Par Deirdre Pickerell et Roberta Neault

Le secteur du développement de carrière a besoin d’une résilience accrue afin de contrer le désengagement, l’apathie, l’épuisement et le sentiment de sous-utilisation

La résilience est la capacité d’adaptation au stress et à l’adversité; c’est une qualité qui permet aux gens de surmonter leurs défis, et même d’en ressortir plus forts que jamais[1]. Bien que selon une partie de la définition extraite du dictionnaire anglais, la résilience soit le pouvoir ou la capacité de retrouver l’état initial[2], parfois l’état initial n’est pas l’objectif souhaité. En effet, parfois, la résilience concerne davantage la croissance, l’évolution, et la capacité de se réinventer chaque fois que cela est nécessaire. De toute manière, la résilience concerne généralement les personnes, la façon dont elles réagissent au stress et s’adaptent à l’adversité, ou la rapidité avec laquelle elles surmontent les difficultés. Et si nous considérions la résilience du secteur canadien du développement de carrière (c.-à-d. sa capacité de se rétablir après avoir subi un revers, de demeurer souple et de s’adapter en période de changement)? Cette résilience dépend-elle uniquement de la résilience de chacun des travailleurs, ou y a-t-il quelque chose que nous pouvons faire pour favoriser la résilience du secteur dans son ensemble?

En 2011, l’Institut canadien d’éducation et de recherche en orientation (CERIC) a publié une étude[3] qui révélait notamment que 50 % des intervenants du développement de carrière canadiens qui avaient participé à l’étude avaient l’intention de quitter le secteur. Pickerell (2013) a relevé des groupes de travailleurs du secteur qui doutaient de leur motivation à l’égard leur carrière. Étrangement, ces groupes appartenaient aux extrémités opposées quant à l’âge et à l’expérience; il s’agissait soit de travailleurs parmi les plus expérimentés et les plus anciens du secteur, soit de travailleurs parmi les moins expérimentés et les plus jeunes. Ces travailleurs ont déclaré se sentir à la fois débordés et sous-utilisés, en partie en raison des changements liés à leurs tâches quotidiennes (p. ex. la complexité accrue des cas, de nouveaux logiciels de suivi des clients) et de l’évolution du marché du travail ainsi que des modèles de financement qui ont une incidence sur leur profession.

Le modèle d’engagement à l’égard de la carrière (Neault et Pickerell, 2011)[4] offre une perspective unique de la résilience du secteur. L’engagement à l’égard de la carrière comporte deux composantes principales, soit le défi et la capacité, et se concrétise lorsque ces deux composantes sont en équilibre. Toutefois, lorsque le défi est trop grand pour la capacité de la personne, elle peut se sentir dépassée par la situation; sans intervention, cela peut conduire à l’épuisement professionnel et, finalement, au désengagement ou à l’apathie. En revanche, si le défi est trop petit pour la capacité de la personne, elle peut avoir le sentiment d’être sous-utilisée; à long terme, cela peut entraîner de l’ennui et, finalement, un désengagement. Bien que le désengagement des travailleurs soit le même résultat dans chacun de ces scénarios, il est important de tenir compte des causes qui y ont mené (c.-à-d. le fait d’être dépassé ou d’être sous-utilisé) au moment de déterminer le type d’interventions nécessaires. Cette notion de « direction du parcours » est ce qui distingue le modèle d’engagement à l’égard de la carrière des autres modèles d’engagement.

Les défis auxquels fait face le secteur du développement de carrière sont nombreux. Bien qu’aucun d’eux ne soit insurmontable, pris dans leur ensemble, ils semblent parfois l’être. Un des plus grands défis auxquels le secteur doit faire face, et il n’y a pas de solution en vue, est la redistribution incessante du financement pour répondre aux changements dans les priorités politiques. D’autres défis sont liés à la professionnalisation des travailleurs du secteur; partout au pays, les leaders en développement de carrière se sont efforcés de créer des normes professionnelles et un système de certification à la fois suffisamment complet pour assurer la mobilité de la main-d’œuvre et suffisamment souple pour tenir compte des différences régionales. Le secteur a été critiqué pour son vocabulaire confus et parfois arbitraire (p. ex. pour tenter de faire la distinction entre emploi, carrière, travail, profession et métier), et il y a peu de cohérence dans les titres de postes[5],[6]. Il existe de nombreuses associations professionnelles desservant le secteur, et chacune d’elles a ses propres priorités. Enfin, les intervenants en développement de carrière doivent s’adapter à l’évolution vers une pratique fondée sur les données probantes, alors qu’ils essaient d’équilibrer les exigences de l’organisme subventionnaire avec leur désir de recueillir des données afin de réduire les répercussions de leur travail sur la vie des clients.

Le secteur, toutefois, a la capacité nécessaire pour surmonter ces défis. Le fait de reconnaître et de souligner la capacité actuelle, en plus de se préparer pour l’avenir, s’apparente au développement de la résilience. Le Conseil canadien pour le développement de carrière (CCDC) a fait un travail considérable pour renforcer les capacités du secteur. Au cours des dernières années, ses divers sous-comités (médias, certification, perfectionnement de la main-d’œuvre) ont lancé plusieurs initiatives importantes, y compris le Jeu-questionnaire sur le développement de carrière [7]et la stratégie Votez emploi jeunesse[8] lancée durant la dernière campagne électorale. La participation continue du Canada aux colloques internationaux sur le développement de carrière et la politique publique souligne l’engagement profond des dirigeants du secteur à dégager et à partager les pratiques exemplaires qui permettent également de renforcer la résilience; le fait d’apprendre de l’expérience des dirigeants d’autres pays renforce les capacités, permet de tisser des liens importants et contribue à assurer que les leaders canadiens du développement de carrière sont au fait des initiatives de recherche et des pratiques de pointe qui pourraient être mises en œuvre au pays. Grâce aux collectivités en ligne ContactPoint et OrientAction du CERIC, au Congrès national en développement de carrière Cannexus, aux autres événements liés au perfectionnement professionnel, à la Revue canadienne de développement de carrière, ainsi qu’au généreux appui à la recherche, le secteur du développement de carrière dispose de nombreuses ressources qui permettent de continuer à renforcer les capacités et la résilience tout en développant les compétences et les connaissances des professionnels du développement de carrière canadiens. Le Groupe de recherche canadien (GDRC) sur la pratique en développement de carrière fondée sur les données probantes[9] a réalisé une grande quantité de travaux de recherche qui démontrent que les services d’orientation professionnelle ont un impact qui va bien au-delà de ce que les organismes subventionnaires examinent bien souvent. Bien que les professionnels du développement de carrière puissent se sentir facilement dépassés par les défis auxquels ils doivent faire face, nous espérons que le large éventail de programmes et d’initiatives présentés ici sera pour eux une source d’inspiration et leur rappellera la vaste gamme de ressources qui sont à leur disposition.

Aux colloques internationaux, comme celui auquel nous avons toutes les deux eu le privilège d’assister à l’été 2015[10], il est clair que le secteur canadien du développement de carrière a des admirateurs aux quatre coins du monde. Toutefois, au pays, de nombreux professionnels du développement de carrière ne semblent pas être conscients de cette réalité. Il est tentant de considérer ce que nous avions auparavant ou ce que nous souhaiterions avoir, mais il ne faut pas perdre de vue la force du secteur dans son ensemble, un secteur dont la résilience est éprouvée, qui a su surmonter les difficultés et qui continue à se développer malgré les changements de priorités et ses ressources limitées.

Le secteur est peut-être maintenant en mesure d’aider à renforcer la résilience de ses travailleurs, en leur fournissant un milieu de travail dynamique qui permet à chacun d’entre eux de s’épanouir, personnellement et professionnellement. Pour commencer, nous encourageons les dirigeants du secteur à ne pas supposer que les travailleurs de première ligne sont au courant de l’importante contribution du Canada dans les discussions internationales sur le développement de carrière et à partager l’information de manière active et généralisée. Nous encourageons également les directeurs et les gestionnaires des organismes à éviter d’accaparer les renseignements; bien que ce comportement ne soit pas délibéré, le rythme effréné de la vie impose souvent aux directeurs et aux gestionnaires de régler des problèmes urgents, et ils peuvent ainsi oublier de transmettre les renseignements reçus par l’entremise de leurs réseaux et de leurs fonctions en tant que bénévoles au sein du secteur et membres de conseils d’administration. L’espoir est essentiel au développement de la résilience, et des recherches antérieures ont révélé que l’optimisme était l’indicateur le plus important pour prévoir la réussite professionnelle et la satisfaction au travail[11]. Le fait de partager les réussites, les pratiques prometteuses et les faits saillants pertinents est à la fois encourageant et inspirant, et peut contribuer à renforcer la résilience et à favoriser l’engagement des travailleurs dans le secteur du développement de carrière.

 

Deirdre Pickerell, Ph. D., CRHA, GCDF-i, est vice-présidente de Life Strategies Ltd. Elle est récipiendaire du prix Stu Conger 2014 de leadership en développement de carrière et en orientation professionnelle et du Prix d’excellence 2006 de la Human Resources Management Association. Elle est la cofondatrice du modèle d’engagement à l’égard de la carrière et elle a consacré sa thèse de doctorat à l’engagement des professionnels du développement de carrière. Elle a dirigé Équipe Canada au Symposium international de 2015 sur les politiques publiques et le développement de carrière et a prononcé une allocution pendant le symposium qui portait sur les technologies émergentes.

Roberta Neault, Ph. D., CCC, CCDP, GCDF-i, est présidente de Life Strategies Ltd et doyenne associée du programme de maîtrise ès arts en psychologie de l’orientation de la Yorkville University. Roberta, qui est une chef de file primée du développement de carrière, au Canada et à l’étranger, a plus de 35 ans d’expérience pertinente en consultation, en recherche, en rédaction, en conception de programmes de formation, en formation, et en accompagnement et en orientation professionnelle. Elle est la cofondatrice du modèle d’engagement à l’égard de la carrière et elle écrit des articles et donne des conférences sur l’optimisme, l’espoir et la résilience.

[1] https://www.psychologytoday.com/basics/resilience
[2] http://www.merriam-webster.com/dictionary/resilience
[3] Canadian Education and Research Institute for Counselling (2011). Survey of career service professionals: Highlights report. Retrieved from ceric.ca/survey-of-career-service-professionals/
[4] Neault, R. A., & Pickerell, D. A. (2011). Career engagement: Bridging career counseling and employee engagement. Journal of Employment Counseling, 48(4), 185-188.
[5] Pickerell, D. A., & Neault, R. A. (2012). Where’s the work? Helping career practitioners explore their career options. Aldergrove, BC: Life Strategies Ltd.
[6] Bezanson, L., O’Reilly, E., & Magnusson, K. (2009). Pan-Canadian mapping study of the career development sector. Retrieved from http://www.ccdf.ca/ccdf/wp-content/uploads/2011/01/PAN-CANADIAN-MAPPING-STUDY-OF-THE-CAREER-DEVELOPMENT-SECTOR.pdf
[7] http://www.careerchallenge.ca/
[8] http://www.voteyouthjobs.ca/
[9] http://www.crwg-gdrc.ca/crwg/
[10] http://www.is2015.org/
[11] http://cjcdonline.ca/wp-content/uploads/2014/11/Thriving-in-the-New-Millennium.pdf