par Claude Grenier, psy. et c.o.

L’entrevue individuelle constitue l’outil privilégié par plusieurs conseillers pour accompagner les élèves dans leur processus d’orientation. Ce moyen simple et efficace présente plusieurs avantages dont celui d’une intervention centrée sur les besoins et le vécu de l’élève. Toutefois, après plusieurs années de pratique, nous avons réévalué notre mode d’intervention et décidé d’agir autrement. Plusieurs motifs nous incitaient à innover. D’abord, le désir d’accroître notre connaissance de cette nouvelle génération de jeunes des années 2000, née avec les nouvelles technologies dans un contexte de mondialisation.

Alors, que vivent ces élèves ? Quels sont leurs rêves, leurs inquiétudes? Quels sont leurs besoins, leurs valeurs, leurs projets ? De quelle façon envisagent-ils leur avenir, leur carrière? En ce début de 5e secondaire, se sentent-ils prêts à élaborer un projet d’études ? Comment réagissent-ils devant les nombreux choix qui leur sont offerts ? Est-il trop tôt pour parler d’orientation dès septembre, alors que l’année scolaire vient tout juste de commencer ? Se sentent-ils bousculés par la pression que la société leur impose, par la pression informelle que nous leur mettons en les informant des activités à venir cet automne, eux qui vivent principalement dans le moment présent alors que nous, planification oblige, voyons arriver le premier mars à grands pas ? Dans quel contexte se vit cette réflexion sur leur avenir ? Quelle est l’attitude de leurs parents et amis à ce sujet ? Voilà autant d’interrogations qui suscitaient le désir de faire autrement.

Une deuxième préoccupation soutenait notre démarche. Comment mettre l’ensemble des élèves en action dès le début de l’année scolaire? Comment susciter la réflexion, fournir la documentation, préparer les activités sans perdre de vue que, pour plusieurs adolescents, l’élaboration d’un projet de carrière n’est qu’une préoccupation parmi tant d’autres ? Conserver sa place dans son groupe d’amis, s’affirmer, performer dans les arts ou dans les sports, développer une relation d’intimité avec un ami ou une amie, se positionner par rapport à la sexualité, acquérir plus d’autonomie par un travail rémunéré, obtenir son permis de conduire, concevoir un album de finissants, organiser le bal de fin d’année, choisir sa robe de bal pour les filles et son escorte pour les garçons, voilà d’autres préoccupations des élèves.

Troisièmement, comment rejoindre ceux qui ne viendront pas consulter d’eux-mêmes ou qui n’osent pas prendre rendez-vous, quelles que soient leurs raisons ? Comment rejoindre plus tôt les élèves qui, chaque année, viennent frapper à notre porte en février, réclamant anxieusement un rendez-vous dans les meilleurs délais ? Comment intervenir auprès d’eux dès le début de l’année, sans les bousculer, mais en leur faisant prendre conscience qu’ils doivent composer avec des échéances ?

Finalement, il y a le désir de créer un lieu, un espace, un moment qui appartient à l’élève et dont il fixera le contenu. À lui de prendre la parole ou simplement d’écouter.

L’expérimentation

Depuis deux ans, pour les élèves de 5e secondaire, nous avons choisi d’intervenir en groupe au début de l’année scolaire. Dès le premier cours d’Éducation au choix de carrière, lors de la présentation du service d’orientation, les élèves étaient informés qu’ils seraient tous rencontrés en groupe de six à huit personnes. L’élève devait indiquer trois périodes de disponibilité pendant les heures de cours. Les groupes furent formés au hasard, en fonction de l’horaire des élèves, sans tenir compte des affinités ou amitiés particulières.

L’offre fut très bien accueillie, voire rassurante pour certains. De quoi parlera-t-on, que fera-t-on dans ces ateliers? Volontairement, aucun contenu ne fut fixé à l’avance. Le groupe est un lieu ouvert, centré sur les besoins, le vécu et le questionnement des élèves qui s’y trouvent. La parole leur appartient. Bien sûr, au début, quelques propos viendront briser la glace, détendre l’atmosphère et lancer la discussion. Toutefois, si personne ne parle, nous garderons silence. Rassurez-vous, rien de tel ne s’est produit, au contraire.

Les résultats

À l’automne 2006, nous avons constitué plus de 25 petits groupes. Chaque rencontre fut unique et singulière. Bien sûr, certains classiques tels les programmes de formation professionnelle, les critères d’admission, les perspectives d’emploi ont souvent été abordés. D’autres sujets furent approfondis davantage, par exemple, les profils et les maquettes de cours en sciences humaines.

Certains thèmes, au cœur des préoccupations des jeunes, furent également abordés, soit la difficulté de choisir à 16 ou 17 ans, la peur de se tromper, les changements d’idée trop fréquents, la déception de constater que ses résultats scolaires sont trop faibles pour pouvoir réaliser ses rêves, les options possibles en cas de refus, le manque de connaissance de soi et du marché du travail, la multiplicité des programmes, les craintes face aux exigences du cégep, l’adaptation à un nouveau milieu, la vie en appartement, etc.

Un des groupes a manifesté le désir d’une deuxième rencontre deux mois plus tard. Dans un autre, la discussion s’est terminée sur le choix de l’orientation sexuelle, la tolérance et l’acceptation des différences. Nous sommes toujours demeurés dans le domaine de l’orientation…

Quelques élèves ont manifesté le désir de faire une visite à l’École des métiers de la construction, visite qui eut effectivement lieu en novembre. D’autres ont entrepris les démarches nécessaires pour rencontrer des personnes exerçant le métier qui les intéresse ou pour faire un stage d’un jour.

L’attitude et le rôle des parents face au choix d’orientation furent également abordés. Les parents exercent-ils une pression trop forte ? Ont-ils des attentes irréalistes ou opposées aux projets de leur enfant ? Valorisent-ils la poursuite d’études ? Sont-ils prêts à en défrayer le coût ? Qu’attendent les élèves de leurs parents ?

Nous avons constaté que la majorité des élèves se sentent appuyés et encouragés par les parents qui ne leur imposent aucun choix. D’ailleurs, plusieurs jeunes comptent sur eux pour les accompagner concrètement dans leurs démarches, notamment lors d’ateliers d’information ou de soirées portes ouvertes.

Une dynamique particulière

Au début des rencontres, un tour de table permettait de vérifier où se situait chacun des élèves. Certains ont alors découvert de nouveaux programmes, d’autres ont constaté qu’ils avaient les mêmes affinités et s’intéressaient aux mêmes professions. Plusieurs sont sortis de la rencontre avec des documents à consulter, une décision à prendre ou une visite à effectuer.

Pour les élèves sans projet précis, nous avons appliqué notre modèle axé sur le développement des compétences générales et de l’employabilité, modèle que nous avons exposé dans un autre texte publié dans le Bulletin OrientAction de l’automne 2006. En résumé, ce modèle invite les élèves à identifier, indépendamment d’un projet de carrière, ce qu’ils auraient le goût d’apprendre, ce qui serait motivant pour eux et ce qui leur permettrait de poursuivre l’acquisition de compétences générales et le développement de leur employabilité. Certains d’entre eux, à la fin de la rencontre ou dans les jours suivants, prirent rendez-vous pour un suivi individuel. Donc, des débuts de démarche qui laissent espérer un mois de février moins encombré.

Les échanges entre les élèves furent très stimulants. À une occasion, un garçon osant avancer des projets d’études universitaires fut rabroué par ses pairs qui dénonçaient son attitude en classe et ses devoirs non faits. Aucune intervention d’un adulte, aussi significatif soit-il, n’aurait eu autant d’impact sur le comportement de ce jeune, qui, semble-t-il, s’est remis à la tâche rapidement.

À entendre leurs pairs parler de leurs nombreux projets, quelques élèves ont admis qu’ils étaient plus confus à la fin de la rencontre qu’au début. Ayant découvert de nouveaux programmes, ils devaient maintenant faire des choix. En effet, difficile d’être mêlé lorsqu’on n’a qu’une seule idée en tête. Toutefois, ne vaut-il pas mieux être confus maintenant, réfléchir et choisir que constater, à regret, que certains programmes auraient pu vraiment nous intéresser…si on avait su.

L’efficacité

Au début de novembre, nous avions rencontré 152 de nos 157 élèves de 5e secondaire. Quelques-uns ne se sont pas présentés à la première rencontre pour des motifs valables (absence de l’école, examen, etc.). Ils ont été assignés à un autre groupe. Cinq ne se sont présentés à aucune des rencontres. Libre à eux de recourir à l’entrevue individuelle s’ils en sentent le besoin.

Conclusion

Deux années d’expérimentation nous amènent à constater que les rencontres de groupe permettent d’intervenir auprès d’un plus grand nombre d’élèves dans un délai plus court, de se rapprocher davantage d’eux et de bien répondre à leurs besoins et préoccupations. Elles constituent pour nous un mode d’intervention valable, efficace et complémentaire à l’entrevue individuelle. Pour plusieurs jeunes, ces rencontres favorisent la mise en œuvre du processus d’orientation plus tôt pendant l’année scolaire. Dans un contexte où les ressources professionnelles se font de plus en plus rares, ce mode d’intervention mérite d’être utilisé à bon escient. Tout en répondant aux besoins de plusieurs élèves, il permet de se rendre disponible afin de dispenser les services appropriés à ceux qui ont le plus de difficulté à élaborer leur projet de carrière.

 

Claude Grenier est psychologue et conseiller d’orientation. Formé à l’approche systémique, il applique ce modèle aux problématiques scolaires incluant celles reliées à l’orientation. Il travaille depuis plus de 25 ans à la Commission scolaire des Navigateurs et en pratique privée à Lévis. Il agit également comme formateur et superviseur. Courriel : claude.grenier@csnavigateurs.qc.ca

Référence

Grenier, C. (2006). Pour un nouveau paradigme en orientation scolaire et professionnelle. Bulletin OrientAction, Automne 2006.