par Emmanuelle Desrosiers et Louis Cournoyer

Ce texte propose une approche du counseling de carrière prenant appui sur les travaux de Little et Chambers (2000) sur l’analyse de projets personnels. Dans un premier temps, une recension de leur article Analyse des projets personnels : un cadre intégratif pour la psychologie clinique et le counseling est proposée.  Dans un deuxième temps, une application pratique est proposée aux conseillers en développement de carrière et en orientation professionnelle.

1.    L’analyse des projets personnels (APP)

Cette approche vise à favoriser l’actualisation du client et son bien-être par le biais de projets de vie personnels. Ces projets incluent bien certainement les projets idiosyncrasiques, être une bonne mère de famille par exemple, mais ils peuvent aussi inclurent les actions normatives, comme finir ses études secondaires. Chacun de nos projets est une partie intégrante de notre vie. Lorsque les choses se passent bien et que ces projets sont une réussite, ils sont source d’estime de soi et d’épanouissement. À l’inverse, lorsque les choses sont difficiles, ces projets peuvent être source de stress, voir même mener à la pathologie. De ce fait, Little et Chambers indiquent que « l’actualisation de l’homme est directement reliée à la poursuite soutenue de projets importants. » (Chambers et Little, 2000, p. 155). Cette hypothèse est au cœur de l’approche d’analyse des projets personnels. Les projets professionnels sont liés au bien-être de la personne et aussi à ses difficultés. À titre d’exemple, une étude réalisée auprès de 30 sujets souffrant d’épuisement professionnel et âgés entre 33 et 59 ans porte d’ailleurs sur l’évaluation des projets personnels en cours de psychothérapie. Cette étude suggère que « l’évaluation positive de la progression des projets liés au travail semble diminuer les symptômes d’épuisement professionnel des sujets. » (Salmela-Aro, Näätänen, et Nurmi, 2000, p. 214)

Les projets personnels sont le miroir de l’individu qui reflète ce qui compte pour cette personne et ses préoccupations quotidiennes. En effet, les projets reflètent les efforts d’une personne pour atteindre des objectifs importants qui mènent à une vie épanouie. De plus, les contraintes et les possibilités de l’environnement influencent les projets professionnels que ce soit au niveau social, temporel, économique, politique et historique. Aussi, l’APP a une forme d’unités conatives d’analyse. Il est à noter que chaque structure d’évaluation systémique correspond à une matrice fournie en annexe de l’article. L’APP permet à l’intervenant d’utiliser les explorations cliniques spontanées et cela se fait à l’intérieur d’une structure d’évaluation systématique.

Les méthodes d’évaluation psychologique de l’APP permettent de distinguer trois types d’intégration. Premièrement, selon la méthode d’évaluation, les données peuvent être analysées au niveau individuel ainsi qu’au niveau normatif ou collectif. De plus, la méthodologie permet d’incorporer plusieurs aspects de la conduite humaine comme les données affectives, cognitives et comportementales, dans un seul instrument. Finalement, la convergence entre les applications cliniques et les méthodes de recherche est permise par l’APP (Chambers et Little, 2000). Les clients s’investissent souvent dans plusieurs projets en même temps, ce qui forme un système d’influences mutuelles. Les intervenants de l’APP prennent en considération dans leur analyse le niveau de facilitation ou de conflit entre les projets. De plus, les intervenants s’attardent aux activités quotidiennes puisque ces activités sont le reflet des valeurs existentielles et des comportements significatifs au cœur de la vie quotidienne du client. Il faut également savoir que l’APP permet à l’intervenant une flexibilité dans sa méthodologie d’intervention. Bien que chaque projet soit évalué selon des critères préétablis, l’intervenant peut en ajouter ou en retirer afin de s’ajuster aux besoins du client.

La première étape de cette approche est bien certainement de connaître les différents projets du client. Cela dit, il faut savoir que tous les projets n’ont pas la même portée. Certains projets prennent plus de temps que d’autres, demandent davantage d’énergie et ont des répercussions plus grandes. Ces projets se regroupent fréquemment sous 6 catégories c’est-à-dire scolaire/occupationnel, santé/corps, intrapersonnel, interpersonnel, loisir et administration de la vie courante. La manière utilisée par les clients pour formuler leurs projets est aussi importante. L’intervenant doit donc être attentif à la manière dont est exprimé le projet c’est-à-dire comme une activité, un état ou encore un accomplissement instantané ou prolongé. L’intervenant doit également amener le client à reformuler ce qu’il voudrait faire dans une forme positive plutôt que négative. À titre d’exemple, « tenter de ne plus perdre de dossier au bureau » deviendrait « conserver mes dossiers de bureau en ordre ». Afin de mieux évaluer les projets personnels, l’intervenant peut aussi demander au client de choisir entre 7 et 10 projets et de les noter sur une échelle de 0 à 10 selon des dimensions qui ont été définies comme significatives pour le client. Traditionnellement, il existe 17 dimensions pouvant être regroupées sous 5 facteurs : stress, structure, efficacité, communauté et signification. Plus tard, de nouvelles dimensions affectives s’ajoutèrent au lot et firent apparaître deux nouveaux facteurs soit l’affect positif et l’affect négatif. De plus, les dimensions structure et efficacité ont tendance à se croiser. Maintenant, il reste cinq facteurs, dont trois cognitifs; signification, structure/efficacité et communauté ainsi que deux facteurs affectifs c’est-à-dire l’affect positif et négatif. L’affect négatif étant relié à la dimension du stress. Cela dit, comme mentionné plus haut, l’intervenant peut faire preuve de flexibilité dans l’utilisation des dimensions, selon les besoins spécifiques du client.

2.    Application pratique de l’APP pour les conseillers

Dans le cadre d’un travail en orientation scolaire et professionnelle, cette approche peut s’avérer très utile.

Étude de cas 1 : étudiante en quête d’un programme d’études universitaires

Cette étudiante cherche à faire un choix de programme universitaire et elle a de la difficulté à identifier ce qui l’intéresse vraiment. Dans cette optique, il est possible de lui demander de dresser une liste de ses projets en les décrivant dans ses propres mots. Cela prend environ 10 minutes dans le cadre de la rencontre ou 30 minutes lorsque c’est fait à la maison. Les projets personnels des individus se placent dans un contexte temporel. Par cette énumération, l’intervenant est capable de voir si l’étudiante a une ligne directrice dans ses projets, si elle a une surcharge de projets, ou si la cliente est incapable de prioriser une action. Par la suite, il est possible de discuter avec la cliente afin de savoir quels sont ses projets importants, ses préoccupations. Ainsi, cela permet d’avoir une bonne idée du système de projets de la personne et de ce qui l’intéresse davantage. Dans l’optique d’amener la cliente à mieux se connaître, une autre méthode de l’APP est l’enchevêtrement des projets. Cela fournit une vue systématique de l’interrelation entre les projets de haut niveau (important) et les projets de bas niveau (secondaire ou superficiel). Ainsi, les projets importants sont sélectionnés par la cliente afin qu’elle puisse les explorer en profondeur avec l’intervenant, puis c’est le tour des projets moins importants et ainsi de suite. Dans le cadre d’un processus d’orientation, l’APP peut servir de base d’exploration et de connaissance de soi pour une personne qui cherche à faire un choix de programme ou de profession.

Étude de cas 2 : homme en quête de satisfaction au travail

Dans cette optique, il est possible de vérifier l’équilibre qu’il y a entre les dimensions signification et efficacité. Si le système est en déséquilibre, l’intervenant peut encourager le client à faire davantage d’activités dans la dimension moins développée. Les dimensions de structure/efficacité sont souvent des déterminants centraux du bien-être. Plus le client se trouve compétent dans ce qu’il fait, plus il a l’impression de vivre du succès et donc d’être bien dans sa peau. Ainsi, l’intervenant peut évaluer avec le client s’il se sent efficace et l’aider à identifier les obstacles qui empêchent son sentiment de contrôle personnel. De plus, dans cet exemple monsieur parle en terme affectif en indiquant ne pas se sentir heureux. Il est aussi intéressant de s’attarder aux dimensions affectives de l’APP qui peuvent faire ressortir plusieurs émotions des projets. D’ailleurs, tous les mots liés aux émotions peuvent être utilisés comme dimension. L’intervenant peut fournir une liste normative des émotions au client pour que celui-ci puisse noter chaque projet à partir de cette liste. L’intervenant peut aussi demander au client de faire sa propre liste d’émotions reliées à la poursuite de ses projets et ainsi en dégager des pistes à explorer.

Étude de cas 3 : adulte en quête de conciliation travail-famille

Dans cette optique, il est possible de s’attarder aux dimensions communautaires, qui font référence au réseau de soutien entourant les projets personnels. L’intervenant peut d’ailleurs demander au client, pour chaque projet, de faire une liste de personnes impliquées. Cela donne une bonne idée de la grandeur du réseau social du client et également de son réseau de soutien dans les différentes tâches qu’il doit accomplir. Si l’intervenant se rend compte qu’il y a des notations basses à cette dimension, cela devrait inciter l’intervenant à en chercher la cause et ainsi aider le client dans ses relations interpersonnelles. Ce qui, dans cet exemple, pourrait permettre de mieux comprendre le réseau social du client dans sa vie familiale et professionnelle.


Références

Chambers, N. C. et Little, B. R. (2000). Analyse des projets personnels: un cadre intégratif pour la psychologie clinique et le counselling. Revue québécoise de psychologie, p. 153-189.

Salmela-Aro, K., Näätänen, P. et Nurmi, J.-E. (2000). L’examen des projets personnels au cours d’une psychothérapie destinée aux personnes souffrant d’épuisement professionnel. Revue québécoise de psychologie, p. 191-218.


Emmanuelle Desrosiers est étudiante à la maîtrise en carriérologie à l’Université du Québec à Montréal (UQÀM).

Louis Cournoyer c.o., Ph.D est professeur en counseling de carrière à l’Université du Québec à Montréal (UQÀM). Conseiller d’orientation depuis 15 ans, il maintient une pratique professionnelle auprès de jeunes adultes et d’adultes, ainsi que d’accompagnement professionnel auprès des conseillers d’orientation et conseillers en développement de carrière.