ de pratique orientant. Provocateur à ses heures, il cherche avant tout à rallier ses collègues autour d’une réflexion rigoureuse pour faire évoluer la profession de c.o.
Site Web : http://www.erickbeaulieu.co
Courriel: info@erickbeaulieu-co.com