Première partie d’une série de deux par Carolyn Acker

Derek Bok, ancien président de la Harvard University, avait bien raison lorsqu’il disait : « Vous croyez que l’éducation coûte cher? Essayez l’ignorance pour voir ».

Faire de l’éducation une priorité au Canada nécessite d’investir dans des solutions pour résoudre un problème avec lequel les décideurs, les éducateurs et le gouvernement sont aux prises depuis les années 60 : le taux affolant d’abandon de la scolarité dans les communautés les plus défavorisées au pays.

Le taux de décrochage chez les jeunes Canadiens et Canadiennes représente un grave problème économique et social qui persiste depuis longtemps. Les décrocheurs gagnent des salaires moins élevés, paient moins d’impôts, commettent plus d’actes criminels et sont moins susceptibles d’être employés que les gens ayant fait des études postsecondaires. En outre, ils nécessitent davantage de dépenses en services sociaux que ces derniers.

L’ignorance coûte cher, force est d’admettre. En songeant à ce qu’il en coûte à notre société à long terme lorsque nos jeunes ne sont pas bien encadrés, nous nous posons inévitablement la question suivante : « Comment pouvons-nous ignorer ce problème? »

Le programme Passeport pour ma réussite® représente une solution bien concrète. La Counselling Foundation of Canada est un des investisseurs et fondateurs du programme.

Lorsque j’occupais le poste de directrice administrative du Regent Park Community Health Centre (RPCHC), j’ai fondé le programme avec Norman Rowen, directeur du Centre. À l’époque, nous ne nous percevions pas comme des entrepreneurs sociaux. Notre objectif était de briser le cycle de la pauvreté et nous travaillions avec acharnement pour y arriver.

Dix ans plus tard, nous avions réduit de 46 % le taux de décrochage dans les écoles secondaires de la collectivité, en plus d’augmenter la fréquentation des établissements postsecondaires de 60 %. Nous avons implanté le programme dans d’autres communautés canadiennes défavorisées, et il encadre désormais plus de 2500 étudiants.

Dans le présent article, ainsi que dans le second qui paraîtra dans la prochaine édition du Bulletin, je décrirai les meilleures pratiques du modèle Passeport pour ma réussite.

De l’école à la communauté : élargir les efforts

L’année où nous avons entamé les recherches qui aboutiraient à la création du programme Passeport pour ma réussite, neuf meurtres ont été commis au sein de la communauté de Regent Park, et un sentiment palpable de désespoir y régnait.

Nos recherches initiales ont révélé un exorbitant taux de décrochage de 56 %, soit le double de la moyenne dans la ville de Toronto. Pour les enfants issus de familles immigrées ou monoparentales, ce taux s’élevait à plus de 70 %.

Les démarches visant à réduire le taux de décrochage dans les communautés économiquement désavantagées ont connu peu de succès. Les réformes et projets entrepris en milieu scolaire n’ont pas suffi à changer ces statistiques, car les facteurs de risque du décrochage ne se limitent pas au milieu scolaire.

Il importe donc d’élargir les efforts pour se concentrer non seulement sur le milieu scolaire, mais sur la communauté dans son ensemble. Cette vision constitue un des fondements de la conception du modèle Passeport pour ma réussite.

Plusieurs mesures de soutien intégrées

Les étudiants et leurs parents signent des ententes afin de participer au programme Passeport pour ma réussite. Implanté au sein de la communauté, le programme fournit quatre mesures de soutien intégrées, offertes pendant quatre années d’études secondaires:

  • Tutorat quatre soirs par semaine dans la communauté;
  • Titres de transport en commun ou cartes pour l’achat de repas, gagnés selon l’assiduité, en plus d’une bourse de 4000 $ pour les études postsecondaires, versée à l’université ou au collège;
  • Mentorat collectif pour les étudiants des 9e et 10e années; mentorat professionnel ou spécialisé pour les étudiants des 11e et 12e années;
  • Conseillers-ressources parents-élèves, qui servent de lien entre la communauté, les parents, les étudiants, les écoles secondaires et le programme.

Mises ensemble, ces quatre formes de soutien prouvent à nos jeunes que leur communauté ne les laissera pas tomber.

Au-delà des stéréotypes

En développant le programme Passeport pour ma réussite, nous avons entendu beaucoup de jeunes nous parler de leur sentiment d’exclusion, particulièrement au sein du système scolaire. Les meurtres, la violence, les drogues et le décrochage ne sont que des manifestations de ce sentiment d’exclusion de la société dite «normale».

Cette exclusion des enfants défavorisés est devenue claire comme le jour lors des premières discussions que nous avons eues avec les écoles secondaires au sujet du programme. La personne qui travaillait sur le projet qu’allait devenir Passeport pour ma réussite discutait avec la directrice adjointe d’une école secondaire locale. Il lui décrivait la relation que nous souhaitions entretenir avec son école.

Certes, nous nous étions heurtés à des sceptiques dans le passé, mais nous ne nous attendions nullement à la réaction franche de cette directrice : «À quoi bon?»

Ce problème n’est pas l’apanage d’une seule personne. Hier comme aujourd’hui, nombre de gens estiment que les stéréotypes propres à Regent Park et à d’autres communautés semblables constituent la seule réalité qui existe, et, sous l’influence de ces stéréotypes, ces mêmes personnes refusent de donner une chance aux jeunes. Ces derniers sont donc nombreux à subir de tels manques de respect, et ce, quotidiennement.

À Regent Park, 90 % des jeunes, de même que leurs parents, se sont inscrits et réinscrits au programme Passeport pour ma réussite. Nous avons implanté le programme avec succès dans d’autres communautés. Nous avons reçu des prix et des reconnaissances. Et par-dessus tout, nos jeunes ont réussi.

Programme Passeport pour ma réussite: les chiffresTaux de décrochage à Regent Park en 2001: 56%

Taux de décrochage à Regent Park en 2009: 10%

Taux de participation de la communauté: 90%

Nombre de diplômés du secondaire à ce jour: 600

Diplômés ayant pousuivi leur études au niveau postsecondaire: 80%

Participants qui sont les premiers de leur famille à fréquenter des établissements postsecondaires: 90%


Carolyn Acker est fondatrice du programme Passeport pour ma réussite.

Cet article est le premier d’une série de deux pour le Bulletin; le second sera publié dans l’édition d’automne 2011 du Bulletin.