Par Ritchy Dubé

Les anciens délinquants qui tentent de réintégrer la société font face à une foule de préjugés, y compris de la part de ceux qui essaient de les aider

Je suis un auteur dont les écrits ont été publiés à l’échelle nationale (quelle affaire!), un thérapeute en toxicomanie agréé, le fondateur et directeur général d’un organisme pour la prévention de l’abus de drogues et le président-fondateur d’une agence de recrutement qui trouve des emplois aux anciens détenus. Au plus fort de mes activités, j’ai eu 75 employés. De ce nombre, de 50 à 70 % étaient eux-mêmes d’anciens détenus.

Les universités Laurentian, McMaster et Simon Fraser m’ont gentiment décerné des diplômes, tandis que le collège Cambrian m’a donné une formation adéquate en administration des affaires. Ah oui, j’ai aussi été incarcéré pendant huit ans dans des pénitenciers canadiens où j’ai appris à me mêler de mes affaires, à me sortir de situations dangereuses et où j’ai lu de nombreux classiques, mais je n’ai reçu aucun certificat pour ces exploits.

Vous pouvez imaginer combien peu nombreux sont les gens ou les organismes prêts à aider les personnes stigmatisées comme moi. J’ai découvert avec tristesse que beaucoup de conseillers en emploi sont réticents à nous venir en aide. Ils ont leurs raisons et je vais les aborder ici, mais avant tout, je tiens à vous dire que, comme je n’aime pas recevoir de conseils non sollicités, je n’en donnerai pas non plus. Je veux partager mon expérience de conseiller en emploi ayant travaillé avec des personnes criminalisées, et de consommateur de services d’emploi en tant que client criminalisé et stigmatisé. J’ai pensé que cette double perspective pourrait être utile.

En tant que consommateurs, les personnes stigmatisées cherchent sans cesse un répit, du soutien, des conseils, de la compréhension, de l’acceptation et un emploi. Mais souvent, elles se retrouvent écrasées, humiliées, désespérées et à la dérive. Certains de ces hommes et femmes ont été des membres productifs de la société pendant plusieurs années, mais la chance ne leur sourit pas. Nous, les anciens détenus, ne voulons pas être félicités pour être entrés dans le droit chemin, mais nous n’avons certainement pas besoin d’obstacles supplémentaires. Nous voulons simplement travailler, nourrir notre famille, économiser et peut-être même voyager.

Donc, si nous présumons que nous, les conseillers en emploi, voulons réduire et supprimer certains de ces obstacles, que pouvons-nous faire pour rendre notre milieu de travail plus inclusif afin d’aider les anciens délinquants à trouver un emploi et même de les engager comme conseillers en emploi? Je crois qu’il est possible de faire quelque chose, mais qu’il faut la bonne attitude. Ce changement dans la façon de penser devra se faire des deux côtés : l’ancien délinquant devra prouver qu’il participe à des activités sociales positives et le conseiller devra témoigner d’un désir sincère de lui venir en aide. Cette proposition est fondée sur la conviction toute simple que le conseiller professionnel a la volonté, l’intelligence et le désir de s’améliorer. Cela exige de l’intégrité, de l’expérience et du professionnalisme.

Nous, les gens prétendument informés et éduqués, faisons parfois preuve de cynisme et d’étroitesse d’esprit. Je m’inclus dans cette description. Moi aussi, j’ai de la difficulté à faire confiance. Moi aussi, je dois améliorer mon attitude. Très souvent, nous sommes craintifs et intolérants. Parfois, nous n’aimons tout simplement pas les anciens détenus. La plupart d’entre nous sommes réticents à aider les anciens délinquants pour une ou plusieurs des raisons suivantes :

  • Nous, les gens irréprochables (si de telles personnes existent; pas moi en tout cas, j’ai déjà avoué) n’avons jamais eu à faire face à l’adversité et n’avons aucune expérience du processus de transformation. Par conséquent, nous ne faisons pas confiance;
  • Nous avons une opinion négative des personnes qui ont déjà été antisociales et participé à des activités criminelles;
  • Nous avons peur;
  • Nous avons peut-être été des victimes;
  • Nous ne voulons pas couper les ponts avec nos employeurs;
  • Nous ne voulons pas associer notre organisme à d’anciens criminels;
  • Nous ne voulons pas perdre de temps avec un candidat moins intéressant alors que nous pourrions aider un candidat irréprochable.

Pas de souci : nous, les anciens durs, comprenons parfaitement, car nous avons les mêmes sentiments les uns à l’égard des autres, jusqu’à ce que nous apprenions à nous connaître. Cependant, j’ai pourvu beaucoup de postes dans le domaine de la construction, et ni moi ni l’employeur n’avons jamais été volés ou blessés. Soit les hommes se présentaient au boulot et travaillaient dur, soit ils ne se présentaient pas. Ce n’est pas différent des autres gens que j’ai placé en emploi.

Dans le cas de placements plus « délicats », cependant, la diligence est de mise, et c’est alors qu’apprendre à se connaître devient profitable, alors l’une de mes stratégies consiste à travailler quelque temps avec la personne pour apprendre à se connaître mutuellement. Il ne faut pas beaucoup de temps pour comprendre qu’une personne a des intentions sérieuses. Elle a fait des efforts pour changer, est sortie de prison depuis quelque temps, se présente à ses rendez-vous bien mise et sobre, porte des vêtements convenables, remplit ses obligations, exécute ses tâches et communique honnêtement, respectueusement et calmement. Elle n’hésite pas à me fournir des recommandations écrites et à discuter de son ancienne vie. Tout comme moi, ces personnes ne voient aucun inconvénient à divulguer certains renseignements une fois que le respect et la compréhension sont installés.

En tant que conseiller professionnel, il me suffit de respecter leur vie privée et de préserver leur dignité. Pour ce faire, je dois faire un exercice d’introspection et me poser des questions très pointues comme :

  1. À quel point est-il important que je sache?
  2. Est-ce que j’enfreins des lois en posant ces questions?
  3. Est-ce pertinent pour l’emploi postulé?
  4. Quelles sont les raisons pour lesquelles je pose ces questions?

Ces questions et d’autres m’aident à me repérer dans la relation et à engager le dialogue. Il est également important que je sois un bon modèle en ne perdant jamais de vue la différence de pouvoir entre moi et l’autre. Surtout, je dois me rappeler mon rôle essentiel de gardien du lieu de travail. Ces personnes comptent sur moi pour transformer leur vie en leur trouvant un emploi qui les aidera à redonner un sens à leur existence, à être acceptées et à avoir un sentiment de sécurité. C’est une énorme responsabilité.

En fin de compte, travailler avec des populations criminalisées consiste davantage à définir le genre de personne et de professionnel qu’on veut être qu’à protéger les autres. Si nous agissons avec diligence, sommes honnêtes avec nous-mêmes, faisons attention à la relation et nous efforçons de la faire fructifier, notre travail sera grandement facilité et, par conséquent, la décision de venir en aide ou non à la personne peut être prise avec confiance et certitude. Nul besoin de jouer à des charades, de suivre la personne à la trace ni de trouver des excuses.

Pour résumer, le changement va dans les deux sens. J’ai dû changer, grandir en sagesse, mûrir et me responsabiliser pour devenir conseiller professionnel, et j’ai dû changer pour devenir un conseiller professionnel efficace et empathique qui agit de manière éthique et avec intégrité. Je suis très heureux d’avoir réussi à surmonter ces obstacles, parce que vivre moi-même le processus de transformation et le voir s’enraciner chez les autres est l’aspect le plus enrichissant de ma vie.

 

Ritchy Dubé est un gars ordinaire qui veut vivre une existence normale. Il est né et a grandi à Sudbury, ON et souhaite rendre la vie plus équitable pour tous. Ritchy vous invite à lui transmettre vos commentaires à sendakite@gmail.com.