L’épuisement professionnel des professionnels de la santé en temps de pandémie

Par Steeven Bernier

Durant la dernière année, plusieurs d’entre-nous ont entendu des histoires dans les médias de personnes qui ont perdu leur emploi et qui se sont reconvertis professionnellement pour aller prêter main forte au système de la santé. Cependant, les conditions de travail dans le domaine de la santé semblent s’être dégradées partout dans le monde. Les grands titres des journaux en font foi : « Manque de reconnaissance, conditions de travail : ces infirmiers ne veulent plus travailler à l’hôpital ». Or, dans ce contexte, plusieurs professionnels de la santé qui y étaient déjà depuis plusieurs années décident de quitter leur emploi et changer de métier. Dans ce contexte, il apparaît donc que les professionnels du domaine de l’orientation et du développement de carrière auront à rencontrer ces clients prochainement, si ce n’est pas déjà le cas actuellement. Or, au-delà de ce changement de cap pour ces-derniers, il importe de comprendre le contexte les ayants menés à cette prise de décision.

La pandémie ainsi que les stratégies visant à la contrer (couvre-feu, confinement, etc.) ont entraîné une augmentation des taux de troubles mentaux, sans compter l’augmentation de la détresse psychologique, des problèmes d’insomnie, d’idées suicidaires et de consommation de substance, entre autres, chez les professionnels de la santé (Cénat, 2020; Cénat et al., 2020). Chez ceux-ci, mentionnons que même en période hors pandémie, ils sont plus à risque que la population générale d’avoir des troubles mentaux, d’être sousdiagnostiqués et d’être sous-traités (El-Hage et al., 2020). Or, plusieurs facteurs reliés à la pandémie peuvent influencer l’état psychologique des professionnels de la santé. Mentionnons principalement l’exposition directe aux patients ayant une charge virale haute, l’exposition au risque de contamination, l’épuisement physique, la réorganisation des espaces de travail, l’adaptation à des organisations rigides de travail, la gestion de la pénurie de matériels, le nombre inhabituellement élevé de décès parmi les patients, des collègues ou des proches ainsi que des questions éthiques relatives à la prise de décision dans un système de soins en tension, être parents avec la crainte de contaminer ses enfants ainsi que la stigmatisation des soignants comme vecteurs potentiels de l’infection virale (El-Hage et al., 2020).

Or, le Canada ne fait pas exception à la réalité décrite précédemment. Effectivement, selon les données avancées par Statistique Canada récemment, 7 travailleurs de la santé sur 10 ont déclaré une détérioration de leur santé mentale pendant la pandémie de COVID-19 (Statistique Canada, 2021). Qui plus est, cette détérioration perçue est plus accrue chez les professionnels travaillant avec des cas confirmés ou soupçonnés de Covid-19. Ainsi, dans ce contexte anxiogène qui s’ajoute à un système de santé déjà éprouvé, de plus en plus de professionnels de la santé songent à se réorienter. Afin de diminuer l’impact psychologique de cette nouvelle réalité, différentes stratégies peuvent être utilisées. Mentionnons, du côté individuel, la présence de soutien social, le développement de la résilience ainsi que l’application des saines habitudes de vie qui peuvent contribuer positivement (Hage et al., 2020). Au-delà de ses stratégies visant à s’adapter, plusieurs d’entre-eux se questionneront sur leur carrière.

Il importe donc de comprendre la réalité de ces professionnels désirant changer d’emploi ou de profession afin de mieux intervenir auprès d’eux. Des éléments psychologiques, tels que ceux décrits précédemment, ont pu les amenés à cette décision ou, à tout le moins, à cette réflexion.

Steeven Bernier est chargé d’enseignement à la faculté des sciences infirmières de l’Université Laval ainsi que chargé de cours au département des sciences de la santé de l’UQAR, plus particulièrement pour les cours en lien avec la santé mentale. Il effectue actuellement une maîtrise en sciences de l’orientation. Sa recherche dans le cadre du mémoire porte sur les stratégies organisationnelles mises en place par les milieux de soins pour accompagner les infirmières ayant vécu un épuisement professionnel.

Références

Cénat, J.M., (2020). US deportation policies in the time of COVID-19: a public health threat to the Americas. Public Health. https://doi.org/10.1016/j.puhe.2020.05.017.

Cénat, J. M., Blais-Rochette, C., Kokou-Kpolou, C. K., Noorishad, P. G., Mukunzi, J. N., McIntee, S. E., … & Labelle, P. (2020). Prevalence of symptoms of depression, anxiety, insomnia, posttraumatic stress disorder, and psychological distress among populations affected by the COVID-19 pandemic: A systematic review and meta-analysis. Psychiatry research, 113599.

El-Hage, W., Hingray, C., Lemogne, C., Yrondi, A., Brunault, P., Bienvenu, T., … & Aouizerate, B. (2020). Les professionnels de santé face à la pandémie de la maladie à coronavirus (COVID-19): quels risques pour leur santé mentale?. L’encephale, 46(3), S73-S80.

Statistique Canada (2021). Répercussions de la COVID-19 sur les travailleurs de la santé : prévention et contrôle des infections (RCTSPCI). https://www.statcan.gc.ca/fra/enquete/menages/5340

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La formation éthique du personnel enseignant : à la recherche de leviers pour une formation durable

Par Audrey Weir

L’éthique professionnelle constitue l’une des douze compétences du référentiel de compétences professionnelles à développer en formation initiale et continue à l’enseignement (Gouvernement du Québec, 2001).  D’une durée de quatre ans, tous les programmes de baccalauréat en enseignement au Québec doivent contenir un cours spécifique ou une formation transversale à cet égard (Jutras, 2014). Or, à la fin de leur formation initiale, plusieurs enseignantes et enseignants du primaire doutent de leur compétence éthique : ils ont des préoccupations et vivent des dilemmes éthiques devant lesquels ils ne se sentent pas suffisamment outillés pour agir (Belzile, 2016). Pourtant, un niveau de maîtrise de la compétence éthique est attendu : « Au terme de sa formation, l’étudiante ou l’étudiant doit être en mesure d’agir de manière responsable auprès des élèves pour que l’on puisse sans réserve recommander de lui confier un groupe et de répondre de ses actions en fournissant des arguments fondés » (Gouvernement du Québec, 2001, p. 159).

Le cadre actuel de la formation universitaire du personnel enseignant, publié au début des années 2000, est orienté vers la professionnalisation progressive de l’enseignement (Jeffrey, 2015). Selon ce référentiel, l’établissement de liens forts entre les cours et la pratique concrète en classe de stage permet de soutenir la pratique réflexive à la base de l’intégration du développement des compétences professionnelles. Ainsi on peut saisir que l’acte d’enseigner ne se limite pas à poser des actions, mais qu’il demande également une réflexion avant, pendant et après ces actions (Belzile, 2016). Même si, au sens de la loi sur les professions au Québec, l’enseignement n’est pas reconnu comme une profession qui devrait être dotée d’un ordre professionnel, les enseignantes et enseignants doivent développer leur éthique professionnelle comme le stipule le cadre de formation axé sur la professionnalisation.

Pour faire un état des connaissances sur le développement et les acquis en éthique professionnelle lors de la formation initiale en enseignement, une recension systématique des écrits (Mertens, 2019) a été réalisée avec des mots-clés pertinents dans les banques de données suivantes : Érudit, Éric, Cairn, ProQuest et EBSCOhost. Les résultats montrent que les orientations développementales (sensibilité morale et jugement professionnel) sont privilégiées et que les pédagogies actives utilisées sont appréciées des étudiants à l’université (études de cas, jeux de rôle, débats, dialogues philosophiques). Cependant, les apprentissages réalisés en classes universitaires qui sont observés dans les discussions et les travaux réflexifs ne semblent pas transférés dans des situations authentiques de pratique (Jutras, 2013).

Afin de contribuer à identifier des pratiques qui soutiennent de manière durable le développement de la compétence éthique en formation initiale à l’enseignement, l’objectif de ma recherche est de mettre en évidence la nature des acquis en éthique professionnelle et le processus de développement éthique d’étudiantes et étudiants finissants en enseignement. Ils seront recrutés dans deux programmes de baccalauréat de l’Université de Sherbrooke : baccalauréat en enseignement au préscolaire et au primaire dans lequel on offre une formation transversale en éthique et baccalauréat en adaptation scolaire dans lequel on donne un cours spécifique à cet égard. Une approche quantitative, soit avec l’administration d’un questionnaire, sera privilégiée, car les études déjà réalisées sur le sujet ont été faites selon une approche qualitative. C’est donc en identifiant et en comparant la nature des différents acquis de formation et du processus soutenant le développement de la compétence éthique de ces finissantes et finissants que certains leviers de formation pourront être mis en évidence et serviront, par la suite, d’assises pour des recherches complémentaires sur le sujet.

Notice biographique

Audrey Weir est une étudiante inscrite à la maîtrise en sciences de l’éducation à la faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke. En plus d’être membre étudiante du CRIFPE, elle est assistante de recherche et auxiliaire d’enseignement. Ses intérêts de recherche portent sur le développement de l’éthique professionnelle en formation initiale et continue à l’enseignement et sur l’insertion professionnelle des novices en enseignement.

Références bibliographiques 

Belzile, M. (2016). Étude du rapport à l’éthique qu’entretiennent des stagiaires de 4e année de formation, des enseignants associés et des superviseurs universitaires du baccalauréat en éducation préscolaire et en enseignement primaire (Thèse de doctorat inédite). Université du Québec à Rimouski, Rimouski, Canada. Repéré à « https://archipel.uqam.ca/11086/1/D3182.pdf ».

Gouvernement du Québec (2001). La formation à l’enseignement : les orientations, les compétences professionnelles. Québec, Canada : Ministère de l’Éducation.

Jeffrey, D. (2015). Enseigner l’éthique aux futurs enseignants. Dans E. Prairat et L.-A. St-Vincent (dir.), Le développement de l’agir éthique chez les professionnels en éducation : Formations initiale et continue (p. 25-44). Québec, Canada : Presses de l’Université du Québec.

Jutras, F. (2013). La formation à l’éthique professionnelle : perspectives et pratiques contemporaines. Formation & profession. 21(3), 56-69.

Jutras, F. (2014). Le professionnalisme : valeur de base de la conduite professionnelle. Dans L. Langlois (dir.), Le professionnalisme et l’éthique au travail (p. 83-104). Québec, Canada : Presses de l’Université Laval.

Mertens, D.-M. (2019). Research and Evaluation in Education and Psychology: Intergrating Diversity With Quantitative, Qualitative, and Mixed Methods (5e éd.). Los Angeles, États-Unis : Sages Publications. (Ouvrage original publié en 1998)

 

 

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Une pratique professionnelle sous l’angle de la justice sociale (1)

Par Michel Turcotte et France Picard 

La justice sociale a traversé l’histoire de la pratique de l’orientation. Au début du XXe siècle, Frank Parsons, un pionnier de l’orientation en Amérique du Nord, a souligné la répartition inégale des biens et de la richesse dans la société américaine et il s’est engagé à aider les citoyens les plus défavorisés.

On peut s’interroger à savoir si les enjeux de justice sociale sont suffisamment pris en compte dans la pratique de l’orientation. Parmi les travaux théoriques traitant de la justice sociale, l’approche par les capabilités, développée par le prix Nobel d’économie Amartya Sen, aide à débusquer les situations d’injustice, à en expliciter le mécanisme, ainsi qu’à ouvrir certaines pistes d’intervention pour des pratiques d’orientation socialement plus justes. Selon Sen (2009), une situation est considérée injuste lorsqu’il y a possibilité d’intervenir pour compenser une inégalité, alors qu’aucune intervention n’est posée, ou lorsque l’intervention posée contribue à renforcer l’accès inégal à un droit, un bien ou un service. Sous la direction de la professeure France Picard, un groupe de chercheurs de l’université Laval et de l’université de Lausanne a choisi d’illustrer comment ce concept peut s’appliquer à l’orientation.

Le concept de capabilités à s’orienter se définit comme étant l’étendue des libertés réelles dont dispose un individu dans son choix d’orientation, tenant compte du cours de vie qu’il a des raisons de valoriser (Picard et al., 2015a). Les libertés formelles dont jouissent les individus, comme les droits enchâssés dans une loi (ex. : l’universalité d’accès à l’éducation dans les pays développés) ou la disponibilité de ressources publiques (ex. : une politique de faibles frais de scolarité à l’université) ne se traduisent pas automatiquement par des libertés réelles pour les individus. Par exemple, au-delà de la liberté formelle d’accéder à l’éducation, la difficulté qu’éprouvent certaines familles immigrantes à comprendre le système éducatif du pays d’accueil peut contribuer à occulter l’espace des possibles et limiter le choix d’orientation de leurs enfants (liberté réelle plus restreinte pour les élèves ou les étudiants). Bref, l’écart entre la liberté formelle et liberté réelle permet de juger de l’étendue des capabilités.

Figure 1 : Les capabilités à s’orienter

Source : Picard et al., 2015a

Comme le montre la figure 1, en amont des capabilités, les ressources et les droits formels sont des conditions essentielles – mais non suffisantes – pour mener à la justice, car il n’est pas garanti que les individus en fassent un réel usage, même s’ils sont disponibles. L’élève ou l’étudiant touchés par une forme d’inégalité (socioéconomique, ethnoculturelle, genrée, handicap, etc.) sont-ils soumis à des droits différents de ceux de leurs pairs? à un accès ou à un usage différents des ressources?  Ainsi, le passage des ressources et des droits formels (moyens d’accomplir) aux capabilités à s’orienter (liberté d’accomplir) fait intervenir le concept de facteur de conversion. C’est en convertissant ces ressources et ces droits formels en possibilités réelles (facteur de conversion positif) qu’un individu peut augmenter sa liberté et ouvrir le champ des possibles. Qu’est-ce qui empêche un élève ou un étudiant de recourir aux ressources et aux droits d’un établissement en matière d’orientation (examen des règlements, des mesures, des modalités de prestations de service d’orientation, etc.)? Par exemple, la transmission par le conseiller d’orientation d’une « information juste » sur le coût d’études universitaires et l’aide financière disponible peut devenir un facteur de conversion positif pour les jeunes qui sont les premiers de leur lignée familiale à accéder à l’université. À l’inverse, à titre d’exemple de facteur de conversion négatif, un conseiller d’orientation juge un dossier scolaire peu prometteur, ce qui peut contribuer à refroidir les aspirations d’un élève, voire à contraindre son choix scolaire.

En aval des capabilités se situe le choix d’orientation. L’aide au processus de prise de décision et au choix est au centre des pratiques de l’orientation en milieu scolaire. Dans l’approche par les capabilités, ce choix est objet d’investigation, plutôt que la résultante d’une bonne pratique d’orientation. Ainsi, pour caractériser la marge de liberté associée à un choix (liberté d’accomplir), le praticien s’interroge à savoir si l’étudiant a eu la possibilité de faire autrement (capability to exit), s’il a eu son mot à dire dans la situation (capability for voice), si des contraintes ont affecté ce choix et si le choix d’un programme de formation a de la valeur à ses yeux. Dans l’approche par les capabilités, on tente de distinguer entre un choix scolaire ou professionnel librement consenti et celui formulé sous l’emprise des stéréotypes de genre ou de classe, ou lorsque les options scolaires sont restreintes, voire inexistantes. Ce dernier renvoie au concept de préférence adaptative, alors que l’individu intériorise et exprime une préférence sous la contrainte, ce qui l’éloigne de ses aspirations et le détourne de ses centres.

Dans la foulée, cette investigation de la prise de décision en orientation se poursuit par l’analyse des fonctionnements effectifs (les façons d’être et d’agir des individus) et des accomplissements (ce que les individus réalisent, l’ensemble de leurs fonctionnements). Si certaines limites dans l’environnement d’un élève ou d’un étudiant étaient repoussées (ex. : accès à des ressources, modification de règles administratives), quels accomplissements potentiels pourraient-ils réaliser sur les plans scolaire et professionnel? Les accomplissements des individus ne témoignent pas en soi de la présence d’injustice. Par exemple, deux étudiants sont inscrits à un même programme de formation (un même accomplissement). Le premier le choisit librement, et le second, par défaut. Dans cette situation, l’accomplissement est le même, mais la liberté de choisir (capabilité) diffère.

L’approche par les capabilités invite donc à dépasser les constats d’inégalités pour interroger les injustices et réfléchir à la manière dont il peut en être autrement. Au besoin, il mettra en œuvre des actions d’advocacy pour assurer un accès juste aux ressources d’orientation. En outre, dans l’entretien de counseling, il veillera à construire un espace délibératif où les personnes ont la possibilité de faire entendre leur voix (capability for voice) et d’expliciter le cours de vie qu’ils ont des raisons de valoriser. À cette fin, le conseiller sera attentif à l’éventail des possibles considérés dans une prise de décision scolaire ou professionnelle, ainsi qu’aux préférences adaptatives qui se profilent derrière la formulation d’un centre d’intérêt. En somme, ce qui est visé dans l’entretien de conseil, c’est de redonner à tous une liberté réelle de choisir.

(1) Ce blogue est un résumé du chapitre « Capabilities perspective of social justice » de Picard, Turcotte, Viviers et Dionne, publié dans une publication du CERIC de 2019,  «  N. Arthur, R. Neault et M. MacMahon (Dirs), Career Theories and Models at Work (p 307-318) ». Vous y trouverez un compte rendu succinct, une illustration de cette théorie dans un milieu de pratique et les références.  Le livre est en voie de traduction et pourrait être disponible en français dans les prochains mois ou la prochaine année.

Michel Turcotte est conseiller d’orientation et psychologue. Au terme d’une carrière de trente ans au ministère canadien de l’Emploi et développement social, à titre de conseiller, formateur de conseillers, gestionnaire de la recherche et de l’élaboration des politiques, Michel a entrepris depuis 2013 à l’Université Laval une thèse de doctorat sur l’accompagnement en orientation professionnelle à distance. Il est membre du Centre de recherche et d’intervention sur l’éducation et la vie au travail (CRIEVAT) et du Laboratoire de recherche sur l’analyse des dispositifs d’accompagnement et de la compétence à s’orienter (ADACO). Il a reçu le prix Etta St. John Wileman en 2017 décerné par le CERIC, la médaille d’or Stu Conger en 2014 et le Mérite du Conseil Interprofessionnel du Québec en 2012 pour le leadership exercé tout au long de sa carrière dans le domaine de l’orientation et du développement de carrière.

France Picard est professeur titulaire dans les programmes d’orientation et de counseling à l’Université Laval (Québec, Canada) et directrice du Centre de recherche et d’intervention sur l’éducation et la vie au travail (CRIEVAT). Au fil des ans, elle a développé une vaste expertise en recherche dans le domaine de la sociologie de l’enseignement supérieur. Ses recherches portent sur l’étude des parcours étudiants, en se concentrant sur les étudiants à risque issus de milieux socioéconomiques défavorisés ou ayant des troubles d’apprentissage, entrant dans l’enseignement supérieur, à travers le prisme de la justice sociale.

 

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Parler pour favoriser le bien-être au travail et le développement professionnel

Par Caterina Mamprin

Le bien-être est un concept fréquemment discuté depuis les vingt dernières années. Dans la littérature scientifique, le bien-être est tantôt perçu comme la somme des facteurs positifs et négatifs vécus par l’individu (Diener et al., 1985), où l’individu est plutôt passif, ou encore l’engagement actif de l’individu dans sa croissance personnelle (Waterman et Kroger, 1993). Le bien-être est alors associé à une démarche à plus long terme. Cette dernière se rapproche davantage du développement professionnel. Certains auteurs lient ces deux conceptions du bien-être au travail pour arriver à avoir une conception plus holistique de ce phénomène.

Au travail, il est possible de mettre sur pied des activités collectives qui favorisent, à la fois, la gestion des facteurs positifs et négatifs au quotidien et qui permettent aux travailleurs d’avoir accès aux ressources nécessaires pour tendre aussi vers la croissance et le développement professionnel. Plus précisément, nous avons étudié un groupe de parole conçu et mené pour favoriser le bien-être au travail, offert à des enseignants au secondaire. Alors que ce contexte était très particulier, nous croyons que celle-ci peut être adaptée à d’autres secteurs d’activité.

Les groupes de parole consistent à créer un espace sécuritaire où les travailleurs peuvent s’exprimer et partager des ressentis, des émotions ou des pensées et discuter de questions communes (Bouville, 2005). Il est important de distinguer cette activité d’une thérapie de groupe. Dans le cas de notre recherche, ceux-ci avaient lieu une fois par mois durant deux heures (huit rencontres), sur le lieu de travail. Il est important, pour favoriser l’expression libre dans le cadre de ces activités de favoriser un climat « sécuritaire » pour la parole en s’assurant que les individus adoptent une attitude de non-jugement et que les informations discutées dans les groupes de parole demeurent confidentielles. Dans le cas de notre recherche, un animateur, ayant une formation en psychologie, s’assurait que ces éléments soient respectés. Au regard de nos résultats, il est possible de percevoir plusieurs avantages pour ce type d’activité, autant pour le bien-être que le développement professionnel, et ce, au niveau individuel, interpersonnel et organisationnel.

En ce qui concerne le bien-être au travail et le développement professionnel au niveau individuel, les enseignants ont perçu le groupe comme un élément positif de leur environnement de travail; ils pouvaient partager et échanger sur des enjeux et des défis vécus au quotidien avec d’autres enseignants qui vivaient des situations à la fois similaires et différentes. Les membres du groupe pouvaient donc apporter un autre éclairage sur les thèmes abordés. Pour certains, cela leur a permis de se remettre en question et de trouver des façons d’améliorer des aspects de leur travail. Donc, au regard du bien-être au travail et du développement professionnel, le groupe de parole leur permettait de se libérer des tensions qu’ils vivaient au quotidien, mais aussi de s’engager dans une démarche de développement professionnel et personnel en questionnant leurs pratiques et en trouvant des solutions pour réaliser les changements nécessaires.

Dans une perspective interpersonnelle, les individus ont pu sympathiser avec des enseignants qui vivaient des situations similaires à la leur et identifier des participants qu’ils pourraient solliciter en cas de problème. Les groupes leur ont également permis de discerner si les enjeux vécus étaient de nature individuelle ou collective. En ce sens, à la fin, les enseignants ont demandé à l’animateur de partager certains de leurs constats avec l’organisation.

Finalement, au niveau organisationnel, les enseignants étaient reconnaissants que l’école leur offre cet espace. Aussi, en ayant pris le temps d’échanger et de clarifier leurs besoins, l’école a donc pu mieux comprendre comment soutenir ses enseignants et, d’une certaine façon, favoriser le développement professionnel et leur bien-être au travail.

Caterina Mamprin termine un doctorat sous la direction de Garine Papazian-Zohrabian et est chargée de cours à l’Université de Montréal. Elle détient un baccalauréat en psychologie et une maîtrise en orthopédagogie. Ses intérêts de recherche portent principalement sur le soutien social sur le bien-être au travail chez les enseignants.

Bibliographie

Bouville, J.-M. (2005). Pourquoi tant de groupes de parole ? Dans D. Bass & H. De Gaevel (dir.), Au fil de la parole, des groupes pour le dire (p. 75). Saint-Agne, France: Eres.

Diener, E., Emmons, R. A., Larsen, R. J. et Griffin, S. (1985). The satisfaction with life scale. Journal of Personality Assessment, 49(1), 71-75. doi: 10.1207/s15327752jpa4901_13

Waterman, A. S. et Kroger, J. (1993). Finding something to do or someone to be: A eudaimonist perspective on identity formation. Dans J. Kroger (dir.), Discussions on ego identity (p. 147-167). Mahwah, New Jersey: Psychology Press.

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La présence attentive comme piste d’intervention pour favoriser une meilleure connaissance de soi en contexte de choix de carrière

Par Gabrielle Beaupré (Cannexus21 – Lauréat du prix GSEP)

Faire un choix de carrière n’a jamais été aussi complexe, notamment en raison de l’éclatement du marché du travail connu dans les dernières années (Baruch et Altman, 2016). Alors que les caractéristiques du travail ont énormément évolué, l’option traditionnelle d’une seule carrière au sein d’une entreprise n’est plus la norme (Sullivan et Baruch, 2009). L’orientation professionnelle apparaît maintenant comme un processus continu tout au long de la vie, alors que l’individu évolue en interaction avec le marché du travail. Plus que jamais, il est essentiel pour les gens de bien se connaître, afin qu’ils puissent faire des choix de vie satisfaisants.

Alors que certains étudiants ont une idée claire et précise de leurs aspirations personnelles et professionnelles, d’autres n’ont pas le même sentiment, ce qui peut générer de l’anxiété et de la détresse émotionnelle (Buyukgoze-Kavas, 2016). Selon les résultats d’une enquête pancanadienne, les questionnements de carrière sont les plus difficiles à gérer selon les étudiants universitaires (ACHA, 2019). À cela s’ajoutent les problématiques inquiétantes liées au bien-être, alors qu’un étudiant sur cinq rapporte un niveau de détresse psychologique élevé (UEQ, 2019).

Plusieurs chercheurs dénotent que les gens sont généralement peu conscients de ce qui est important pour eux (Sheldon, 2014), ce qui pourrait expliquer l’ampleur des difficultés vécues par les étudiants. En effet, il n’est pas rare que les indidivus s’engagent dans des choix sans savoir pourquoi, ou pour des raisons qui ne reflètent pas leurs propres valeurs, ce qui peut nuire au bien-être (Koestner et al., 2008). Selon la théorie de l’autodétermination (Deci et Ryan, 2000), une personne motivée pour des raisons autonomes poursuivra un objectif par intérêt, par conviction ou selon ses valeurs personnelles, ce qui favorise son bien-être (Koestner et al. 2008). Or, une personne motivée pour des raisons contrôlées poursuivra un objectif pour éviter la culpabilité, ou principalement pour obtenir de la reconnaissance et des récompenses (Deci et Ryan, 2000), ce qui nuit à son bien-être (Koestner et al. 2002). Par exemple, il a été démontré que choisir un programme d’études pour des motivations contrôlées peut mener à une plus grande détresse psychologique, de moins bons résultats académiques, ainsi qu’un plus grand risque de décrochage scolaire (Taylor et al., 2014).

Compte tenu des difficultés d’orientation professionnelle éprouvées par les étudiants, il est essentiel de se questionner sur des interventions qui leur permettraient de mieux se connaître, afin qu’ils puissent se fixer des objectifs de carrière porteurs de sens. Le développement de la présence attentive apparaît comme une piste d’intervention intéressante, puisqu’elle permet à l’individu de reconnaître avec clarté ses besoins, ses intérêts et ses valeurs (Deci et al., 2015). La présence attentive est définie comme un état de conscience dans lequel une personne dirige délibérément son attention vers son expérience interne et externe du moment présent, avec ouverture et sans jugement (Kabat-Zinn, 2003). Il s’agit d’une habileté qui peut se développer avec de la pratique, que ce soit par des exercices ponctuels ou des programmes d’intervention (Grégoire, Lachance et Richer, 2016). Au cours des dernières années, plusieurs études ont démontré les bienfaits de ces interventions pour favoriser le bien-être d’étudiants universitaires (Grégoire, Bouffard et Vezeau, 2012). Or, peu d’études se sont penchées sur les effets de la présence attentive sur la connaissance de soi, dans un contexte de choix de carrière.

Une méthodologique expérimentale longitudinale est envisagée afin de développer des interventions permettant aux étudiants universitaires de mieux se connaître et de se fixer des objectifs de carrière correspondant à leurs réelles valeurs, favorisant ainsi leur bien-être. Nous proposons de faire plusieurs communications écrites afin de présenter les résultats de ce projet.

Gabrielle Beaupré, M.A., c.o, est étudiante au doctorat en éducation à l’UQAM. Elle s’intéresse à la présence attentive, à la motivation envers les buts de carrière et au bien- être auprès des étudiants universitaires. Son projet doctoral est financé par les Fonds de Recherche du Québec Société et Culture. Elle pratique également à titre de conseillère d’orientation et elle a obtenu en 2018 le Prix Wilfrid-Éthier de l’Ordre des conseillers et conseillères d’orientation du Québec.

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Les défis et enjeux pour les nouveaux enseignants en éducation

Par Geneviève Carpentier (Cannexus20 – Lauréat du prix GSEP)

Les nouveaux professionnels de l’éducation ressentent un grand nombre de besoins de soutien durant la période d’insertion professionnelle.  Cette période de la vie professionnelle est particulièrement fertile pour les troubles psychologiques, l’épuisement et les remises en question qui peuvent mener à l’abandon de la profession (Auclair Tourigny, 2017).

Des mesures de soutien à l’insertion professionnelle ont donc été progressivement adoptées à plusieurs endroits dans le monde. Ce sont des moyens qui permettent de soutenir les enseignants débutants qui vivent de nombreuses difficultés, de favoriser leur bienêtre, d’accroitre la rétention dans la profession et d’améliorer l’enseignement et la réussite éducative des élèves (Kutsyruba et Walker, 2017).

Le soutien octroyé aux enseignants novices doit être adapté à leurs besoins de soutien afin de contrer les difficultés rencontrées au cours des premières années dans la profession (Kidd, Brown et Fitzallen, 2015). Pour y parvenir, l’Organisation de coopération et de développement économique (2012) souligne l’importance de considérer les différents domaines de besoins de soutien et de proposer du soutien en lien avec ceux-ci. Bien que des typologies sur les besoins de soutien des enseignants débutants existent, elles ne sont pas actualisées, celles qui existent date de quelques années et correspondent moins à la réalité de la profession qui n’a cessé de se complexifier et de s’alourdir (Tardif, 2013).

Notre recension d’écrits permet de mettre en lumière que très peu de recherches empiriques existent concernant les types de besoins de soutien ressentis par les enseignants débutants, la concordance entre les types de besoins de soutien et la perception qu’ils ont du soutien reçu et les mesures de soutien les plus aidantes. En effet, certains écrits à propos des besoins de soutien des enseignants (Auclair Tourigny, 2017) et des mesures de soutien octroyées (Kutsyruba et Walker, 2017) ont été trouvés, mais pas d’études sur la concordance entre les deux. Étant donné que la mise en place de mesures de soutien est onéreuse (Ingersoll, 2012) et qu’il importe que les enseignants débutants soient épanouis et compétents (Perez-Roux et Lanéelle, 2018), il est important que le soutien offert aux nouveaux enseignants corresponde aux types de besoins de soutien ressentis par ces derniers. Il est également primordial que les mesures de soutien offertes aux recrues soient aidantes. Devant ces constats, la question suivante est posée : Quels sont les types de besoins de soutien ressentis par les enseignants débutants québécois et en quoi les mesures de soutien offertes y répondent-elles et sont-elles aidantes ?

Cette recherche reprend une problématique connue de la communauté scientifique et propose de la traiter différemment pour faire avancer la recherche sur l’insertion professionnelle des enseignants. Ainsi, une méthodologie ambitieuse a permis de faire ressortir des résultats inédits et porteurs de sens. Enfin, cette étude permet d’ouvrir vers de nouvelles pistes de recherche et des pistes de réflexions et d’actions pour l’implantation de programmes d’insertion professionnelle complets et pertinents au regard des types de besoins de soutien des enseignants débutants.

Nous proposons donc de faire plusieurs courts textes afin de présenter les résultats de cette étude.

Geneviève Carpentier est une étudiante à l’Université de Sherbrooke où elle complète un doctorat à la faculté des sciences de l’éducation. En plus d’être chargée de cours dans différentes universités et professionnelle de recherche, elle est également rédactrice en chef de la revue professionnelle Vivre le primaire et assistante à la rédaction à la Revue des sciences de l’éducation.

Références

Auclair Tourigny, M. (2017). Besoins de soutien des enseignants du primaire québécois : analyse thématique de leurs perceptions en vue d’offrir des pistes d’amélioration pour quatre aspects de leur pratique professionnelle. Thèse de doctorat en psychologie, Faculté des lettres et sciences humaines, Université de Sherbrooke, Sherbrooke.

Ingersoll, R.-M. (2012). Beginning teacher induction. What the data tell us. Phi delta kappan, 93(8), 47-51.

Kidd, L., Brown, N. et Fitzallen, N. (2015). Beginning teachers’ perception or their induction into the teaching profession. Australian journal of teacher education, 40(3), 154-173.

Kutsyuruba, B., et Walker, K. D. (2017). The bliss and blisters of early career teaching: a pan-Canadian perspective. Burlington, Ontarion: Word & Deed Publishing.

Organisation de coopération et de développement économique (2012). L’enseignement à la loupe. Enseignants débutants : quel soutien leur apporter ? Paris, France : OCDE.

Perez-Roux, T. et Lanéelle, X. (2018). Les enseignants débutants du secondaire : expérience, tensions, épreuves. Dans D. Adé et T. Piot (dir.), La formation entre universitarisation et professionnalisation : tensions et perspectives dans des métiers de l’interaction humaine (p. 21-43). Mont-Saint-Aignan, France : Presses universitaires de Rouen et du Havre.

Tardif, M. (2013). La condition enseignante au Québec. Du XIXe au XXIe siècle. Une histoire cousue de fils rouges : précarité, injustice et déclin de l’école publique. Québec, Canada : Presses de l’Université Laval.

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Chaque employé compte : L’importance de la reconnaissance en milieu de travail

Par Anaïs Thibault Landry

Au cours des dernières années, l’évolution du marché du travail a révélé une quête collective pour une plus grande reconnaissance de la contribution des employées dans leur milieu de travail. Les gens réfléchissent désormais énormément avant de décider où et pour qui travailler, et sont à la recherche constante d’emplois et d’organisations correspondant à leurs valeurs et aspirations. Dans cette quête de sens et de reconnaissance, ils se soucient de travailler pour des organisations pour lesquelles ils peuvent réellement contribuer et où leur implication aura une réelle importance. Ils recherchent des emplois dans lesquels ils éprouvent un véritable sentiment d’appartenance avec leurs collègues et leurs superviseurs et où ils peuvent être reconnus pour leurs efforts. Ainsi, de nos jours, les travailleurs recherchent davantage qu’un simple salaire ; ils souhaitent occuper un emploi stimulant leur permettant de développer leurs compétences et de se sentir appréciés à leur juste valeur. En outre, bien que la masse salariale représente plus d’un cinquième du budget annuel des organisations, plus de 80 % des employés rapportent ne pas se sentir suffisamment appréciés ou valorisés au travail et 40 % affirment qu’ils travailleraient plus fort si leur contribution était davantage reconnue. En somme, les employés veulent de plus en plus se sentir appréciés pour leurs efforts et contributions.

La concurrence pour embaucher et garder son bassin de talents devient donc une préoccupation croissante pour les organisations. Cette apparente « soif » de reconnaissance a par conséquent mené les organisations à rechercher, développer et tester divers moyens novateurs et efficaces pour générer et favoriser un sentiment de reconnaissance chez leurs employés. Dans cette optique, une récente tendance en organisations est entre autres d’implanter différents programmes de récompenses monétaires et non-monétaires, ainsi que de lancer diverses initiatives en ressources humaines, telles que des plateformes sociales intra-organisationnelles basées sur les technologies de l’information émergentes et inspirées des médias sociaux, visant à favoriser la communication et à augmenter la reconnaissance en milieu de travail.

Ceci dit, malgré l’enthousiasme généré, l’implantation de tels programmes de récompenses et de plateformes sociales intra-organisationnelles coûte très cher aux organisations. De plus, l’efficacité réelle de ces initiatives RH (Ressources Humaines) reste à documenter. Ceci inclut de répondre à des questions comme : En quoi le sentiment de reconnaissance contribue-t-il à encourager la motivation, le bien-être et l’engagement des employés? Quels types de comportements de la part des gestionnaires mènent spécifiquement les employés à se sentir plus reconnus au travail? Existe-t-il des comportements spécifiques émis par les pairs et/ou les gestionnaires qui contribuent plus, ou moins, de manière importante au vécu des employés?

Les résultats de la recherche seront présentés dans le but de mieux comprendre ceux qui contribuent au développement et à l’évolution du vécu des employés en milieu de travail, et plus précisément, ce qui contribue à encourager la motivation, l’engagement et le bien-être des employés au fil du temps, et ainsi favoriser les sentiments de reconnaissance et de satisfaction au travail. Les constats présentés permettront non seulement d’offrir des pistes de réflexions pour réviser et améliorer les programmes de reconnaissance et de récompenses actuellement offerts en entreprise, mais informeront également les employeurs sur les meilleures pratiques en rémunération, et ce dans le but ultime d’avoir une main-d’œuvre sainement motivée et positivement engagée au travail. Ainsi, cette présentation mettra de l’avant des recommandations pratiques pour les organisations concernant les pratiques à adopter afin de créer une culture de reconnaissance en milieu de travail. Ceci est d’autant plus primordial considérant l’investissement colossale non seulement financier, mais également en temps et en ressources, que peut représenter les programmes de récompenses et de reconnaissance en organisations.

Anaïs Thibault Landry a son doctorat en psychologie industrielle et organisationnelle de l’UQAM. Basée sur la théorie de l’auto-détermination, sa recherche vise à mieux comprendre le lien entre la rémunération (incluant diverses formes de récompenses monétaires et non-monétaires), la motivation, la santé psychologique et la performance des employés. Anaïs travaille également comme consultante en analytique, formation, sélection et validation d’outils.

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L’eurocentrisme comme grille d’analyse de sa pratique professionnelle

Par David Baril

Pour les intervenants et intervenantes en développement de carrière, l’autoréflexion contribue sans contredit au maintien d’une pratique professionnelle saine. Si cette pratique renvoie généralement à une analyse pluridimensionnelle de l’expérience subjective, elle porte rarement sur l’influence du social dans notre manière d’intervenir. Pourtant, notre vision du monde et du développement de carrière, laquelle est issue d’une société ayant sa propre culture et sa propre histoire, a un effet certain sur notre manière de concevoir les problèmes d’orientation et d’y répondre. Pour la chercheuse Lisa Flores, l’intervention en développement de carrière en Amérique du Nord s’est construite historiquement autour de six grands principes rattachés à ce qu’elle nomme l’eurocentrisme. Si ces principes étaient appropriés dans une économie donnée (fordisme) et auprès d’une population donnée (caucasiens de la classe moyenne), les mobiliser aujourd’hui peut induire des biais dans notre manière d’intervenir. En voici une brève synthèse.

L’universalité

Il s’agit de cette idée selon laquelle les théories et les interventions en développement de carrière s’appliquent de manière universelle aux différents individus, indépendamment de leur genre, de leur nationalité ou de leur classe sociale. Ce principe suppose aussi que tous les groupes sociaux ont la même conception de la carrière.

L’individualisme

Selon ce principe, l’individu est entièrement maître de ses propres choix et il façonne sa destinée. L’accent est mis sur l’individu (intérêts, valeurs, aptitudes), mais très peu sur son contexte de vie et son entourage. Par exemple, l’adolescent doit en venir à faire un choix de carrière de manière autonome, libéré de l’influence familiale.

L’aisance financière

On suppose que les individus ont les moyens financiers pour poursuivre leur développement de carrière, en oubliant que derrière chaque choix de carrière se cache un coût financier. Pour les individus en situation de précarité, l’impossibilité de réaliser un choix de carrière en concordance avec leurs intérêts, valeurs et aptitudes peut constituer une forme de violence symbolique.

La méritocratie

Ce principe repose sur la croyance que les emplois les plus prestigieux et les mieux rémunérés dépendent directement du mérite et de l’effort, sans tenir compte du fait que de nombreux facteurs non méritocratiques œuvrent comme des leviers et des freins au développement de carrière (ex. : discrimination, scolarité et revenus des parents, situation de handicap).

La centralité du travail

D’après ce principe, les individus développent leur identité et s’actualisent essentiellement par le travail. Pourtant, que ce soit par choix ou par contrainte, le travail constitue pour plusieurs un élément en périphérie de leur identité. Pensons aux individus qui redoutent le travail en raison d’expériences négatives fortes (ex. : racisme, sexisme, homophobie, classisme).

La carrière comme processus linéaire, progressif et rationnel

Ce principe se fonde sur les vestiges des théories de carrière dites développementales. La carrière est conçue comme un processus linéaire et progressif, ponctué d’étapes prévisibles qui doivent être résolues de manière rationnelle. Or, de nos jours, la plus grande fluidité du marché de l’emploi effrite cet idéal d’une carrière teintée par la linéarité et la progressivité. Au contraire, celle-ci est de moins en moins accessible au plus grand nombre. Les changements de carrière, tout comme les retours en formation, tendent à s’accentuer tout au long de la vie.

David Baril, M.Sc., c.o., est actuellement candidat au doctorat en éducation de l’Université de Sherbrooke. Il y enseigne depuis 2016 le cours Phénomènes sociaux et orientation. Ses intérêts de recherche portent sur les normes sociales, les rapports au travail et les adultes peu scolarisés. En 2013, il décroche le Prix Wilfrid-Éthier de l’Ordre des conseillers et conseillères d’orientation du Québec.

Pour une lecture approfondie de l’eurocentrisme

Flores, L. Y. (2014). Empowering life choices : Career counseling in the contexts of race and class. In N. C. Gysbers, M. J. Heppner et J. A. Johnston (dir.), Career counseling : Holism, diversity, and strengths (p. 51-77). Alexandria, VA : American Counseling Association.

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Les jeux vidéo : S’en faire des alliés en orientation

Par Mathieu Pinault (Cannexus12 – Lauréat du prix GSEP) 

Quel conseiller, surtout parmi ceux travaillant avec des jeunes adultes, ne s’est jamais retrouvé devant une personne passionnée de jeux vidéos en se disant que cela allait rendre la démarche d’orientation plus difficile? En effet, dans une société où le travail et la productivité sont des valeurs bien ancrées (Mercure et Vultur, 2010), il vient un stade où celui qui perd son temps à jouer à des jeux vidéos est perçu comme un adulte demeuré prisonnier du monde imaginaire de l’enfance, un « attardé » pour reprendre les propos peu élogieux de certains auteurs (Lafrance, 2006). Dans une telle situation, les conseillers passent souvent très rapidement à un autre sujet de discussion et se privent du coup d’une belle occasion de mieux connaître qui ils veulent aider. Et s’ils apprenaient à s’en servir comme un outil de connaissance de soi? 

Une erreur assez fréquente commise par ceux qui s’y connaissent moins en jeux vidéo est de les mettre tous dans le même panier. Or, il peut être extrêmement intéressant de savoir quels sont les types de jeux que préfère la personne aidée. À cet effet, plusieurs classifications des jeux vidéo ont été effectuées, mais celle de Lafrance (2006) se montre particulièrement intéressante puisqu’elle se base sur les principales habiletés employées par le joueur lors de l’activité ludique1. Il y a les jeux physiques ou d’action, qui sollicitent principalement les habiletés manuelles, la dextérité et les réflexes. Ce sont les jeux de sports et les jeux de tirs à la première personne (First Person Shooter). Ensuite, il y a les jeux intelligents, c’est-à-dire ceux qui exploitent les aptitudes de résolution de problèmes et dans lesquels il y a plusieurs énigmes à résoudre. Finalement, il y a les jeux de rôles, de simulation et de stratégie qui demande d’être capable de se mettre dans la peau d’un personnage et de le faire évoluer dans une histoire. Par exemple, toute la famille des Sims, où le principal but du jeu est de faire vivre son avatar (le faire dormir, manger, travailler, se divertir, socialiser, etc.), représente l’exemple typique de ce dernier groupe de jeu. Le groupe de jeux favori de la personne qui désire s’orienter peut en dire long sur le type d’activités qu’elle préfère en général, voire sur les métiers qu’elle pourrait potentiellement aimer : un emploi qui bouge constamment pour l’amateur de jeux physiques ou d’action; un travail qui comporte beaucoup de résolution de problèmes pour celui qui adore les jeux intelligents; un métier où il faut être capable de se mettre dans la peau des autres et être empathiques pour l’amateur de jeux de rôles, de simulation et de stratégie. 

Évidemment, l’orientation d’un jeune ne doit, en aucun temps, se baser uniquement sur les jeux vidéo que ce dernier affectionne particulièrement. Par contre, ceux-ci peuvent représenter une porte d’entrée intéressante pour ouvrir le dialogue avec un amateur de jeux vidéo qui n’a pas vraiment d’expériences de travail significatives. Bref, au lieu de considérer ce divertissement comme une perte de temps et de ne pas pousser l’investigation plus loin, les conseillers d’orientation auraient avantage à poser quelques questions simples pour lui donner un sens. À quels jeux joues-tu? Qu’est-ce que tu y apprécies particulièrement? Quelles habiletés cette pratique développe-t-elle chez toi? Sinon, c’est une expérience riche en informations quant à la connaissance de soi qui se trouve mise de côté… 

1 Avec les progrès technologiques, les producteurs peuvent de plus en plus concevoir des jeux vidéo qui amalgament les caractéristiques des trois différents groupes proposés par Lafrance (2006). Cependant, il y a généralement un aspect du jeu qui prédomine sur les autres. Donc, le classement demeure tout de même possible. 

Mathieu Pinault, c.o. est doctorant en sciences de l’orientation à l’Université Laval. Membre-étudiant au CRIEVAT, ses recherches portent sur la construction identitaire dans les jeux de rôles en ligne massivement multijoueurs chez les jeunes adultes vivant des difficultés d’insertion socio-professionnelle. Pour plus d’informations sur le sujet, vous pouvez communiquer avec lui au: mathieu.pinault.1@ulaval.ca. 

Référence: 

Lafrance, J.-P. (2006). Les jeux vidéo : à la recherche d’un monde meilleur, Paris, Lavoisier . 

Mercure, D., & Vultur, M. (2010). La signification du travail : Nouveau modèle productif et ethos du travail au Québec, Québec, Presses de l’Université Laval. 

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