Par Sara Savoie

Vous savez lire et pourtant vous mettrez beaucoup plus de temps à le faire que d’autres personnes selon votre niveau de fatigue ou vos distractions du moment! Imaginez maintenant un individu ayant des problèmes d’humeur ou d’anxiété. Il sait lire, mais, si on lui enlève du temps et que l’on ne lui explique pas l’objectif de la lecture ou des échéanciers à respecter, l’efficacité ne sera pas au rendez-vous et la satisfaction de l’employeur se dégradera au fil du temps vers des remises en question quant aux compétences de l’employé. Comment peut-on contribuer à « l’efficacité » des personnes ayant un problème de santé mentale ou un handicap sur le marché du travail? Dans cet article, il sera question de l’importance de la compréhension des besoins de l’employé pour augmenter l’efficacité au travail, la visée des qualités recherchées par les employeurs et la valorisation de certaines stratégies pouvant y être rattachées pour améliorer les situations difficiles.

Certains employés ne « fonctionnent » pas comme les autres. Les collègues ou les employeurs ont presque toujours du mal à les comprendre et à se mettre à leur place pour pouvoir tolérer leurs comportements. Si certains milieux de travail sont plus enclins que d’autres à accorder des ressources et de l’aide pour les employés ayant des problèmes de santé mentale ou un handicap, d’autres ne se rendent pas compte de l’intensité du trouble ou de l’impact de celui- ci sur l’efficacité au travail. Par les diverses consultations que j’ai eues à faire depuis les 10 dernières années, j’ai fait quelques observations qui peuvent paraître très simples mais qui demeurent incontournables pour faire une différence dans l’efficacité au travail.

La notion d’efficacité est relative le plus souvent aux attentes de l’employeur et  à la capacité de l’employé à les atteindre. Un sentiment d’efficacité personnelle élevé peut contribuer à l’efficacité de l’individu au travail. Bandura (2003) fut parmi ceux qui ont travaillé le plus sur la notion du sentiment d’efficacité personnelle. Il existe des conditions qui peuvent construire ou modifier le sentiment d’efficacité. Plus un individu vivra un succès lors de l’expérimentation d’un comportement donné, plus il sera amené à croire en ses capacités personnelles pour accomplir le comportement exigé. L’état physiologique et les émotions jouent un rôle dans le sentiment d’efficacité, peu importe si nous avons ou non un problème de santé mentale ou un handicap. En fait, la personne atteinte d’un problème de santé mentale ou d’un handicap sera encore plus influencée par les conditions pouvant construire ou modifier le sentiment d’efficacité. Une émotion aversive, telle que l’anxiété, avec une faible performance du comportement désiré, peut l’amener à douter encore plus de ses compétences et ainsi conduire à une inefficacité plus grande.

L’employé qui a un trouble bipolaire dont la médication n’est pas régularisée sera plus vulnérable à des irrégularités d’humeur ou de concentration. Nous pourrions alors comparer la situation à un conducteur qui ne peut tolérer un endormissement au volant. S’il commence à ressentir de la fatigue alors qu’il conduit et qu’il ne fait pas de pause, il deviendra de plus en plus difficile de rester vigilant, même s’il est parfaitement motivé à ne pas sombrer dans le sommeil pour ne pas périr dans un accident. L’employé qui souffre d’un trouble bipolaire est dans cette même situation. Il est motivé à demeurer attentif et efficace, mais ses pensées peuvent l’envahir et les doutes qu’il a sur lui-même peuvent engendrer des comportements ou des réactions où l’efficacité au travail sera moindre. Il doit faire des efforts de plus en plus soutenus pour effectuer la tâche entreprise ou suivre les explications des collègues de travail et ne pas décrocher, mais ces efforts sont insuffisants. Ces efforts ne se voient pas et il leur est souvent reproché injustement de ne pas faire assez d’efforts pour se concentrer, alors même qu’ils en font beaucoup et qu’ils ne peuvent pas se concentrer davantage. Cette situation peut occasionner un manque d’organisation, des conflits avec les collègues ou l’employeur et un non-respect des échéanciers. Selon Grégoire (2018), la pression peut entraîner une perte de sens et d’énergie qui empêche de continuer à performer. Comprendre les difficultés vécues ou les besoins de l’employé concerné peut aider à rétablir la confiance de la personne envers son travail et éviter l’engrenage dans un cercle vicieux d’inefficacité.

En effet, les besoins de l’individu influencent significativement l’efficacité de celui-ci au travail. Un employé dyspraxique, donc un handicap réduisant la dextérité fine et les aptitudes motrices, doit sans cesse écrire avec une écriture qui ne s’automatise pas. Il doit fournir des efforts qui occasionnent des résultats irréguliers, car il n’est pas possible de fournir des efforts en permanence. Efforts qu’il fait aux dépens d’autres tâches. Si ce type d’employé n’a pas accès à des logiciels ou des outils informatiques pouvant l’aider au plan de l’écriture, il en verra son efficacité réduite malgré sa capacité à écouter, à réfléchir, àcomprendre et àapprendre. Chaque employé a des besoins qui lui sont propres, mais les personnes ayant un problème de santé mentale ou un handicap ont des caractéristiques qui peuvent les amener à avoir plus de défis que la moyenne des gens s’ils ne sont pas pris en considération.

Un moyen qui peut aider l’employeur ou les conseillers d’orientation dans leurs interventions et l’accompagnement est de considérer les attentes de l’employé et de l’employeur, la concordance entre celles-ci et ce que l’on recherche comme qualités en milieu de travail. Rodgers (2010) offre un portrait complet de ces qualités qui encore aujourd’hui peuvent correspondre à des points de repères pour accéder à un niveau élevé d’efficacité et de satisfaction professionnelles :

  • La capacité d’adaptation : L’employé est-il capable de se débrouiller lors d’un imprévu ou perd-il ses moyens?
  • La capacité d’apprendre : Fait-il preuve d’ouverture et d’un rythme adéquat d’apprentissage ou se sent-il inconfortable avec la nouveauté?
  • L‘initiative : A-t-il besoin de quelqu’un d’autre pour passer à l’action ou se sent-il en confiance pour entreprendre la tâche par lui-même?
  • La maturité : Est-il possible de se concentrer et de ne pas recommencer deux fois la même tâche ou est-ce que les difficultés personnelles prennent trop de place?
  • La polyvalence : L’accomplissement de plusieurs tâches se fait-il par l’utilisation d’un agenda ou d’un aide-mémoire?
  • La capacité à travailler en équipe : Établit-il ses objectifs de façon réaliste et réalisable et détermine-t-il les priorités en entente avec les autres employés?
  • L’intégrité : S’accorde-t-il des pauses de 10 minutes quand cela est nécessaire?
  • L’intelligence émotionnelle : A-t-il la capacité de reconnaître, de comprendre et de maîtriser ses propres émotions et de composer avec les émotions des autres personnes?
  • La capacité de communiquer : A-t-il l’habitude de transmettre ses opinions ou ses recommandations de manière précise et honnête?
  • Le leadership : Est-il possible de rester positif et détendu en exprimant ses pensées tout en encourageant la même attitude chez ses collègues?

 

Si une ou plusieurs de ces qualités ne semblent pas au rendez-vous il est possible de faire un bilan et un plan d’actions sur l’amélioration de celles-ci tout en tenant compte des besoins de l’individu. Pour améliorer et maintenir l’efficacité au travail, il est aussi primordial d’établir des conditions favorables et de promouvoir celles- ci : un espace de travail agréable et chaleureux, un bureau ou un poste de travail bien rangé, une organisation fonctionnelle et visuelle agréable, des relations interpersonnelles harmonieuses, des moyens de communication efficaces, etc.

En incitant et en encourageant les personnes ayant un problème de santé mentale ou un handicap à viser et à maintenir ces qualités et ces stratégies dans le cadre de leur emploi, les employeurs et les conseillers d’orientation ou en emploi peuvent contribuer à une plus grande efficacité au travail. Il est nécessaire de travailler les éléments un à la fois en ayant en tête les besoins, les forces et les défis de l’employé.

Sara Savoie, conseillère en services adaptés – École nationale d’aérotechnique; conseillère d’orientation (M.Ed. 2003) & orthopédagogue (M.A. 2007) en pratique privée – Clinique Myriam Gagnon & Clinique Éducative Mon coffre à outils. Familiarisée avec le milieu scolaire et l’intégration sociale des étudiants en situation de handicap, Savoie désire mettre en application ses connaissances en participant à des projets concrets se rapportant à toute clientèle s’y apparentant. Elle est la co-auteure du livre « C’est décidé, je retourne aux études – Une histoire dont vous êtes le héros » lui ayant valu le Prix Orientation 2018 de l’Ordre des conseillers et conseillères d’orientation du Québec.

Références

Rodgers, Caroline (2010); « Dix qualités recherchées des employeurs » La Presse; Carrières et emplois, samedi, 16 janvier 2010, p. CARRIERES PROFESSIONS

Bandura, Albert (2003). Auto-efficacité. Le sentiment d’efficacité personnelle; Paris : Éditions De Boeck Université

Grégoire, Mélanie (2018) « Lésion psychologique : accompagner le travailleur lors de son retour ». Revue RH, volume 21, numéro 3, juillet/août/septembre 2018.