Les entreprises ont démarré leur transformation pour répondre à cette nouvelle génération de candidats en quête de sens et d’engagement environnemental et social

Pascal Geneviève

Alors que les vagues de chaleur et les inondations sont de plus en plus fréquentes et intenses partout sur la planète, les politiques de lutte contre les changements climatiques s’intensifient. Ces actions gouvernementales, combinées à l’évolution des attentes des citoyens et des consommateurs, sont amenées à modifier en profondeur la quasi-totalité de nos activités économiques. On parle ainsi d’une transition vers une économie bas-carbone, transition essentielle pour limiter les dérèglements climatiques et maximiser notre capacité d’adaptation.

C’est dans ce contexte que l’on observe d’ores et déjà des modifications en ce qui concerne les attentes de la population active, ce qui devrait affecter durablement le marché du travail. On observe notamment deux tendances qui seront amenées à se poursuivre dans les années à venir. D’une part, on note un intérêt des personnes en emploi ou des candidats pour des métiers à faible empreinte environnementale. D’autre part, de plus en plus d’organisations évoluent vers des modèles bas-carbone, ce qui force leur personnel à acquérir des nouvelles expertises.

La recherche de sens

Lors d’entrevues, il m’arrive très souvent de rencontrer des candidats qui affirment vouloir aligner leurs valeurs avec le métier qui va les occuper quarante heures par semaine. On est loin du temps où le prestige de l’employeur et le montant du salaire étaient les premiers critères de sélection d’un emploi. Ainsi, on retrouve ce besoin quasi-urgent de donner du sens à leur travail chez de nombreux jeunes diplômés, qui entendent parler de problèmes environnementaux et notamment des changements climatiques depuis leur enfance. Plusieurs d’entre eux  sont conscients qu’ils héritent d’un nombre considérable de défis à relever.

Ce n’est pas seulement la génération Y qui fait part de ce besoin. Je rencontre également ce sentiment chez de nombreux professionnels expérimentés qui souhaitent se réorienter. D’ailleurs, certains d’entre eux vont jusqu’à accepter une réduction de salaire à condition qu’ils fassent un travail dans lequel ils s’accomplissent. Ainsi, pour attirer et retenir les talents, c’est un atout pour une entreprise que de mettre en place une démarche responsable sur les sujets environnementaux et sociaux. Encore faut-il la communiquer!

À ce sujet, depuis plusieurs années, de très nombreuses entreprises divulguent de l’information sur la façon dont elles prennent en considération les enjeux climatiques. Plus particulièrement, les entreprises cotées en bourse soumettent de l’information à l’attention des investisseurs sur des plateformes telles que CDP, GRI, etc. Il arrive très souvent que les employés ne soient pas au courant des initiatives en place dans leur propre entreprise. Ainsi, il est avantageux pour un employeur de faciliter l’accès à cette information pour permettre aux employés de comprendre les risques auxquels les activités de leur entreprise sont exposées et les moyens mis en place pour gérer ces risques, ainsi que les solutions considérées pour tirer profit des occasions d’affaires. De nombreuses organisations mettent en place un réseau de leaders à l’interne, qui leur permet de partager l’information en lien avec les défis environnementaux. Faire partie de ce réseau peut permettre à l’employé non seulement de mieux comprendre les enjeux concrets mais également de participer à la diffusion et la collecte d’informations et éventuellement à des projets d’amélioration continue. C’est ainsi une façon de retenir les talents en les engageant dans la démarche de responsabilité environnementale et sociale.

Pour aller plus loin, de nombreux professionnels choisissent de s’outiller en se formant en dehors des murs de l’entreprise. Au-delà des cours universitaires, certaines organisations professionnelles offrent également des formations à leurs membres, comme l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec  ou les associations provinciales regroupant les ingénieurs. Depuis peu, on trouve également des formules de jeu ludique sur le climat, dans lequel le participant est immergé dans une situation réaliste afin qu’il soit acteur de son apprentissage. Ces formations permettent l’acquisition de fondements théoriques et pratiques sur la prévision et la gestion des risques climatiques, le choix de solutions résilientes ou l’intégration de nouvelles technologies pour réduire l’empreinte carbone de l’organisation.

Les entreprises qui se transforment et s’adaptent

Les organisations elles-mêmes sont soumises à de nouvelles contraintes liées aux changements climatiques, ce qui les amène à revoir leur façon de faire. Par exemple le quotidien danois Politiken réduit ses publicités sur les destinations lointaines et interdit à ses employés les déplacements en voiture à essence à l’intérieur du pays (Gruda, 2019). La mine Nouveau Monde Graphite, dont le graphite sert à la fabrication de batterie Lio-ion, vise la carboneutralité en 2021 à travers l’électrification de tous ses procédés (Les Affaires, 2018). Sous la pression d’Apple, deux entreprises concurrentes, Alcoa et Rio Tinto, unissent leur forces pour développer une technologie de production d’aluminium bas-carbone (Apple, 2018).

De quels métiers parle-t-on?

Il y a bien sûr des métiers qui sont au cœur de cette transition, comme les acteurs du secteur de l’énergie. Alors que le secteur du charbon voit son avenir s’assombrir, celui des énergies bas-carbone a le vent dans les voiles.

Mais la transition bas-carbone dépasse de loin ce secteur. En effet, tous les secteurs d’activité sont consommateurs d’énergie et émettent des gaz à effet de serre (GES), que ce soit les transports, le secteur manufacturier, le bâtiment, l’agriculture ou la gestion des matières résiduelles. La contrainte climat s’insinue partout : chez le développeur de projet d’infrastructure qui doit joindre les émissions de GES de son projet à sa demande d’autorisation, chez le gestionnaire de centre de données informatiques qui s’établit proche de source de production d’électricité bas-carbone pour séduire ses clients, chez le responsable logistique qui optimise les déplacements des véhicules pour réduire les émissions, chez l’éleveur bovin dont le cheptel produit du méthane, un puissant GES, ou chez l’enseignant qui a le devoir de préparer ses étudiants à cette nouvelle réalité.

Ainsi alors qu’une fraction croissante de la population active cherche un métier à impact positif, les métiers eux-mêmes sont en profonde mutation. Espérons que cette double évolution permette au plus grand nombre d’aligner leurs valeurs personnelles avec leur vocation professionnelle.

Pascal Geneviève est cofondateur et directeur général de CCG. Certifié Quantificateur en Inventaire de gaz à effet de serre par CSA, il supervise les activités de l’entreprise dans tous les secteurs. Il possède une vaste expérience dans l’analyse du cycle de vie, l’empreinte carbone et l’adaptation aux changements climatiques et il donne régulièrement des formations sur ces sujets. Geneviève est titulaire d’une maîtrise en génie mécanique de l’Université d’Urbana Champaign, en Illinois, et possède un diplôme d’ingénieur de l’École des Mines en France. 

Références

Apple (2018, 10 mai). « Apple ouvre la voie à une méthode révolutionnaire de fusion de l’aluminium à carbone zéro. » Source apple.com/ca/fr/newsroom/2018/05/apple-paves-the-way-for-breakthrough-carbon-free-aluminum-smelting-method/

Gruda, Agnès (2019, 22 janvier). « Le Quotidien Politiken Renonce à l’Auto… Et à l’Avion.” La Presse. Source plus.lapresse.ca/screens/94bc31e4-9dfa-443d-9ce6-27f91afec65e__7C___0.html

Les Affaires (2018, 3 mars). « Une mine tout électrique pour Nouveau Monde Graphite ? » Source lesaffaires.com/blogues/evenements-les-affaires/une-mine-tout-electrique-pour-nouveau-monde-graphite/601206