La pandémie de COVID-19 met en relief le fossé numérique entre régions rurales et urbaines, en soulignant les difficultés auxquelles sont confrontés plus de deux millions de Canadiens sans connexion Internet fiable

Ray Orb

La vitalité des collectivités rurales, nordiques et éloignées est essentielle à l’économie du Canada et à notre qualité de vie. Ces collectivités abritent des secteurs clés de l’industrie – de l’agriculture aux ressources naturelles, en passant par la fabrication et le tourisme – et elles constituent l’essence même de notre pays. À elles seules, elles représentent un tiers de l’économie canadienne, en plus de jouer un rôle crucial dans l’édification de la nation. Contribuer à bâtir des collectivités rurales dynamiques et prospères permet d’améliorer la vie de millions de Canadiens, tout en favorisant la prospérité de tout le pays.

Cependant, tandis que le Canada entrait dans l’ère numérique, ces collectivités ont été confrontées à des problèmes particuliers en raison de leur géographie, de leur climat, de leur démographie, etc. À l’heure actuelle, deux millions de foyers canadiens n’ont toujours pas accès à une connexion Internet fiable, ce qui est pourtant essentiel à notre économie et à notre qualité de vie.

La connectivité Internet est devenue un élément tout aussi important que les routes et les ponts pour assurer la réussite et la santé économique des collectivités. C’est pourquoi la Fédération canadienne des municipalités (FCM) a collaboré avec les différents gouvernements fédéraux qui se sont succédé, afin de combler le fossé numérique existant entre les régions rurales et urbaines au Canada, auquel on fait référence en parlant de l’écart en matière de large bande.

Qui plus est, ces disparités entre les centres urbains et les régions rurales, nordiques et éloignées ont été exacerbées par la pandémie de COVID-19, car de plus en plus de gens ont besoin de travailler à distance, d’accéder à du contenu éducatif en ligne, de soumettre des demandes dans le cadre des programmes d’aide fédéraux, et de rester en contact avec la famille et les amis. Fournir l’accès à une connexion Internet fiable est plus facile à dire qu’à réaliser dans de nombreuses régions où on peut difficilement garantir un tel service.

La crise actuelle met en relief la nécessité de résoudre rapidement ce problème de disparité numérique au Canada, non seulement pour faire face à la situation dans l’immédiat, mais aussi pour l’avenir, car les services à large bande joueront un rôle clé dans la future économie canadienne et dans la reprise des activités après la pandémie de COVID-19.

Un moteur économique essentiel

Tout le monde sait bien que l’Internet est devenu un moteur du progrès économique et social, à une échelle comparable à l’arrivée de l’électricité, au début du XXe siècle. Bénéficier d’une connexion Internet est vite devenu essentiel à notre prospérité, et les Canadiens d’un bout à l’autre du pays comptent sur la connectivité Internet et sans fil pour leurs activités personnelles et professionnelles. Les étudiants en ont besoin pour leurs travaux scolaires, les entrepreneurs en ont besoin pour assurer la croissance de leur entreprise, et, dans les régions rurales et éloignées, les travailleurs des services de santé en ont également besoin pour communiquer avec les spécialistes, accéder aux dossiers de leurs patients et fournir des soins complets dans les collectivités difficiles d’accès.

Ce n’est donc pas surprenant d’apprendre qu’une très grande majorité de citoyens vivant dans ces collectivités rurales et éloignées ont indiqué que les difficultés d’accès abordable à Internet haute vitesse étaient le principal obstacle à leur croissance économique, selon un récent rapport du gouvernement du Canada (Innovation, Sciences et Développement économique Canada, 2019).

La connectivité Internet est l’un des principaux éléments que les entreprises prennent en considération dans leur décision d’aller s’établir dans telle ou telle collectivité. Par conséquent, un service Internet de mauvaise qualité et offert à coût élevé peut représenter un frein important pour le développement économique des régions rurales, nordiques et éloignées. Par ailleurs, la nature de l’accès Internet détermine non seulement le lieu choisi par les entreprises pour s’établir, mais également leur façon de fonctionner. Tandis que la plupart des entreprises locales passent au service exclusivement en ligne dans le contexte de la pandémie de COVID-19, celles qui ont une connexion limitée ou pas d’Internet du tout souffrent d’un grave désavantage qui pourrait aller jusqu’à affecter leur viabilité.

Dans le cadre de consultations auprès de Canadiens précédant la présentation de la stratégie de connectivité du gouvernement fédéral, des représentants canadiens ont eu vent de petites entreprises contraintes d’accepter l’argent uniquement parce que leur service Internet n’était pas assez puissant pour utiliser le système de paiement par débit Interac. Ils ont également entendu parler d’exploitants agricoles tentant d’accéder aux marchés mondiaux au moyen de télécopieurs (ISDE, 2019).

Étendre l’accès à Internet est une nécessité dans les collectivités rurales, nordiques et éloignées, car cela signifie qu’un plus grand nombre d’entrepreneurs locaux pourront accéder à des marchés plus vastes, ce qui est vital pour l’économie canadienne dans le marché global actuel.

Prochaines étapes

Grâce au soutien de la FCM, les collectivités rurales, nordiques et éloignées partout au Canada ont réussi à attirer l’attention de tout le pays en ce qui a trait à ce problème majeur. Le gouvernement fédéral a depuis reconnu l’importance des investissements fédéraux pour améliorer la couverture et la capacité des services à large bande.

D’importants investissements ont été faits au cours des dernières années. Depuis 2009, les dirigeants des municipalités rurales de tous les coins du pays ont contribué à l’obtention de plus d’un milliard de dollars en financement fédéral pour les services large bande. Ils ont également joué un rôle central afin de convaincre le CRTC que l’accès universel à l’Internet haute vitesse est un service essentiel. Les municipalités ont travaillé à l’élaboration de partenariats uniques avec les gouvernements provinciaux et les fournisseurs de services Internet, en utilisant ce financement fédéral pour attirer des investissements privés et en rentabilisant chaque dollar investi. De plus, dans le budget fédéral 2019, le gouvernement s’est engagé à assurer un financement sans précédent : 2,7 milliards $ au cours des dix prochaines années, ce qui comprend un Fonds pour la large bande universelle d’un milliard de dollars afin de contribuer à atteindre l’objectif de connectivité Internet haute vitesse universelle.

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Pictou County prend les choses en main pour favoriser l’accès Internet

La municipalité de Pictou County, en Nouvelle-Écosse, compte 11 000 foyers, et ce n’est pas tout le monde qui a accès à Internet. Qui plus est, dans les foyers disposant de l’accès Internet, la connexion est parfois lente et elle n’est pas toujours fiable. Certaines familles doivent même se rendre à la bibliothèque ou au Tim Hortons du coin pour que leurs enfants puissent se connecter à Internet et soumettre leurs travaux scolaires. Le développement d’un réseau haute vitesse à large bande accessible à tous est donc un enjeu prioritaire pour cette collectivité.

Fatiguée d’attendre que l’industrie ou le gouvernement lui vienne en aide pour régler ce problème de disparité numérique, la municipalité de Pictou County a entrepris un projet visant à construire l’infrastructure de base d’un réseau à large bande. Une fois le réseau construit, les fournisseurs de services Internet pourront conclure des contrats de location avec la municipalité, ce qui permettra à celle-ci de générer des revenus, et du même coup de fournir l’accès Internet haute vitesse à tous les résidents et à toutes les entreprises de la collectivité. C’est un peu comme une autoroute à péage; la municipalité paye pour construire la route, mais elle facture des frais à ceux qui l’utilisent. Non seulement cela permet d’avoir un réseau autonome, mais c’est également une façon de réinvestir les dépenses en télécommunications, qui restent dans la collectivité, afin d’assurer la prestation d’autres services. Pour mener à bien son projet de construction de réseau, la municipalité a établi un partenariat avec Nova Communications, une division de ROCK Networks, ainsi qu’avec un regroupement de partenaires de premier ordre associés à Nova.

Partout au Canada, des municipalités se plaignent du manque de financement pour les projets communautaires, notamment l’accès aux services à large bande. Le modèle mis de l’avant par Pictou County d’un réseau appartenant à la communauté offre d’intéressantes pistes de solutions pour l’avenir. En aidant les collectivités rurales comme Pictou County à combler leur écart en matière de large bande, on favorise également leur croissance et leur prospérité. L’accès généralisé à des services Internet haute vitesse contribuera à promouvoir la création d’emplois, en plus d’augmenter la capacité des petits producteurs agricoles, de créer de nouvelles occasions pour le tourisme et d’aider les entreprises à être concurrentielles dans l’économie numérique, sans avoir à quitter leur communauté.

– Avec l’aimable autorisation de Joe Hickey, président et chef de la direction de ROCK Networks, et de Nova Communications, une division de ROCK Networks

Toutefois, bien que les avancées technologiques se traduisent par un avantage net pour les collectivités d’un bout à l’autre du Canada, elles entraînent également le besoin d’effectuer des changements incessants. Les gouvernements et les municipalités partout au pays doivent constamment s’adapter et innover.

Pour combler l’écart en matière d’accès Internet, nous devons envisager des approches novatrices à l’égard des politiques et des stratégies d’investissement existantes. Nous devons poser un nouveau regard sur la situation dans les collectivités rurales, nordiques et éloignées, de façon à définir et à soutenir leur potentiel économique, tout en favorisant l’innovation et en améliorant la vie de tous les Canadiens.

Pour y arriver, il est important de pouvoir appliquer une perspective rurale aux politiques et aux programmes fédéraux. Concrètement, cela pourrait se faire en adaptant les critères d’admissibilité au financement et en simplifiant les processus afin de tenir compte des différentes réalités locales. Au fond, cela signifie que l’expertise rurale doit avoir sa place et être considérée dans la mise en œuvre de solutions à l’échelle nationale. Si on met à leur disposition des outils flexibles et qu’on leur donne voix au chapitre, les dirigeants locaux seront en mesure de participer au développement de solutions adaptées, rentables et efficaces.

À l’avenir, le gouvernement fédéral devra maintenir, voire accroître ses récents investissements dans la large bande, et il devra également s’engager à offrir un financement à long terme et prévisible afin d’étendre l’accès aux services Internet à large bande. Le lancement rapide du nouveau Fonds pour la large bande universelle permettra de s’assurer que les municipalités qui ont de la difficulté à accéder à Internet durant la pandémie seront bien positionnées pour la reprise économique. La coordination entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux et les agences qui assurent le financement de la large bande contribuera à optimiser les sommes investies en vue d’étendre l’accès Internet.

Si nous pouvions élaborer des politiques, des programmes et des outils de financement fédéraux qui tiennent compte des connaissances, de l’expertise et des conseils des municipalités locales, et qui reflètent également les priorités régionales, nous pourrions plus efficacement soutenir la compétitivité des collectivités partout au pays. Les collectivités rurales sont – et doivent demeurer – des partenaires clés du gouvernement fédéral dans la gestion et la croissance de l’ensemble de l’infrastructure des télécommunications, qui est à la base de l’économie canadienne.

Né à Regina, Ray Orb a grandi sur une ferme dans le district de Markinch. Il est entré en politique municipale en 1985. Il a été élu comme conseiller pour la première fois dans la municipalité rurale de Cupar, puis à Reeve en 1995, poste qu’il occupe toujours. Il a été directeur général et président de la Regina District Association of Rural Municipalities pendant plusieurs années. Il est maintenant président du Forum rural de la Fédération canadienne des municipalités et président de la Saskatchewan Association of Rural Municipalities (SARM).

Références

Innovation, Sciences et Développement économique Canada (2019). La haute vitesse pour tous : la stratégie canadienne pour la connectivité https://www.ic.gc.ca/eic/site/139.nsf/fra/h_00002.html