Le modèle offre un cadre permettant de repérer les signes avant-coureurs du désengagement et de se remettre dans la bonne voie

Roberta Borgen (Neault) et Deirdre Pickerell

author headshotsLe pivot – qui se définit comme un changement de direction en tournant sur place – demande de l’équilibre et de la résilience. Toutes les transitions de carrière ne nécessitent pas forcément un pivot; parfois, les trajectoires de carrière continuent dans la même direction après des perturbations majeures ou mineures. Les pivots sont différents. Même un infime changement de direction peut entraîner d’énormes changements au fil du temps. Les professionnels du développement de carrière peuvent jouer un rôle clé en aidant leurs clients à envisager des pivots, à s’y préparer et à gérer les changements qui en découlent et dont les répercussions vont souvent bien au-delà du cadre du travail pour englober d’autres rôles importants de la vie.

Le modèle d’engagement à l’égard de la carrière offre un cadre théorique et des points d’entrée pratiques pour soutenir les personnes lorsqu’elles envisagent de pivoter et d’opérer des changements petits ou grands, et pour les aider à retrouver leur équilibre lorsqu’elles établissent une nouvelle trajectoire (Pickerell et Neault, 2016).

Modèle d’engagement à l’égard de la carrière

Dans le modèle d’engagement à l’égard de la carrière, l’engagement optimal est obtenu par l’interaction dynamique entre le défi et les capacités de la personne. L’interaction entre ces deux éléments est importante : si l’un évolue, l’autre doit en faire autant. Lorsque les exigences du travail et de la vie dépassent les capacités individuelles ou contextuelles, les personnes sortent de la zone d’engagement et se sentent dépassées; sans correction, il en résulte un épuisement et un désengagement. De même, lorsque le défi n’est pas à la hauteur de leurs capacités, les personnes se sentent sous-utilisées; sans intervention, cela peut conduire à l’ennui et au désengagement. Dans les deux cas, le désengagement se présente de la même manière et laisse un sentiment désagréable. Il est essentiel de connaître le chemin qui mène au désengagement, qu’il s’agisse d’un sentiment d’accablement ou de sous-utilisation, pour tracer la voie du retour à l’engagement. Il peut être difficile de se réengager une fois que le désengagement s’est installé. Le fait de prêter attention aux signes avant-coureurs et de corriger continuellement le tir aidera les personnes à maintenir leur engagement dans tous les rôles de leur vie.

Les bases du pivot

 Transformation de l’engagement optimal en sentiment d’accablement. Candice était pleinement engagée dans sa carrière – et tous les autres rôles de sa vie fonctionnaient sans problème – lorsque son cadet a reçu un diagnostic de cancer. Sa famille dépendait toujours de son revenu, mais certains aspects de son travail étaient incompatibles avec les rendez-vous médicaux et l’incertitude qui régnait quant aux dates d’opération, aux traitements ultérieurs et aux responsabilités de l’enseignement à domicile pendant la maladie de son enfant. Elle a commencé à se sentir dépassée – inquiète pour la santé de son enfant, bien sûr, mais aussi pour l’argent, son travail et d’autres responsabilités qui lui semblaient désormais trop lourdes à gérer.

En appliquant le modèle d’engagement à l’égard de la carrière, Candice s’est décrite comme « pleinement engagée » avant le diagnostic. Cela la positionne bien pour effectuer son pivot à partir d’une position de force et aller de l’avant, même si elle vit une période difficile. En analysant les éléments clés de son engagement, de ses défis et de ses capacités, Candice pourrait envisager de se tourner vers un poste moins exigeant (au sein de son organisation, dans une autre organisation ou peut-être en tant que travailleur indépendant pour avoir plus de flexibilité dans son emploi du temps).

Pour renforcer ses capacités, il pourrait être avantageux pour Candice d’examiner non seulement son travail, mais aussi ses autres rôles sociaux. Par exemple, à la suite d’une conversation avec son superviseur, ce dernier pourrait lui proposer de travailler à distance ou de reporter l’échéance d’un projet. Candice pourrait également demander l’aide de sa famille et de ses amis pour les repas, le covoiturage, les activités de ses autres enfants et même pour des services partagés de gardiennage d’enfants. Si Candice est dans une relation, le couple peut réfléchir aux responsabilités qui pourraient être partagées, déplacées, déléguées à quelqu’un d’autre ou mises de côté. Une fois que Candice aura reconnu les possibilités de réduire ses défis et de renforcer ses capacités individuelles et externes, elle pourra déterminer de manière plus stratégique l’importance de son pivot.

Sentiment d’être sous-utilisé. Rahul ne se sentait pas respecté au travail et pensait que les atouts qu’il pouvait offrir à son employeur étaient ignorés. Dans le modèle d’engagement à l’égard de la carrière, il s’est désigné comme grandement sous-utilisé et proche du désengagement total. En discutant avec un accompagnateur en gestion et transition de carrière, il a reconnu qu’il avait épuisé toutes les possibilités raisonnables de remettre sa carrière sur la bonne voie avec son employeur actuel. Il a donc décidé de quitter l’organisation pour chercher une possibilité d’emploi au sein d’une entreprise qui valoriserait ses compétences et lui permettrait d’apporter pleinement son expertise.

man and woman sitting and talking
iStock

Rahul a cependant reconnu une difficulté importante : il n’était pas en position de force pour réaliser son pivot. À l’aide de son accompagnateur en gestion et transition de carrière, il a élaboré un plan pour faire du bénévolat dans un organisme communautaire afin d’acquérir une expérience de travail solide à ajouter à son portfolio de carrière et une référence professionnelle qui le soutienne. Cette stratégie a servi plusieurs objectifs : du point de vue de l’engagement à l’égard de sa carrière, le nouveau défi a revitalisé son énergie, l’a rapproché d’un engagement optimal et a renforcé ses capacités en lui donnant une preuve tangible de ce qu’il pouvait offrir à son prochain employeur.

Sentiments mixtes. Johannes lutte contre la maladie mentale depuis de nombreuses années. Souffrant d’un trouble dépressif majeur et d’anxiété sociale, il lui est arrivé de ne pas pouvoir sortir du lit, et encore moins de quitter la maison pour aller travailler ou étudier. Johannes ressent souvent un fort sentiment d’accablement qui le pousse à vouloir tout abandonner. Pourtant, il est brillant, il s’exprime bien, il a de la personnalité et il sait qu’il est capable de beaucoup plus. Dans le cadre du modèle d’engagement à l’égard de la carrière, Johannes se sent à la fois dépassé et sous-utilisé; un pivot dans n’importe quelle direction peut le mettre sur la voie du succès ou lui faire vivre de nouveaux échecs. Pour maximiser ses chances de s’engager, plusieurs micro-pivots peuvent être la meilleure stratégie.

En collaboration avec son psychologue, Johannes a commencé par noter tous les obstacles qui lui semblaient insurmontables, de la façon la plus détaillée possible. À partir de là, des modèles ont commencé à émerger. De même, il a commencé à chercher des occasions de renforcer très progressivement ses capacités et a prêté attention à la façon dont chacune de ses actions entraînait un léger changement. Au fil du temps, bien que Johannes n’ait pas réussi à réduire ses défis de façon importante, il a pu renforcer ses capacités grâce à des conseils réguliers, à la pleine conscience et à la méditation, ainsi qu’à quelques exercices. Aujourd’hui, il se sent plus apte à surmonter les obstacles et il envisage de retourner à l’école, sachant qu’il devra continuer à renforcer ses capacités pour relever de nouveaux défis.

Optimiser l’engagement à l’égard de la carrière grâce aux pivots

Les vignettes que nous vous avons présentées ne sont que trois exemples de la façon dont les personnes peuvent utiliser le modèle d’engagement à l’égard de la carrière pour les aider à optimiser leur engagement lorsque leur vie exige un pivot. Au fur et à mesure que les capacités des personnes augmentent et diminuent, leurs défis doivent changer en conséquence, afin de leur permettre d’atteindre et de maintenir un engagement optimal. La mesure dans laquelle une situation est difficile, intéressante ou stimulante (c’est-à-dire le défi) est très personnelle à chacun; il en va de même pour les personnes et leur contexte unique (c’est-à-dire leurs capacités). L’optimisation de l’engagement est un processus continu, qui intègre une réflexion personnelle et une compréhension pragmatique de contextes en constante évolution.

Roberta Borgen (Neault), PhD, CCC, CCDP, GCDFi, est présidente de Life Strategies Ltd, professeure auxiliaire à l’Université de la Colombie-Britannique et directrice de projet à la Fondation canadienne pour le développement de carrière.

Deirdre Pickerell, PhD, CPHR, GCDFi, est doyenne de la réussite des étudiants à l’Université Yorkville et à la Toronto Film School et vice-présidente de Life Strategies.

Borgen et Pickerell sont cofondatrices du modèle d’engagement à l’égard de la carrière. Elles sont en train d’écrire un livre qui sera publié par Cognella cette année et donnent des conférences internationales sur l’optimisation de l’engagement à l’égard de la carrière dans le travail et la vie.

Références

Pickerell, D. A., & Neault, R. A. (2016). Examining the career engagement of Canadian career development practitioners. Canadian Journal of Career Development, 15(1), 4-14. cjcd-rcdc.ceric.ca/index.php/cjcd/article/view/157