par Claude Grenier, psy. c.o.

Les principaux modèles en orientation permettent au conseiller d’intervenir efficacement dans une majorité de situations. Bien que la plupart des modèles soient centrés sur l’individu et sur des facteurs intrapsychiques, ils favorisent un processus qui permet l’atteinte d’objectifs et aboutit souvent au choix d’un programme d’études, d’un métier ou d’une profession. Toutefois, il arrive que certaines démarches tournent en rond et ne donnent aucun résultat. Impossible d’amener des changements, de préciser un choix ou d’élaborer un projet précis. Malgré le bon vouloir du client et du conseiller, toute tentative d’amorcer une action en ce sens amène son lot d’objections et de résistances. Comment comprendre un tel blocage? Que faire pour que la situation progresse à nouveau?

Plusieurs modèles peuvent aider l’intervenant à sortir de cette impasse. Toutefois, en se référant au modèle systémique, il est possible de développer une lecture différente de celle fournit par les modèles centrés sur l’individu et par le fait même d’intervenir autrement. Le but du présent article est de présenter brièvement cette approche et de préciser de quelle façon un modèle interactionniste peut être utile dans une démarche aussi personnelle et individuelle que celle d’un choix d’orientation. Dans un premier temps, nous allons définir ce qu’est un système, préciser la pensée systémique, puis examiner les concepts de sens et fonction du symptôme et de délégations. Tout au long du texte, à l’aide de vignettes cliniques, nous essaierons de relier ces concepts au processus d’orientation.

Le modèle systémique n’est pas seulement utile dans des situations problématiques, mais il peut aussi servir de cadre de référence dans une multitude d’interventions dont celles auprès des enseignants, des directions d’école, des parents et même dans l’organisation des services. Le présent article ne fait qu’effleurer ce champ d’études et ouvre la porte à d’autres écrits.

La définition d’un système

Un système est un ensemble d’éléments en interaction entre eux et avec le milieu. Pour que des éléments disparates en forment un, il faut que les interactions durent un certain temps et que ces éléments présentent des affinités afin que se maintiennent la communication et la liaison (Pauze, 1987). Les patients d’une salle d’attente ne constituent pas un système. Par contre, la famille, la classe, l’école, le groupe d’amis, le conseiller et son client forment tous des systèmes ayant plusieurs propriétés communes dont l’autorégulation. Cette propriété fait référence à deux tendances principales, soit la tendance à maintenir le statut quo qu’on appelle homéostasie et la tendance au changement et à l’évolution.

Face à tout changement, un système réagit pour retrouver son équilibre et sa stabilité. Un adolescent qui enfreint les règles familiales suscitera des réactions de la part de ses parents résolus à rétablir le fonctionnement habituel de la famille. Un élève qui enfreint les règles de la classe se verra averti ou sanctionné de façon à ce que la classe retrouve son équilibre, sa stabilité. D’autre part, la tendance au changement amène les systèmes à évoluer et à modifier leurs règles de fonctionnement. Les nouveaux comportements d’un adolescent peuvent provoquer une crise familiale qui se résorbera par de nouvelles règles plus appropriées sur les heures de sortie par exemple. Lorsque les règles de fonctionnement d’un système sont trop rigides et empêchent le changement, des difficultés surgissent. Ces principes s’appliquent également à tout système tels les couples, les groupes d’amis, les équipes de travail et même les institutions.

La majorité des changements dans la famille qu’induit le choix de carrière d’un membre se fait sans embûche. Toutefois, il arrive que certains choix modifient le fonctionnement habituel de la famille et amènent le système à intensifier ses règles pour contrer le changement. Une plus grande autonomie d’un membre de la famille, un départ pour l’extérieur ou un choix de programme ne répondant pas aux attentes des parents peuvent être perçus comme une menace. Citons l’exemple d’un élève qui n’osait pas effectuer un choix de carrière l’obligeant à quitter la ferme familiale de peur de laisser ses parents avec une surcharge de travail. Il arrive donc qu’un processus d’orientation stagne pour ne pas remettre en question un système familial en équilibre. Un autre exemple, celui d’une cliente qui avait beaucoup de difficultés à préciser son projet de retour aux études. Ce dernier modifiait passablement la dynamique conjugale et suscitait plusieurs réactions négatives de son entourage.

La pensée systémique

Penser en termes systémiques signifie penser en termes relationnels. C’est porter notre regard sur les composantes relationnelles qui favorisent le changement et l’évolution ou maintiennent les difficultés. Penser en termes systémiques, c’est examiner un contexte qui amplifie certaines caractéristiques d’un individu (forces ou vulnérabilités) ou assouplit certaines de ses rigidités (Elkaïm, 1996). Les composantes relationnelles sont toujours présentes et agissent continuellement. Parfois elles permettent aux forces de l’individu d’émerger, en d’autres occasions ce sont les zones de fragilité qui sont amplifiées. Lorsque les systèmes sont souples et flexibles et que le processus se déroule bien, il semble qu’on accorde moins d’attention à ces composantes.

Dans un processus d’orientation problématique, au lieu de persister dans une démarche infructueuse et de faire « plus de la même chose », il pourrait être utile d’examiner les composantes relationnelles qui maintiennent le problème tant celles entre le client et son milieu que celles qu’établit le client avec l’intervenant. Certaines questions aident à identifier ces composantes. Quels avantages le milieu et le sujet lui-même auraient-ils à ce que le processus n’aboutisse pas, à ce qu’aucune décision ne soit prise? Y aurait-il un danger quelconque à obtenir des résultats? Un conflit latent existe-t-il entre l’élève et ses parents sur la nature des choix possibles? L’élève a-t-il une difficulté à s’affirmer et à faire des choix qui l’obligeraient à quitter son groupe d’amis ? Quelles pressions le milieu ou l’intervenant exerce-t-il sur le sujet qui lui enlève toute liberté de choix? Citons l’exemple d’une élève qui n’osait mettre en action son projet de devenir infirmière et de quitter la maison de peur d’exacerber des éléments dépressifs chez sa mère en arrêt de travail.

Le sens et la fonction du symptôme

Dans le modèle systémique, le symptôme est considéré comme une communication qui signale un malaise, une difficulté de régulation tant pour l’individu que pour le système dans lequel il se manifeste (Pauzé, 1987). Ce symptôme est un message. Il a un sens et une fonction. Il est utile et sert à maintenir l’équilibre du système. Si l’on considère l’indécision, l’incapacité ou le refus à élaborer un projet de carrière comme un symptôme au même titre qu’une phobie ou une difficulté alimentaire, quel malaise ce symptôme signale-t-il sur le sujet lui-même et sur le contexte dans lequel s’exerce ce processus? Pour décoder ces messages, plusieurs investigations peuvent être entreprises. Le concept de délégations élaboré par Stierlin (1977) peut nous guider dans ces investigations.

Les délégations

Selon Stierlin (1977), psychiatre allemand, les délégations sont les missions confiées aux enfants par les parents. Ces missions ne sont pas nécessairement pathologiques. Elles servent plutôt de guide dans la vie et permettent de prouver notre loyalisme envers les parents. Toutefois, il arrive que ce processus déraille, et ce, de trois façons. D’abord, la mission est au dessus des talents, des ressources, des capacités de l’enfant. Un tel déraillement se manifeste lorsque l’enfant doit être la superstar artistique, sportive ou universitaire que le parent n’a pu devenir lui-même. Il n’est pas rare de voir des élèves accablés de la mission d’entreprendre les études que leurs parents eux-mêmes n’ont pu réaliser. Devant ces attentes, refuser de faire un choix peut être une façon de refuser la trop grande charge que comporte cette mission. Un élève allait même jusqu’à échouer à l’école pour se libérer d’attentes trop exigeantes qu’avaient ses parents envers lui.

Des conflits peuvent également survenir lorsque les charges confiées par les parents sont incompatibles. Citons l’exemple d’un garçon, fils unique, dont le père était fier d’être la quatrième génération sur la ferme familiale. Bien qu’officiellement encouragé à faire ce qu’il voulait, il sentait très bien qu’on s’attendait de lui qu’il prenne la relève. Citons aussi l’exemple d’un père qui, tout en reconnaissant l’importance des études avait tendance à s’opposer au projet de son fils. Ayant eu lui-même de la difficulté à l’école tant sur le plan des apprentissages que sur le plan social, il voulait simplement bien faire et lui éviter des souffrances inutiles. Difficile d’élaborer un projet de carrière lorsqu’on reçoit des doubles messages.

Finalement, il arrive que l’enfant soit pris dans un conflit de loyauté envers ses parents. Répondre aux demandes d’un parent peut l’amener à trahir l’autre parent et l’exposer à de lourds sentiments de culpabilité. Les séparations conjugales conflictuelles mettent souvent les enfants dans ce type de conflits. Appliqué aux situations d’orientation, il est fréquent de rencontrer un parent qui voit dans son enfant l’universitaire qu’il a toujours rêvé d’être alors que l’autre parent s’attend à autre chose, par exemple à ce qu’il prenne la relève d’une entreprise familiale prospère nécessitant un cheminement différent. Le sujet arrive difficilement à faire un choix satisfaisant et, dès qu’il s’engage dans une voie, une forte remise en question l’incite à changer.

Le refus ou l’incapacité d’effectuer un choix de carrière peuvent donc être considérés comme une solution à un problème, comme un comportement adapté, du fait qu’il contribue à maintenir l’équilibre actuel ou le statu quo dans la famille. Ce refus peut aussi être compris comme une tentative d’induire une différence; le sujet refuse de suivre la voie tracée par la lignée familiale et désire être reconnu dans son identité propre, dans ses valeurs, dans ses goûts. Il peut être aussi prétexte pour revendiquer le droit à l’erreur, le droit de ne pas savoir, le droit de changer d’idée dans un contexte où l’échec, l’incertitude et les changements créent une grande insécurité et ne sont guère tolérés.

Conclusion

Le modèle systémique ne donne pas de réponse mais, en multipliant les questions et en les posant autrement, il ouvre les horizons. Il permet de découvrir le sens et la fonction que peuvent avoir certaines difficultés d’orientation. Tant que ces difficultés permettront de maintenir l’équilibre d’un système, il est inutile de s’acharner à poursuivre le processus. L’intervenant doit plutôt s’allier à son client et l’aider à découvrir le sens et la fonction que peuvent avoir ses difficultés. Ce qui pourrait avoir pour effet de dégager le sujet et de lui redonner tout l’espace et la liberté que nécessite la démarche d’orientation.

Claude Grenier est psychologue et conseiller d’orientation. Formé à l’approche systémique, il applique ce modèle aux problématiques scolaires incluant celles reliées à l’orientation. Il travaille depuis plus de 25 ans à la Commission scolaire des Navigateurs et en pratique privée à Lévis. Il agit également comme formateur et superviseur.

Références :

ELKAÏM, M. (1996). Propos tenus lors d’un atelier de formation à l’approche systémique. Groupe d’études des systèmes humains, Montréal.

PAUZE, R. et COTNARIANU, P.A. (1991). L’évolution de la notion de symptôme en thérapie familiale au cours des années 1980-1988. Thérapie familiale, 12, 1, pp 45-53.

STIERLIN H. (1977). Le premier entretien familial, Delarge, Paris.