Automne 2022

La prise de décision de carrière en trois dimensions

Examiner le rôle des dimensions rationnelle, intuitive et émotionnelle dans la prise de décision concernant la carrière

Hélène Brisebois 

Photo de l'auteurLe processus de prise de décision de carrière est complexe. Après tout, il s’agit pour une personne de choisir une carrière qui va occuper une importante partie de sa vie. Si certains individus se fient surtout à leur rationalité, d’autres se laissent d’abord inspirer par leur intuition, tandis que d’autres encore se basent d’abord sur leurs émotions.

De nombreux chercheurs s’entendent en effet pour dire qu’il est important de tenir compte de la dimension rationnelle et consciente, de la dimension intuitive et inconsciente, ainsi que des émotions lors de la prise de décision de carrière (Baumgardner, 1977 ; Cournoyer et Lachance, 2018 ; Falardeau, 2007 ; Gelatt, 1989 ; Krieshok, 1998 ; Krieshok et al., 2009 ; Krieshok et al., 2011 ; Lecomte et Savard, 2008, 2009 ; Motl et al., 2018).

Le présent article concerne donc la combinaison de ces trois dimensions dans la prise de décision de carrière.

La dimension rationnelle et consciente

Lorsqu’il est question d’effectuer une prise de décision, plusieurs personnes se reconnaîtront dans l’emploi d’une méthode rationnelle et analytique. De nombreux aspects sont d’ailleurs à prendre en considération lorsque l’on se projette à long terme : « Est-ce que les revenus qui découleront de mon choix de carrière seront suffisants pour la vie à laquelle j’aspire? Qu’en est-il de la stabilité d’emploi? Quels sont les prérequis me permettant de m’engager dans cette direction? Combien de temps d’études cela requiert-il? Quels en seront les coûts? Quels sont les risques d’abandon de parcours étant donné ma réalité? ».

Une méthode rationnelle, logique et concrète de prise de décision de carrière amène ainsi la personne à dresser une correspondance entre ses caractéristiques personnelles et celles de la carrière. Cela peut se faire à l’aide de la communication verbale, du travail d’analyse rationnelle et des tests psychométriques (Krieshok, 1998 ; Krieshok et al., 2009 ; Krieshok et al., 2011 ; Motl et al., 2018). Toutefois, cette méthode ne tient pas compte des émotions et de la dimension intuitive.

Dimension intuitive et inconsciente

L’intuition et l’inconscient échappent à la conscience et au rationnel. Une prise de décision basée sur la dimension intuitive et inconsciente invite la personne à choisir une carrière significative qui mène à la réalisation de soi. Par ailleurs, le concept de flow (Collin et al., 2022) peut s’intégrer à cette dimension. Bref, l’intuition faciliterait la prise de décision, ce que soulignent plusieurs auteurs (Cournoyer et Lachance, 2018 ; Krieshok, 1998 ; Krieshok et al., 2009 ; Krieshok et al., 2011 ; Motl et al., 2018).

« Une prise de décision basée sur la dimension intuitive et inconsciente invite la personne à choisir une carrière significative qui mène à la réalisation de soi. »

Dans ce contexte, on peut se demander comment entrer en contact avec l’intuition et l’inconscient. Pour ce faire, Motl et al. (2018) suggèrent «  l’écriture dans un journal personnel, l’imagerie guidée et le counseling  » (p. 618).

Les émotions

Il est à noter que les émotions, qui contribuent également à la prise de décision, font partie de la dimension intuitive et inconsciente pour plusieurs auteurs. Selon Falardeau (2007), Prévost (2021) et Young et al. (2015), le contact avec les émotions faciliterait le processus de prise de décision.

Par exemple, plus l’émotion est intense, plus l’objet de cette émotion aurait de l’importance pour la personne, ce qui mettrait en lumière les éléments dont il faut tenir compte dans la prise de décision (Prévost, 2021). Les émotions positives favoriseraient la mobilisation et la compréhension des émotions faciliterait le processus de choix de carrière (Prévost, 2021).

Comment faciliter le contact avec les émotions dans ce cadre? Prévost (2021) suggère, entre autres, un travail d’exploration et de compréhension des émotions.

Interventions combinant les trois dimensions

En somme, la rationalité, l’intuition et les émotions sont trois dimensions pouvant de concert servir à faciliter la prise de décision de carrière. Toutefois, la question que ceci soulève est la suivante : comment intervenir afin de favoriser la combinaison de ces trois dimensions dans ce contexte? Selon mon étude, l’acte de création artistique et l’art-thérapie pourraient ouvrir une voie permettant de mettre ces trois dimensions en jeu (Brisebois, 2021). Il est cependant important de souligner que l’art-thérapie est une pratique particulière aux art-thérapeutes.

En ce qui concerne les approches permettant d’inclure ces trois dimensions dans le processus de prise de décision de carrière, j’aimerais aussi mentionner le modèle PIC (Prescreening, In-depth exploration et Choice) de Gati et Asher (2001), car celui-ci tient compte des méthodes rationnelles et intuitives de prise de décision (Gati et Kulcsar, 2021).

Une autre façon d’utiliser ces trois dimensions pour faciliter la prise de décision est de recourir à des activités qui permettent l’exploration de carrière et l’expérience de la prise de décision de carrière. C’est ce que suggèrent Krieshok et al. (2009) dans leur modèle trilatéral de prise de décision de carrière combinant le conscient, l’inconscient et l’engagement. Dans ce modèle, le système inconscient comprend l’intuition et les émotions, alors que l’engagement, qui relève de l’expérience de la prise de décision de carrière, comprend l’exploration de carrière et l’enrichissement.

Le bénévolat, le mentorat, les rencontres d’information et les expériences de travail sont aussi des expériences qui faciliteraient l’accès à l’engagement et, ainsi, à la prise de décision de carrière.

Conclusion

Bref, le rationnel permettrait de dresser une correspondance entre ses caractéristiques personnelles et celles de la carrière tout en tenant compte de sa réalité, l’intuition donnerait une direction vers la réalisation de soi et les émotions permettraient, entre autres, de mettre en lumière ce qui est important pour soi. En somme, les meilleures décisions sont prises lorsque l’on prend en considération ces trois parties de soi : le rationnel, l’intuition et les émotions.

Hélène Brisebois est conseillère d’orientation. Elle est titulaire d’une maîtrise en orientation de l’Université de Sherbrooke et d’un baccalauréat en psychologie de l’Université Concordia. Elle a plusieurs années d’expérience en tant qu’aide pédagogique au collégial et conseillère en emploi. De plus, elle a rédigé plusieurs articles professionnels en orientation et un mémoire qui traite de l’art-thérapie en orientation.

Sources supplémentaires

Lecomte, C. et Savard, R. (2008). Counseling de carrière : enjeu d’orientation et d’insertion professionnelle. [Recueil inédit]. Université de Sherbrooke, Faculté d’éducation.

Lecomte, C. et Savard, R. (2009). Counseling de carrière avec ses enjeux d’orientation, de réorientation, d’insertion, de réinsertion, d’adaptation et de réadaptation. [Recueil inédit]. Université de Sherbrooke, Faculté d’éducation.

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Young female volunteer with tablet squats in front of woman with sonAutomne 2022

La reconnaissance des acquis et des compétences (RAC) : une voie d’avenir dans le Québec post-pandémique

La RAC offrent des avantages aux individus, aux employeurs et aux établissements d’enseignement en cette période de perturbations du marché du travail

Emilie Côté

Photo de l'auteureLa pandémie de Covid-19 qui sévit depuis les deux dernières années a apporté son lot de bouleversements sur le marché du travail : fermetures temporaires, faillites d’entreprises, télétravail forcé, etc. Ceux-ci ont amené plusieurs personnes à repenser leur orientation professionnelle. En effet, une enquête réalisée au Canada en juin 2022 montre que 33 % des personnes sondées sont nouvellement en poste et 14 % songent à faire un changement d’emploi (même domaine ou non) au cours des 6 prochains mois.

De plus, la pénurie de main-d’œuvre qualifiée est considérée par 75 % des employeurs comme étant un défi et 78 % des entreprises sont plus susceptibles d’engager une personne possédant les bonnes compétences générales et lui offrir de la formation spécifique aux tâches à accomplir.

Toutes les compétences que ces travailleurs vont acquérir en milieu de travail ont une valeur. C’est là que la reconnaissance des acquis et des compétences (RAC) entre en jeu.

La reconnaissance des acquis et des compétences

Offerte dans tous les ordres d’enseignement, la RAC permet de faire reconnaître officiellement les apprentissages extrascolaires et expérientiels (emploi, bénévolat, formation non reconnue par le ministère, etc.) en fonction d’un programme d’études.

La RAC s’appuie sur trois principes :

  • Une personne a droit à la reconnaissance sociale de ses acquis; en contrepartie, il lui incombe de fournir la preuve de ses acquis.
  • Une personne n’a pas à réapprendre ce qu’elle sait déjà; ce qui importe dans la reconnaissance des acquis, c’est ce qu’une personne a appris et non les lieux, circonstances ou méthodes d’apprentissage.
  • Tout système de reconnaissance des acquis doit viser la transparence.

La démarche est personnalisée; les expériences et les connaissances sont questionnées pour constituer un bilan ou chaque compétence est marquée à évaluer ou à acquérir (en partie ou en entier). Par la suite, le candidat peut se contenter de ce bilan ou choisir de nous démontrer ses compétences (évaluation) et/ou d’acquérir ce qu’il manque pour être prêt à l’évaluation. Il n’y a pas d’obligation à rejoindre un groupe de formation initiale, ce qui rend le processus flexible et accessible. Différentes options d’acquisition de ces compétences sont proposées aux candidats (ex. autoapprentissage, formation sur mesure de soir ou fin de semaine, lectures, vidéos, pairage avec un travailleur formé, etc.).

En formation professionnelle, détenir les préalables scolaires n’est pas un critère d’admissibilité en RAC, tous peuvent avoir accès au service, tant qu’ils possèdent une expérience pertinente.

Depuis peu, via l’éducation des adultes, il est possible de faire de la reconnaissance des acquis dans les métiers semi-spécialisés (RAC-FMS). Un métier semi-spécialisé est un travail manuel dont les tâches concrètes, répétitives et peu complexes sont effectuées pour le compte d’un employeur. Son apprentissage se fait dans un lieu de travail. (ex. commis fruits et légumes, manutentionnaire, caissière, etc.) Ces métiers reconnus, par le ministère de l’Éducation du Québec, sont présents dans presque tous les domaines et permettent l’émission d’un certificat de formation en métier semi-spécialisé, suite à des observations en milieu de travail et de la formation (s’il y a lieu). Les possibilités de reconnaissance et de certification sont donc multipliées.

L’attestation remise à la fin du processus (relevé des apprentissages, diplôme, etc.) a la même valeur que celle émise après une formation initiale, puisque chacune des compétences est évaluée de manière rigoureuse. Contrairement à ce qui est parfois perçu, un diplôme obtenu via la RAC n’est pas un diplôme à rabais.

Finalement, les coûts de la reconnaissance des acquis sont nettement moindres que ceux reliés à une formation initiale. En effet, en formation professionnelle et à l’éducation des adultes, la démarche est gratuite, pour les autres ordres d’enseignement, des frais peuvent s’appliquer.

Avantages

Pour le travailleur

En plus de la fierté ressentie par une reconnaissance de ses compétences et de l’officialisation de ses connaissances, la démarche permet d’accroître ses qualifications, ce qui donne accès à une plus grande mobilité professionnelle, interne ou externe.

Pour l’employeur

Investir dans ses employés actuels est une marque de reconnaissance importante qui peut faire la différence lorsqu’on parle d’attractivité et de rétention du personnel. Considérant que 42 % des employés sont en manque de reconnaissance, que le taux de roulement est 33 % moins élevé que la moyenne chez les entreprises qui ont reçu le titre Employeur de choix, et que l’évaluation du coût de remplacement d’un employé varie entre 50 % et 200 % du salaire annuel de l’employé, participer activement aux démarches RAC peut être un atout important pour l’employeur.

De plus, une démarche RAC permet à l’employeur d’obtenir un portrait des compétences présentes dans son entreprise, de s’assurer du niveau de maîtrise de ces compétences et d’élaborer un plan de formation pour son équipe.

Pour la société

Les avantages peuvent même s’extrapoler jusqu’à la société entière. Pour plusieurs, le diplôme obtenu via la RAC est une première réussite en lien avec le milieu scolaire, ce qui permet de renouer avec ce système où ils peuvent avoir vécu de mauvaises expériences. La RAC peut contribuer à une augmentation de l’estime de soi chez les individus, de laquelle peut découler une amélioration de la santé mentale et physique, donc moins de coûts pour la société. Du même coup, la RAC permet d’augmenter le niveau de qualification et de certification de la population, donc une amélioration potentielle de la qualité de vie des individus et leur famille.

La RAC comme voie d’avenir

Avec sa grande flexibilité, la démarche RAC est conciliable avec un emploi. Dans la réalité du marché du travail actuel et l’augmentation du coût de la vie, les employeurs, comme les travailleurs, ne peuvent pas toujours se permettre un retour aux études à temps complet.

La pénurie de main-d’œuvre doit être vue comme une occasion de changer les pratiques des entreprises et de les améliorer. Le marché du travail pourrait bénéficier d’une association plus grande avec le milieu scolaire que ce soit via les services aux entreprises et leurs formations sur mesure ou via la reconnaissance des acquis et des compétences.

De leur côté, les milieux scolaires de tout ordre auraient avantage à investir dans leur service de reconnaissance des acquis et des compétences pour promouvoir cette offre de service méconnue de la population générale et se préparer à l’affluence de nouvelles demandes en ce sens.   

Emilie Côté est conseillère d’orientation. Elle occupe présentement un poste de conseillère pédagogique en reconnaissance des acquis en formation professionnelle et à l’éducation des adultes au Centre de services scolaire des Hauts-Cantons. Elle croit que l’intelligence n’est pas mesurée en résultats scolaires et que l’école n’est qu’un moyen parmi tant d’autres pour faire des apprentissages.

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Tangle and untangle concept.Automne 2022

Comment mieux se réoriente dans un monde socio-économique en grande mutation?

La redéfinition de grandes lignes directrices (GLD) aiderait à identifier de manière plus intensive les motivations intrinsèques des demandeur d’emploi

Danielle Riverin-Simard et Yanik Simard

Author headshotsConstruire une nouvelle normalité de vie au travail et, surtout, revisiter son orientation professionnelle s’avèrent des conditions centrales de développement de carrière en cette période de grands bouleversements mondiaux. Depuis 2020, cette situation fait dire à plusieurs experts que les personnes sont notamment soumises à des chocs. Il s’agit d’événements perturbateurs causés par des facteurs hors de leur contrôle et qui déclenchent des processus de réflexion visant à donner un sens à ces événements. Ces processus sont complexes. Ils provoquent des remises en question dans diverses sphères de vie. Les recherches identifient différents types de chocs, mais il y a une rareté sur la manière de négocier les processus mis en branle. Comment mieux proagir au regard de sa réorientation de carrière?

Un processus efficace serait de se préoccuper de l’ensemble des sphères d’activités, et ensuite, accorder une attention plus adéquate à cette réorientation. Les services de développement de carrière (SDC) peuvent considérablement assister la personne à procéder à une remise en question touchant divers domaines. La redéfinition de grandes lignes directrices (GLD) aiderait à identifier de manière plus intensive ses motivations intrinsèques. Son développement de carrière serait d’autant plus proactif, et ce, autant lors des périodes actives ou des retours sporadiques durant la retraite. Les GLD font référence à la façon dont les gens voient et abordent leur existence et y donnent un sens. Cette façon s’avère une force motrice essentielle à leurs choix et comportements d’autogestion dans les différentes sphères d’activités. Ces dernières intègrent notamment cinq dimensions qui se restructurent selon les mutations socioéconomiques.

  1. Les GLD au regard de sa vie au travail. Elles contribuent à la reconstruction du sens de cette vie. Elles servent de phares pour éclairer la route tout au long des transitions de carrière. Dans cette optique, l’emploi devient un moyen et non pas une fin en soi. Ce moyen est important, mais il ne constitue qu’une modalité parmi d’autres susceptible de refléter son identité professionnelle et de poursuivre son évolution. Ce sont plutôt les GLD de vie au travail qui révèlent à la fois les aspirations les plus profondes de la personne et annoncent le sens ultime recherché. Elles éclairent le type de lien que celle-ci entretient avec le milieu socioéconomique. Procéder à la reconnaissance de ces lignes s’avère évidemment une tâche essentielle au développement de carrière, surtout en plein cœur de périodes de turbulences.
  2. Les GLD liées à l’apport informel à l’organisation. Pour sa part, la participation formelle correspond au rôle explicite arrêté par les institutions (tâches officielles), les ordres professionnels ou les corps de métiers (actes ou tâches réservés). Quant à l’apport informel, il se caractérise par ces triples comportements : volontaires (non prescrits dans les tâches officielles), discrétionnaires (non sujets à l’obtention de récompenses formelles), imprédictibles (constamment nouveaux au sein d’une conjugaison particulière du moment de leur apparition, de leur nature et de leur modalité). Les SDC peuvent expressément aider la personne dans le choix de cet apport informel à l’organisation. Les GLD de cet apport devraient être assez flexibles pour affronter l’inconnu, mais suffisamment délimitées pour s’avérer des GLD. L’identification de ces dernières constitue un complément essentiel à un projet professionnel.
  3. Les GLD relatives au volontariat. Ce domaine revêt diverses terminologies comme le bénévolat et la participation communautaire. Il se subdivise généralement en deux : formel ou encadré (au sein d’associations structurées) ; informel ou spontané (soin des enfants, personnes âgées, amis, voisins). Il intègre les activités productives aux sens économique et social comme tout travail-emploi, car ces dernières contribuent à l’évolution de soi et de la collectivité. Dans cette perspective, les SDC peuvent considérablement aider l’adulte à redéployer ses GLD liées au volontariat. La reconnaissance de ces dernières est une source essentielle de développement de son identité communautaire et professionnelle et, ainsi, de sa carrière.
  4. Les GLD associées au loisir engagé. Elles sont très importantes à redéfinir dans un contexte socioéconomique en grande mutation. Le loisir engagé (différemment du loisir insouciant) renvoie à des occupations choisies pour leur côté agréable. Mais la sélection de ces activités est planifiée pour harmoniser ce côté amusant avec des objectifs de développement personnel ou d’évolution de la collectivité. Ce type de loisir se distingue du volontariat. Dans ce dernier cas, les passe-temps sont retenus prioritairement pour sa connotation humanitaire (apport à autrui ou à la société) et secondairement pour le développement personnel (répondre à ses intérêts propres). C’est l’inverse dans le loisir engagé. Il comprend des occupations choisies prioritairement pour allier à la fois le côté agréable et sa croissance vocationnelle et deuxièmement pour le bien-être ou l’amélioration de la communauté. En concevant le travail dans une perspective holiste intégrant les activités, rémunérées ou non, qui visent l’évolution de soi et de la collectivité, il faut y inclure le loisir engagé. Ce dernier s’avère ainsi une composante à part entière de la progression professionnelle. Et la redéfinition des GLD qui lui sont associées s’inscrit dans les priorités de l’individu et, dès lors, des SDC.
  5. Les GLD rattachées à la dimension existentielle. Ces dernières renvoient au sens continuellement reconstruit par l’adulte concernant l’ensemble des éléments de sa vie. Elles correspondent à sa vision du monde qui évolue incessamment au fil des ans, d’où l’importance de la réviser à différents moments marqués notamment par des chocs. La conception existentielle est une toile de fond primordiale au développement de carrière. Elle est constituée de savoirs d’expérience, tacites ou explicites. Les SDC peuvent amplement proposer des interventions qui permettent, en des mots simples et énoncés par la personne elle-même, de se donner sa propre représentation des choses, de formuler ses GLD relatives à cette dimension existentielle. Ces dernières l’aideraient à mieux saisir le sens de ses activités socioprofessionnelles et à se mobiliser davantage à poursuivre son développement de carrière au sein d’événements prévisibles et impondérables.

La redéfinition de ces cinq GLD peut se faire dans l’ordre où elles sont décrites, ou selon une séquence au choix. Cependant, les SDC devraient davantage faciliter l’expression du sens débouchant sur des GLD mobilisatrices relatives à divers domaines de vie. De cette manière, la personne pourrait mieux conscientiser la signification qu’elle donne à sa carrière. Elle s’investirait de façon plus intensive pour réaliser cette dernière au sein d’événements à la fois présumables et imprédictibles. Ainsi, parmi les interventions prioritaires proposées depuis les années 2020, la redéfinition des GLD serait plus que jamais nécessaire dans le développement professionnel. Cette redéfinition semble véritablement s’avérer un des processus clés qui contribuerait à une réorientation et une autogestion de carrière réussies.

Danielle Riverin-Simard est professeur émérite à l’Université Laval. Elle a publié plusieurs ouvrages (Étapes de vie au travail ; Carrières et classes sociales ; Transitions professionnelles ; Travail et personnalité ; Rôles clés dans la révolution du travail) et plus de 150 articles dans des revues arbitrées. Elle poursuit actuellement ses recherches dans ce domaine à titre de professeure associée. (www.fse.ulaval.ca/danielle.riverin-simard).

Yanik Simard, Ph.D. (philosophie) et Ph.D (psychopédagogie), est aussi détenteur d’une Maîtrise en administration. Il a plusieurs publications dans le domaine de l’éducation, dont celles portant sur les services d’accueil, de counseling et d’accompagnement des adultes (SARCA), la reconnaissance des acquis (RAC), l’efficacité de la formation postsecondaire à distance. Il a également signé des écrits en gestion de la santé.

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Burned matches on blue backgroundAutomne 2022

Oui, vos employés sont toujours épuisés. Voici des mesures à prendre pour les aider

Les solutions pour soutenir les travailleurs en difficulté ne doivent pas se limiter aux soins de soi

Jodi Tingling

Author headshotLe moins que l’on puisse dire, c’est que les dernières années ont été stressantes. Nous avons dû composer avec de nombreux défis : travailler en période de pandémie tout en gérant de multiples responsabilités, être témoins d’enjeux de justice sociale qui continuent de nuire aux groupes défavorisés et protester contre ces enjeux, et perdre des êtres chers. L’effet psychologique de ces facteurs de stress nous a mis à l’épreuve de nombreuses façons.

Pour la plupart des entreprises, les affaires reprennent leur cours normal. Cependant, selon l’Association canadienne pour la santé mentale, une personne sur quatre au Canada a eu recours à du soutien pour des problèmes de santé mentale et son niveau de détresse est semblable à celui du début de la pandémie. Cela suggère que la pandémie pourrait avoir des effets durables sur le bien-être individuel, nécessitant un soutien continu en matière de santé mentale.

Aux employés qui sont stressés ou épuisés, les employeurs conseillent typiquement de prendre soin de leur santé mentale, de consulter, de s’occuper d’eux-mêmes et de prendre congé. Cela n’est pas suffisant. Pour se débarrasser de son stress, prendre soin de soi n’est pas assez. Il faut s’attaquer aux systèmes qui font en sorte que le stress et l’épuisement professionnel continuent de nuire à notre personnel.

Alors, en tant que leaders, comment aller au-delà des conseils superficiels pour soutenir le cheminement en santé mentale des membres de notre équipe?

Faites preuve de souplesse

Encouragez tout d’abord les membres de votre équipe à vivre de façon plus équilibrée, ou soutenez-les dans ce sens. Parmi les aspects positifs du travail pendant une pandémie, de nombreuses entreprises ont pu commencer à offrir une option de travail à domicile. Selon une étude de Statistique Canada, 90 % des personnes qui travaillaient à domicile ont déclaré être aussi productives à la maison qu’au bureau. Ainsi, les employés ont pu prouver que leur réussite ne se mesure pas au nombre d’heures passées au bureau, mais plutôt à leur capacité à accomplir leur travail. Selon une étude réalisée en juin 2022 par Tracking Happiness, le travail à domicile a également contribué à accroître de 20 % le niveau de bonheur des employés. Le retour au bureau et les longs trajets entre la maison et le travail, eux, réduisent le niveau de bonheur.

« Pour se débarrasser de son stress, prendre soin de soi n’est pas assez. »

En matière de conciliation travail-famille, la possibilité pour les employés de travailler à domicile et d’avoir un horaire flexible peut transformer leur vie et contribuer à un meilleur équilibre. Vous êtes leader de personnel? Réfléchissez aux domaines dans lesquels vous pouvez offrir ces options. Cela peut contribuer à réduire une partie du stress que vivent les employés au travail.

Soyez proactifs

Autre aspect à prendre en compte pour aider les membres de votre équipe à gérer leur stress : n’attendez pas qu’ils soient épuisés et aient besoin de prendre congé. Ceci est une approche réactive.

Pour être proactifs, les leaders de personnel doivent faire du développement professionnel afin de reconnaître les signes de stress et d’épuisement. En étant à l’écoute des besoins en évolution de vos employés et en trouvant un moyen de les satisfaire, vous leur éviterez l’épuisement professionnel et leur ferez plutôt sentir qu’on les soutient dans leur santé mentale.

Le site Web Workplace Strategies For Mental Health donne d’excellents conseils pour reconnaître les signes d’épuisement professionnel chez les membres de votre personnel. Il présente des mesures à prendre pour les leaders, y compris évaluer la charge de travail des membres de leur personnel, fixer des attentes réalistes et offrir des choix aux employés les plus performants. Le programme d’aide aux employés (PAE) de l’entreprise peut aussi offrir des options de formation aux leaders et aux employés.

Outre le développement professionnel, les leaders peuvent effectuer un contrôle hebdomadaire auprès de leurs employés, noter les changements de comportement ou d’attitude et offrir des occasions de croissance ou des projets ambitieux (si les employés expriment le besoin d’un changement) pour aider à prévenir l’épuisement professionnel. Prévoir les besoins des membres de notre équipe peut nous aider à les stimuler et à les responsabiliser, surtout dans les moments difficiles.

Team meeting at work
iStock
Créez un espace sûr

Si vous voulez que vos employés vous fassent part de ce qu’ils vivent, vous devez créer un milieu de travail sûr sur le plan psychologique. Selon le Center for Creative Leadership, les membres de l’équipe ressentent de la sécurité psychologique lorsqu’ils sont à l’aise d’être eux-mêmes, par exemple en prenant la parole, en étant en désaccord avec le statu quo et en adoptant la résolution respectueuse des conflits.

En tant que leaders de personnel, vous devez évaluer votre position relativement à la promotion d’un milieu de travail sûr sur le plan psychologique. Demandez-vous :

  • Les membres de votre équipe prennent-ils la parole lors des réunions?
  • Est-ce qu’ils s’ouvrent à vous lorsque vous prenez de leurs nouvelles ou si vous avez des interactions superficielles avec eux?
  • Avez-vous remarqué que les membres de votre équipe ont tendance à être d’accord avec tout ce que vous dites?

Une étude de McKinsey & Company a révélé que les entreprises qui investissent dans la formation au leadership constatent une augmentation de la sécurité psychologique. Les leaders qui s’engagent à continuer de développer leurs compétences en leadership – notamment dans les domaines de l’intelligence émotionnelle et de la mise en place d’un milieu inclusif – permettent la création d’un espace sûr. Ainsi, les employés peuvent s’exprimer lorsqu’ils se sentent surchargés ou stressés, ou qu’ils ont besoin d’accommodements. C’est un élément important pour prévenir l’épuisement professionnel et créer des facteurs de protection.

Des cours comme Psychological Safety: Clear Blocks to Innovation, Collaboration, and Risk-Taking d’Amy Edmondson et Authentic Management – Leading Diverse, High Performance Teams d’Anima Leadership sont d’excellents points de départ pour développer vos compétences en sécurité psychologique.

Adoptez une approche systémique

Enfin, les systèmes en place au travail qui font en sorte que les employés sont surchargés et, souvent, sous-payés, peuvent causer de l’épuisement professionnel. Songez à mettre à jour les politiques qui causent plus de tort que de bien à votre équipe. Introduction d’une politique de télétravail ou de diversité, d’équité et d’inclusion, mise à jour des régimes de rémunération ou simplement signalement des politiques qui semblent injustes : ces considérations de l’ordre des systèmes contribuent à améliorer l’expérience au quotidien des employés.

Si vous avez essayé de faire modifier les politiques, mais que vous et votre équipe devez les respecter, que pouvez-vous faire, dans les limites de votre pouvoir, pour changer les choses? Pouvez-vous, par exemple, faire preuve de souplesse en matière d’horaire de travail, de redistribution de la charge, de défense des besoins de vos employés, et d’écoute ou de recherche d’occasions de développement professionnel qui peuvent assurer leur croissance?

En tant que leader, vous pouvez aussi montrer l’exemple en prenant soin de vous. Et encouragez vos collègues à faire de même. Travailler 10 heures par jour n’est plus perçu comme une marque d’honneur, mais plutôt comme une recette pour l’épuisement professionnel. Lorsque les membres de votre équipe constatent que vous adoptez le comportement que vous souhaitez voir chez eux et que vous encouragez les autres leaders à faire de même, cela peut créer une culture axée sur le bien-être.

En résumé, les employés continuent de souffrir de stress et d’épuisement professionnel. En tant que leader, vous avez le pouvoir de changer les choses. Vous pouvez collaborer avec votre équipe pour créer un meilleur équilibre grâce aux options de travail à domicile ou à la souplesse des horaires. Adoptez aussi une approche proactive. Investissez dans votre propre développement professionnel de leader afin de reconnaître les signes de stress et d’épuisement chez les membres de votre équipe et de mettre en place des stratégies pour en minimiser les effets. La création d’un milieu professionnel sûr sur le plan psychologique est également essentielle pour que les membres de votre équipe puissent s’exprimer lorsqu’ils ont besoin d’aide ou d’accommodements au travail. Enfin, continuez à remettre en question les systèmes susceptibles de causer du tort aux membres de votre équipe, trouvez des solutions de rechange qui minimisent leur stress et adoptez les comportements que vous aimeriez voir chez eux.

Jodi Tingling est thérapeute agréée en Ontario et coach en bien-être. Elle propose des formations sur le bien-être aux entreprises et aide les professionnels performants à gérer le stress au travail (y compris le syndrome de l’imposteur, les milieux de travail toxiques et la recherche d’équilibre). Pour en savoir plus sur son travail, cliquez ici www.creatingnewsteps.com.


Cet article a été traduit de l’anglais original.

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Two male soccer players on fieldAutomne 2022

« Franchir le Rubicon » : transformer les impasses décisionnelles en opportunités de carrière

La pandémie a incité les individus à réfléchir aux défis liés à leurs objectifs de carrière, à les accepter et à les surmonter

Geneviève Taylor, Kaspar Schattke et Ariane Sophie Marion-Jetten

Author headshotsJulien est un joueur de soccer professionnel canadien dont l’objectif de carrière est d’intégrer un club européen. Pendant la pandémie de COVID-19, il était constamment stressé de devoir s’isoler lorsqu’un co-équipier était malade et est devenu désenchanté de devoir jouer sans public. La situation est désormais revenue « à la normale » mais Julien n’a pas été performant et a souffert de blessures répétées. Il s’inquiète maintenant de ses performances et de son objectif de carrière. Il rumine souvent ses erreurs et se demande s’il devrait se désengager de son objectif ou non – il vit une impasse décisionnelle.

Qu’est-ce qu’une impasse décisionnelle?

Une impasse décisionnelle représente un conflit interne survenant lorsqu’on se demande s’il faut poursuivre ou abandonner un objectif (de carrière) important, pour lequel les difficultés se sont accumulées. Cette situation emmène des conséquences négatives importantes, telles qu’une détresse et une dépression accrues. Elle peut également rendre l’échec de l’objectif plus probable et conduit souvent à son abandon. Étant donné qu’un objectif de carrière détermine généralement une partie importante de l’identité d’une personne, il peut être déstabilisant de l’abandonner. Mais qu’en serait-il si le fait de traverser une impasse décisionnelle était exactement ce dont Julien avait besoin pour réorienter sa carrière afin de vivre une vie qui lui ressemble vraiment?

Nous en savons peu sur les conséquences positives à long-terme des impasses décisionnelles en contexte de carrière. Bien qu’elle soit certainement pénible, une impasse décisionnelle peut aussi représenter une « occasion en or » : l’occasion de réfléchir à ses objectifs de carrière, de laisser tomber ceux qui ne nous rendent plus heureux et de trouver des objectifs plus motivants et porteurs de sens. Toutefois, cela dépend de la manière dont nous gérons notre impasse décisionnelle, et c’est précisément ce avec quoi les professionnels du développement de carrière peuvent nous aider.

Les impasses décisionnelles selon le modèle du Rubicon

Les professionnels du développement de carrière rencontrent fréquemment des clients vivant une impasse décisionnelle, sans pour autant utiliser cette terminologie. Le modèle du Rubicon des phases d’action nous aide à comprendre les impasses décisionnelles et leurs problèmes en distinguant quatre phases de poursuite d’objectifs (voir figure 1).

Au cours de la phase prédécisionnelle, une personne réfléchit au caractère désirable et réalisable de ses différents souhaits. Avoir l’intention de concrétiser un souhait le transforme en objectif. À ce stade, nous avons « franchi le Rubicon », à l’image de Jules César qui avait littéralement traversé cette rivière pour conquérir Rome. Dans les phases préactionnelle et actionnelle, une personne planifie et exécute ses actions, respectivement, tout en ignorant les avantages et les inconvénients de sa décision et en se concentrant sur l’atteinte de son objectif. Dans la phase postactionnelle, elle réfléchit à son progrès, ou à son manque de progrès, en lien avec l’objectif.

Lors d’une impasse décisionnelle, on se met à osciller entre les phases prédécisionnelle et préactionnelle/actionnelle, ce qui empêche de poursuivre efficacement son objectif parce qu’on le remet en question au lieu d’y travailler. Par exemple, Julien commence à perdre des matchs et se demande s’il doit renoncer à ses ambitions européennes.

« Bien qu’elle soit certainement pénible, une impasse décisionnelle peut aussi représenter une occasion en or. »

Comment les professionnels du développement de carrière peuvent-ils utiliser le modèle Rubicon pour aider leurs clients à faire face à une impasse décisionnelle et à en profiter? Nos propres recherches suggèrent que la présence attentive (mindfulness) est liée à une réduction de l’intensité des impasses décisionnelles et peut aider les personnes à gérer une impasse actuelle. Nous proposons donc trois façons de transformer les impasses décisionnelles en occasions en or » pour sa carrière.

1. Réfléchir aux objectifs de carrière et accepter les impasses décisionnelles

Une impasse décisionnelle de carrière offre l’occasion de réajuster ses priorités par rapport à un objectif global. Il faudra à nouveau « franchir le Rubicon », soit en décidant de conserver et de réaffirmer l’objectif initial, avec des ajustements nécessaires, soit en l’abandonnant et en s’engageant dans un autre objectif. L’autocompassion, un des moyens d’accepter une impasse décisionnelle désagréable, comporte trois éléments :

  • La bienveillance envers soi – être gentil envers soi-même après un échec.
  • L’humanité commune – reconnaître que les expériences difficiles font partie de la condition humaine.
  • La présence attentive – prêter attention à ses pensées, ses sensations et es émotions, dans le moment présent, en les acceptant et sans les juger.

Par exemple, nous pouvons aider Julien à prendre conscience de son anxiété et de ses pensées autocritiques, à être tendre envers lui-même parce qu’il a rencontré des obstacles imprévus, comme perdre des matchs, et à reconnaître que cela fait partie de son humanité. De cette façon, nous normalisons l’expérience d’une impasse décisionnelle et permettons à notre client d’accepter ses pensées et émotions difficiles sans les éviter ou se faire envahir par elles.

2. Se désengager ou ne pas se désengager? Telle est la question

Après avoir réfléchi à l’impasse décisionnelle et l’avoir accueillie comme une opportunité, nous pouvons aider le client à explorer explicitement s’il doit se désengager de son objectif. Tout d’abord, pourquoi la personne s’est-elle initialement engagée dans son objectif de carrière? Était-ce à cause d’une pression externe ou interne (raisons contrôlées), ou parce que c’était lié à ses valeurs et à ses intérêts (raisons autonomes)? Une personne ayant choisi un objectif de carrière pour des raisons plutôt contrôlées sera plus susceptible de vivre des impasses décisionnelles à l’avenir, de moins progresser vers son objectif et d’augmenter sa détresse. Si une personne traverse déjà une impasse décisionnelle pour un objectif contrôlé, il pourrait être temps de se désengager et de chercher un objectif plus autonome, lié plus fortement à ses valeurs/intérêts.

Deuxièmement, nous pouvons aider les clients à réfléchir à la possibilité d’atteindre son objectif et à son caractère désirable. Dans le cas de Julian, est-il encore possible d’accéder à une ligue européenne et cela vaut-il la peine de s’investir dans ce but?

Enfin, il faut évaluer les obstacles ayant déclenché l’impasse. Sont-ils surmontables? S’il s’agit d’un objectif souhaitable, atteignable et autonome, cela vaut-il la peine de continuer à travailler pour surmonter ces obstacles? Si oui, nous pouvons utiliser des outils tels que WOOP, qui nous aide à réfléchir à notre objectif, aux résultats souhaités, aux obstacles internes et au plan d’action pour les surmonter. Si l’objectif n’est pas souhaitable, réalisable et autonome, nous pouvons alors aider le client à s’en désengager, sur les plans cognitif, émotionnel et comportemental.

A pair of muddy black football boots hang up in a white-walled changing room.
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3. Se réengager suite à une impasse décisionnelle

Après s’être désengagé d’un objectif de carrière, le défi consiste à aider les clients à se réengager dans un objectif de carrière plus significatif, plus réalisable et plus enrichissant, et qui reflète leurs passions, intérêts et valeurs fondamentales. Ils peuvent y parvenir grâce à divers exercices que les conseillers d’orientation utilisent quotidiennement, tels que les inventaires d’intérêts, l’exploration des valeurs, les récits et la cartographie de l’espace de vie.

La pratique de la présence attentive serait un outil complémentaire que les clients peuvent utiliser pour prêter attention à ce qu’ils ressentent lorsqu’ils discutent de certains objectifs : se sentent-ils serrés dans la poitrine ou ouverts et détendus? Cela aiderait à identifier de nouveaux objectifs, bien qu’il soit important d’explorer d’abord la source de ces sentiments. Ces derniers pourraient aussi provenir de l’anxiété liée à l’incertitude ou à l’adoption d’un objectif très différent de ceux qu’ils ont l’habitude de choisir, plutôt que parce que ce n’est pas le « bon » objectif pour eux.

Enfin, les objectifs de carrière étant généralement déterminants pour l’identité, une autre idée consiste à aider les clients à se réengager dans un objectif connexe. Par exemple, Julien pourrait viser une carrière d’entraîneur dans un club européen si ses blessures ne lui permettent pas de faire une carrière de joueur à haut niveau.

Conclusion

Si une impasse décisionnelle reste une expérience désagréable, elle constitue aussi une occasion de réaligner ses priorités et ses objectifs professionnels. Pratiquer la présence attentive et l’autocompassion peut aider une personne à accepter une impasse décisionnelle au lieu de la combattre. Cela pourrait également l’aider à déterminer quel « Rubicon » franchir : celui qui réaffirme l’objectif initial ou celui qui se désengage et se réengage dans un nouvel objectif de carrière, tout en appliquant la sagesse que l’expérience de l’impasse lui a conférée. Sans la pandémie de COVID-19, beaucoup d’entre nous n’auraient jamais eu cette opportunité.

Geneviève Taylor, Ph.D., est professeure agrégée en counseling de carrière à l’Université du Québec à Montréal. Elle a obtenu une maîtrise en ressources humaines à la London School of Economics et un doctorat en psychologie clinique à l’université McGill. Ses recherches portent sur le rôle que jouent la présence attentive et l’autocompassion dans les processus motivationnels reliés à la carrière.

Originaire de Berlin, Kaspar Schattke a obtenu son doctorat de la Technische Universität München et est professeur agrégé en psychologie du travail et des organisations à l’ Université du Québec à Montréal. M. Schattke est également un formateur certifié en gestion et un consultant spécialisé en leadership et en motivation. Ses recherches portent sur le désengagement d’objectifs, la motivation au travail et l’écoblanchiment.

Ariane Sophie Marion-Jetten, PhD, est chercheuse postdoctorale à la faculté de psychologie et de sciences du mouvement de l’Universität Hamburg, en Allemagne. Ses recherches portent sur le rôle de la présence attentive et la cohérence entre les motifs implicites et explicites en lien avec l’autorégulation et la poursuite d’objectifs de carrière (entre autres).

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fountain pen on notebookAutomne 2022

Mot de l’éditrice

Author headshot« Tout le monde a des comportements tellement bizarres! »

Un fil conducteur relie ce sentiment, exprimé dans un article publié dans The Atlantic au début de l’année, et le numéro d’automne de notre magazine Careering qui a pour thème « la reprise, la réflexion et la résilience ».

Lorsque le comité consultatif sur le contenu et l’apprentissage du CERIC s’est réuni au printemps pour choisir le thème de ce numéro, l’un des membres a mentionné cet article pour évoquer l’étrangeté du moment. Le confinement était terminé et, peu à peu, les choses redevenaient normales. Mais, pour beaucoup de gens, quelque chose continuait à clocher.

À cause de l’épuisement et du stress, les gens avaient des comportements inédits. Les travailleurs et travailleuses étaient aux prises avec de nouveaux sentiments concernant leurs plans de carrière et le rôle du travail dans leur vie. Les étudiants et étudiantes avaient du mal à communiquer et à se réintégrer. Les gestionnaires ont dû relever de nouveaux défis en matière de leadership, alors que le désir du personnel de continuer à travailler à distance s’est heurté à l’obligation d’avoir une présence sur place.

« La “nouvelle normalité” n’a rien à voir avec ce que nous imaginions, a déclaré un membre du comité. La perspective prépandémique a disparu et ce qui est normal reste à découvrir. »

« Se remettre rapidement d’une telle situation est impossible. Les gens se sentent donc dépassés », a observé un autre membre, faisant remarquer que deux années de réponse à des crises avaient privé les personnes et les organisations de temps crucial pour réfléchir.

Le thème de notre magazine Careering, « la reprise, la réflexion et la résilience », vise à tenir compte de cette réalité complexe. Il reconnaît que la normalité se recrée au fur et à mesure, et qu’elle n’est pas nécessairement comme nous l’avions imaginée.

Nous avons donc demandé à des collaborateurs de réfléchir à la manière dont le domaine du développement de carrière peut s’adapter à la situation actuelle et se préparer pour l’avenir.

Voici quelques perles de sagesse transmises par les collaborateurs dans ce numéro :

  • Les soins personnels ne guérissent pas l’épuisement professionnel.
  • Trouver des possibilités dans l’incertitude est essentiel pour se préparer aux défis futurs.
  • Il faut sortir de sa zone de confort pour creuser la surface en matière de racisme au travail.
  • Il n’existe pas de modèle de travail unique.
  • Une crise professionnelle peut cacher une occasion en or.

Au minimum, rappelez-vous que nous avons connu notre lot d’épreuves. C’est correct d’avoir des comportements bizarres.

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