par Louis Cournoyer et Féedra Maheux

Ce texte prend appui sur l’article de Nevo (1987) intitulé Irrational Expectations in Career Counseling and their Confronting Arguments. Il rappelle les croyances relevées par l’auteure au niveau des clients de processus de counseling de carrière. À cela, nous avons bonifié le contenu de nos propres analyses.

1. Il n’y a qu’un seul métier au monde qui est bon pour moi

Plusieurs clients aimeraient n’avoir qu’à passer un test psychométrique pour apprendre ensuite le bon métier ou la bonne profession leur convenant. C’est là l’idée romantique à l’effet que quelque chose de parfait pour nous est là quelque part à attendre qu’on en fasse la trouvaille. Pour Nevo (1987), les professionnels de l’orientation doivent faire tout pour éviter d’être complices avec cette croyance irrationnelle, notamment lorsqu’ils interviennent par l’administration d’une série de tests visant à dresser un profil de la personnalité du client ou encore lorsqu’ils maintiennent des approches de type « traits-facteurs » visant un quelconque match parfait d’attributs individu-environnement (Patton et McMahon, 1999). À chaque instant, selon les circonstances, puis tout au long des expériences de la vie, peut-être pourrions-nous être heureux dans plusieurs types de carrières ?

2. Je serai satisfait seulement lorsque j’aurai trouvé le métier parfait

Un métier pouvant apporter le bonheur de la personne. Pour Ellis (1962), le désir de perfection et de solutions parfaites, soit la quête d’une vérité et d’une sécurité affective absolue peut non seulement engendrer des croyances irrationnelles à l’égard du rôle salvateur d’objets de l’environnement (ici une profession, un métier), mais également entretenir un état chronique d’indécision et d’anxiété. Les conseillers doivent remarquer ces attentes de perfectionnisme au sein des différentes dimensions de vie de la personne dans le but de l’aider à les atténuer par des pensées plus réalistes. Plus rationnelle, la personne pourra alors faire le choix de ce qui est le plus approprié et pratique en fonction des gains et des pertes possibles lors de telles impasses décisionnelles.

3. Quelqu’un d’autre peut découvrir le métier qui me convient

Une grande reconnaissance du client à l’égard des compétences du conseiller, jumelée à de grandes attentes sur l’issue du processus peut s’avérer un piège important. Le client remet alors tout le pouvoir du résultat de la démarche à son conseiller, au point même de ne pas vouloir trop parler de ses propres réflexions de crainte de pouvoir influencer le travail du professionnel. De plus, le client accorde beaucoup d’importance à la portée des outils psychométriques du conseiller, comme s’ils pouvaient – à l’image de rayons X –traverser la psyché de la personne pour en dégager le véritable moi (caché). Si le conseiller n’arrive pas à se défaire de cette entente implicite, à faire valoir rapidement la portée et les limites de son intervention, les conditions requises pour assurer un accompagnement efficace, alors il ne pourra que décevoir les attentes de surprises, de découvertes originales, voire de transcendance de soi de son client. Puis, face à cette déception pour lui-même, il n’en pensera pas moins que son conseiller était inapte à pouvoir l’aider, le sauver, plutôt que de réellement saisir la valeur de son propre pouvoir.

4. Les tests d’intelligence me diront ce que je vaux

Réaliser une démarche de counseling peut consister en une quête de validation externe de sa valeur, de son estime de soi. Plusieurs clients surestiment les résultats de tests d’intelligence ou d’habiletés cognitives. Entre autres parce qu’ils ont de la difficulté à comprendre ce que ces tests mesurent et comment les interpréter, ils leur accordent un pouvoir dépassant celui de leur propre personne. Ainsi, de faibles résultats laissent croire qu’une personne n’est bonne à rien alors qu’elle présente plutôt des similitudes différenciées avec différents métiers. Le conseiller n’a donc pas seulement la responsabilité de choisir les bons outils pour les bonnes mesures, mais également de pouvoir communiquer le fonctionnement et la portée réelle – et limitée – de ces derniers.

5. Je dois être un expert ou être très prospère dans mon champ professionnel

La quête de l’excellence, de la réussite, ainsi que l’actualisation de son potentiel est en soi une démarche constructive pour la personne. Toutefois, il arrive que celle-ci soit dirigée vers des standards sociaux introjectés. En se comparant constamment aux autres et à ces standards, la personne échappe qui elle est vraiment. Le fait de se sentir constamment à côté de ce qui doit être, de vivre du stress et des tensions importantes à l’idée d’échouer (de rater les standards) s’accompagne de l’édification de croyances irrationnelles bien ancrées. Par son travail, le conseiller aide le client à maintenir ou sinon à activer cette quête de réalisation de soi, tout en confrontant emphatiquement les croyances du client de manière à le guider vers des évaluations de soi et des professions davantage centrées sur le développement d’aptitudes, d’expertises et de prospérité pour soi.

6. Je peux tout faire si j’essaie fort ou je ne peux rien faire qui ne correspond pas à mes talents

Il subsiste dans la pensée populaire l’idée que lorsque l’on veut, on peut!  D’autres, à l’inverse, renoncent à leurs objectifs dès la rencontre des premiers obstacles. Dans les deux cas, il revient au conseiller de pouvoir insuffler une dose de réalisme par rapport à soi chez le client. Ce réalisme ne nie pas la motivation ou encore les résistances de personnes, mais il permet de confronter l’irrationalité contenue derrière certaines croyances. Bien que l’effort puisse faciliter la réalisation de certains objectifs, il importe également que ces derniers soient clairement dirigés. De la même manière, les doutes et les craintes quant à ses capacités à surmonter les obstacles se fondent souvent sur des anticipations et non des faits. En questionnant les rationalités des clients, le conseiller peut les amener à distinguer ce qui est et ce qui n’est qu’apparence pour ainsi permettre une réévaluation plus réaliste du plan de développement et d’action de la personne.

7. Mon choix professionnel devrait satisfaire les personnes significatives dans ma vie

L’étude doctorale de Cournoyer (2008) souligne que certains phénomènes relationnels entretenus par les individus et les personnes avec qui ils entretiennent des relations sociales significatives peuvent influencer la construction du projet professionnel de ces derniers. Qu’il s’agisse des injonctions de certains projets parentaux, de la quête d’autonomie par l’affiliation aux pairs, sinon de la transmission de valeurs ou de modelage d’expériences par des enseignants ou autres adultes significatifs, l’influence des autres peut s’avérer directe ou indirecte selon les relations et les contextes (Cournoyer, 2008). De la même manière, un individu peut ressentir de la pression à satisfaire les attentes de son entourage. Tout en reconnaissant la valeur du soutien des proches, il importe pour le conseiller d’amener le client à prioriser ses propres besoins sur ceux d’autres personnes à qui il cherche à plaire ou qu’il ne veut pas décevoir.

8. Débuter dans une profession résoudra tous mes problèmes

Une profession peut-elle résoudre des problèmes personnels? En tant qu’environnement social, une profession peut certes atténuer la manifestation de certaines difficultés, mais en raison de sa nature externe, elle ne peut résoudre un problème d’être (manque de confiance en soi, difficulté à établir des relations sociales, etc.). Conséquemment, le travail d’un conseiller portant sur la stricte dimension du choix scolaire ou professionnel à réaliser ne pourra permettre à la personne de traiter des enjeux pouvant contaminer son fonctionnement personnel et interpersonnel en matière de choix ou d’adaptation aux études ou en emploi. Le conseiller doit pouvoir clairement dissocier les enjeux pouvant contaminer la capacité de choix du client.

9. Je dois sentir que je suis à la bonne place

Le « feeling » d’être à la bonne place … en explorant les possibilités sur l’attente d’un contact magique, que ça clique, que lorsque sera identifié la bonne profession, tout se mettra alors en place. Entretemps, elles se disent inquiètes, déçues, insatisfaites de ne pas pouvoir ressentir ce « feeling » existentiel. Cependant, plusieurs facteurs – autres qu’affectifs – influencent la relation entretenue lors du contact entre l’individu qui cherche et la profession (décrite, racontée, présentée, observée, etc.). C’est pourquoi cette sensation recherchée doit faire suite à une démarche cognitive et comportementale pouvant procurer l’expérience même.

10. Choisir une profession ne se fait qu’une fois

Jadis, les humains croyaient que la Terre était plate et qu’au bout de l’océan, il n’y avait que vide. En développement de carrière nos clients craignent de tomber dans un vide d’existence et de manquer complètement leur vie s’ils se retrouvent en situation d’incertitude, d’indécision, de nécessité à poursuivre leurs démarches encore quelque temps pour avoir des idées plus claires. Très anxiogène, cette conception nie l’évolution de sa propre personne et de ses environnements de vie en fonction de temps et d’espaces perpétuellement changeants (Patton et McMahon, 1999). Le conseiller doit permettre à son client d’être sa perspective temporelle de manière à lui faire voir l’inévitable suite de changements et des avantages de pouvoir réviser et progresser par de nouveaux choix tout au long de la vie.


Références

Cournoyer, L. (2008). L’évolution de la construction du projet professionnel de collégiennes et de collégiens lors des 18 premiers mois d’études collégiales : le rôle des relations sociales. Thèse de doctorat. Sherbrooke : Université de Sherbrooke.

Ellis, A.  (1962). Reason and Emotion in Psychotherapy.  New York: Lyle Stuart.

Patton, W. et McMahon, M. (1999).  Career Development and Systems Theory: A New Relationship. Pacific Grove, CA: Brooks/Cole publishing company.


Louis Cournoyer c.o., Ph.D est professeur en counseling de carrière à l’Université du Québec à Montréal (UQÀM). Conseiller d’orientation depuis 15 ans, il maintient une pratique professionnelle auprès de jeunes adultes et d’adultes, ainsi que d’accompagnement professionnel auprès des conseillers d’orientation et conseillers en développement de carrière.

Féedra Maheux  est étudiante à la maîtrise en carriérologie à l’Université du Québec à Montréal (UQÀM).