par Judy Marston

Imaginez que vous êtes dans la quarantaine et que vous n’avez jamais postulé pour un emploi, rédigé un curriculum vitae ni passé d’entrevue comportementale. Voilà ce que vivent la majorité des militaires de la Force régulière canadienne qui partent à la retraite ou qui font le saut dans la vie civile. (Par comparaison, les membres de la Force de réserve ont souvent occupé des emplois civils pendant leur service dans les Forces canadiennes.) C’est pratiquement comme s’ils venaient tout juste de terminer leur secondaire et commençaient leur vie – sauf qu’ils cumulent de 20 à 35 ans d’expérience de travail, une expérience souvent difficile à déchiffrer pour les employeurs civils par lesquels ils espèrent être engagés.

À la fin de 2001, lorsque je suis devenue la première titulaire civile du poste de coordonnatrice du Service de préparation à la seconde carrière des Forces canadiennes – ou en clair, d’accompagnatrice en réorientation professionnelle – je me suis rapidement rendu compte qu’il s’agissait d’une bonne analogie pour la plupart des militaires qui partent à la retraite. Au cours des huit années suivantes, j’ai appris à créer des outils de marketing efficaces pour aider ces gens à réussir la transition vers la vie civile, ce qui s’est avéré une expérience à la fois difficile et agréable. Actuellement, je continue de travailler auprès de ce groupe sur une base individuelle depuis que j’ai entrepris, il y a deux ans et demi, ma propre carrière à temps plein à titre d’accompagnatrice en gestion et transition de carrière.

Vous pourriez être étonné, tout comme moi, de découvrir que la grande majorité des membres des Forces canadiennes n’ont jamais eu leur mot à dire en ce qui a trait à leurs affectations et, par conséquent, ignorent souvent ce qu’ils aiment faire ou ne connaissent pas leurs talents. Tous les deux ou trois ans, un nouveau poste leur est assigné, souvent en combinaison avec une mutation vers une autre base. Leurs titres de poste peuvent être obscurs ou plus conformes au modèle civil. Toutefois, on doit tenir compte d’un défi supplémentaire : en effet, de nombreux militaires veulent non seulement changer d’employeur, mais également de parcours de carrière, ce qui ajoute un niveau de difficulté au moment de travailler avec eux et de déterminer les compétences clés transférables qu’il est plus judicieux de mettre en valeur.
Voici quelques points importants dont les conseillers d’orientation et les accompagnateurs peuvent tirer profit lorsqu’ils travaillent avec ces clients.

Conception et rédaction de curriculum vitae

Conception d’un curriculum vitae. De nombreux militaires en transition ont de la difficulté à rédiger un curriculum vitae. Lorsqu’on leur demande d’énumérer leurs réalisations, ils sont souvent pris au dépourvu. J’ai adapté une version hybride (lire étendue) de l’énoncé standard problème/action/résultats afin de mieux décrire leurs activités et de fournir un contexte aux gestionnaires recruteurs civils.
Je leur enseigne aussi comment utiliser leur histoire en entrevue, puisque la procédure d’entrevue constitue une autre tâche ardue pour la plupart des militaires dont bon nombre ont passé leur dernière entrevue lorsqu’ils étaient adolescents.

Le « moi » par rapport au « nous ». Faire la distinction entre les contributions personnelles et celles de l’équipe nécessite un changement de perspective. Pour ce faire, on peut aider le militaire à penser comme un employeur. On doit l’inciter à trouver comment il peut contribuer à titre individuel à l’ensemble de l’entreprise.
Je me suis rendu compte que les postes militaires sont probablement les emplois les plus sûrs au Canada, puisque les congédiements sont très rares. Les militaires en transition appréhendent donc avec raison ce qu’ils perçoivent comme l’insécurité des emplois civils. Peu accepteront un mandat ponctuel ou un emploi contractuel, bien que ce type d’emploi puisse s’avérer un tremplin efficace pour décrocher un emploi permanent. En raison du climat économique chancelant, les postes temporaires sont souvent une façon pour les employeurs de mettre à l’épreuve un nouvel employé avant de décider de l’engager à temps plein.

Longueur du curriculum vitae. Puisque la plupart des emplois militaires sont assortis de titres étranges et ne correspondent pas à première vue à des postes civils (p. ex. techniciens d’armement, de coque ou de munitions ou officiers de la logistique), la tâche difficile de départager les compétences transférables peut nécessiter un certain temps. J’utilise presque toujours des formats de curriculum vitae fonctionnel ou combiné qui comportent souvent plus de deux pages, parce que je dois expliquer le poste militaire de façon que l’employeur civil puisse faire le lien avec les exigences de son poste.
Bien que l’armée inculque à ses membres de nombreuses compétences très valables, ces dernières correspondent rarement à une certification ou à un titre civil, ce qui nécessite également une explication. Comme leurs titres de compétences ne sont pas toujours clairement reconnus, les clients militaires se sentent désavantagés. Une liste de cours sous forme de tableau peut montrer aux employeurs civils les similitudes entre les compétences militaires et ce qu’ils recherchent.

Le débat sur le leadership. La plupart de mes clients militaires perçoivent le leadership comme une compétence. Personnellement, je crois qu’il s’agit d’une qualité qui peut se manifester différemment d’une personne à l’autre. Malheureusement, je dois souvent les inciter à changer d’idée et les encourager à décrire cette qualité en termes concrets et en utilisant des exemples. Les employeurs civils peuvent parfois avoir un préjugé défavorable à l’égard des militaires et associer le leadership à la propension à donner des ordres. Je prends souvent du temps pour analyser les expériences réelles de mes clients afin de les aider à comprendre la différence entre les versions civile et militaire du leadership.
Dans l’armée, le fait de connaître le grade d’une personne permet de savoir instantanément quelles sont ses tâches et ses responsabilités. C’est pratique pour les militaires, mais difficile à transposer dans un curriculum vitae. Il est également difficile de faire comprendre aux clients militaires que le grade ne veut rien dire pour les employeurs civils. Les militaires ont pratiquement besoin d’un cours accéléré sur les protocoles du milieu de travail civil, mais ce n’est peut-être pas le moment idéal pour eux d’assimiler toutes ces notions pendant une période de stress.

Témoignages. J’ai découvert tôt les Rapports d’appréciation du rendement. Même s’ils sont parfois jonchés d’acronymes incompréhensibles (une tendance militaire), j’utilise souvent certaines sections de ces rapports que j’insère à la fin d’un curriculum vitae ou je crée une page distincte que le client militaire peut apporter à l’entrevue. Les Rapports d’appréciation du rendement ressemblent beaucoup à des relevés des réalisations et peuvent servir à déterminer les points à mettre en valeur dans le curriculum vitae.

Pensée institutionnalisée

Si vous parlez à des militaires qui s’apprêtent à quitter l’armée, ils vous décriront l’atmosphère étrange qui s’installe graduellement à mesure que leur départ approche. Leurs collègues militaires s’éloignent peu à peu. Tant de clients m’ont raconté cette histoire que je ne crois pas exagérer en disant qu’elle se répète souvent. La confusion et la détresse sont palpables chez les clients avec qui j’ai travaillé; je leur explique donc la psychologie sous-jacente à ce comportement afin de les aider à comprendre qu’ils ne sont pas en cause, mais qu’il s’agit plutôt d’une réponse humaine naturelle à une perte anticipée.
De par sa nature même, l’armée cultive un schisme entre ses employés et le monde civil. En fait, ils s’occupent de leurs membres de façon presque institutionnalisée. Par exemple, lorsqu’il est temps de déménager, les membres n’ont même pas à emballer leurs objets personnels; en fait, ils n’en ont même pas le droit! Comme c’est le cas pour leur travail, les choix personnels sont souvent délibérément supprimés. Ainsi, il ne faut pas s’étonner qu’au moment de sa retraite ou de sa libération – particulièrement pour les pensionnés qui ont servi pendant plus de 20 ans – le membre vive assurément de l’incertitude en ce qui a trait à la façon de faire.

Cette situation peut également engendrer une variété de sentiments, notamment de la peur et de la méfiance. Lorsqu’un membre s’apprête à quitter l’armée, ses collègues s’approprient cette peur et commencent inconsciemment à l’écarter. De nombreux clients m’ont dit s’être sentis abandonnés par l’armée, puisque le soutien dont ils ont bénéficié est instantanément interrompu dès qu’ils remettent leur insigne. Bien qu’ils soient les bienvenus à titre de visiteurs en tout temps, beaucoup sentent qu’un mur invisible a été érigé entre eux et leur ancien lieu de travail. Les personnes moins autonomes quant à elles ressentent une grande perte et une grande confusion.

Par conséquent, les militaires de longue date peuvent avoir de fortes réactions émotives lorsqu’ils entreprennent une nouvelle vie et une nouvelle carrière civile. Ils ont besoin d’une écoute compréhensive et d’une main sûre pour les guider. Il faut aussi faire preuve de patience pour déchiffrer et traduire en termes clairs les nombreuses expériences fascinantes qu’ils ont vécues afin d’intéresser un employeur civil potentiel.

 

Judy Marston est une réinventeuse de carrière! Il n’y a rien qu’elle aime plus que d’élucider le casse-tête que constituent la vie et l’expérience de travail d’un client pour les réinventer en une nouvelle trajectoire de carrière stratégique et captivante. Forte de 15 ans d’expérience en ressources humaines, en recrutement et en développement de carrière, elle s’apprête à lancer, au début de 2013, sa série en ligne sur l’accompagnement en gestion et transition de carrière conçue précisément pour les émotifs intuitifs d’après le test Myers-Briggs. Visitez son site Web à l’adresse resumecoach.ca.