2024

S’intégrer et se maintenir en emploi avec une maladie dite invisible

Par Daniel Trudel (lauréat du prix GSEP de Cannexus24)

Problématique

Imaginez-vous vivre avec de la douleur, des étourdissements, de la confusion, de l’euphorie et aussi vous sentir irritable, et ce, de façon cyclique pour toute votre vie ou une période de celle-ci (Comité de classification des céphalées, 2018). Vivre avec un mal qui est peu connu, un mal que personne dans votre entourage ne semble comprendre. Au mieux, on vous conseille de prendre de l’acétaminophène et d’attendre que cela passe. On confond malheureusement un simple mal de tête (céphalée) avec la condition de migraine chronique (Leroux, 2015) qui est une maladie invalidante (Donnet, 2018). Elle touche près de 8,3% de la population Canadienne âgée de plus de 15 ans (Ramage-Morin et Guilmour, 2014). Elle est considérée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS; 2016) comme étant la 7e cause d’invalidité dans le monde. Cette condition de santé causerait une perte de 25 millions de jours/an de travail ou scolaire au Royaume-Uni (OMS, 2016). S’il est aisé de trouver des données pharmaceutiques ou statistiques sur l’absentéisme et le présentéisme au travail des personnes vivant avec une condition de migraine chronique, trouver des données sur le vécu professionnel de ces personnes s’avère une tâche plus ardue. L’objectif de cette étude réalisée dans le cadre d’un mémoire en science de l’orientation à l’Université Laval est de mieux comprendre l’expérience vécue au travail des personnes atteintes de migraine chronique et les dimensions qui influencent les choix professionnels, l’intégration au travail et le maintien en emploi.

Méthodologie

Dans le cadre de cette recherche, 8 personnes actuellement en emploi (âgées entre 20 et 65 ans), ayant reçu un diagnostic de migraine chronique il y a plus de 5 ans ont été rencontrées pour participer à une entrevue individuelle de recherche qualitative. Les entrevues ont été transcrites, codifiées, puis analysées selon la méthode de l’analyse thématique de Paillé et Mucchielli (2021).

Résultats

Les résultats préliminaires démontrent que le choix de la profession a été fait sans considération pour la maladie. Or, l’arrivée sur le marché du travail présente quelques défis pour cette population : des rapports aux collègues difficiles en lien avec une incompréhension de la condition de santé pour certaines personnes, des effets secondaires liés à la médication ou aux symptômes de la maladie qui impactent le travail (par exemple : tremblements, discours décousu, photosensibilité), la dynamique travail et phases de la migraine, ne sont que quelques éléments soulevés par ces personnes. Ces différents impacts amènent ces personnes à centraliser leur condition de migraine chronique dans leur vie (personnelle et professionnelle) afin de se maintenir en emploi. Ce changement amène certaines personnes à se réorienter dans un environnement qui est plus en adéquation avec leur autogestion de la maladie.

Discussion

Cette condition de santé impacte le vécu professionnel de la personne qui doit naviguer entre crise de migraine, intégration au travail, maintien en emploi, dévoilement ou non-dévoilement du diagnostic et mener un combat pour avoir sa place dans la sphère professionnelle. Combat avec les autres, mais aussi avec soi-même. Un combat pour la compréhension de la dynamique de la migraine chronique avec toutes les sphères de vie. L’acceptation des deuils et tenter de gérer sa maladie avec toutes les exigences provenant du marché du travail, mais aussi le respect de soi, de la reconnaissance de ses limites et le souhait de se développer professionnellement, sur un continuum parfois chargée d’émotions. L’ensemble des participants à la présente étude ont soulevés qu’ils ont besoin d’une ressource professionnelle afin de les aider à s’intégrer et se maintenir en emploi dans un contexte d’un vécu avec la migraine chronique.

Daniel Trudel est étudiant à la maîtrise en sc. de l’orientation recherche et intervention avec mémoire à l’école de counseling et orientation de l’Université Laval sous la direction de Mariève Pelletier. Ses sujets d’intérêts sont notamment : réadaptation, maladie chronique, migraine chronique, l’équité et l’intégration et maintien en emploi.

Références

Comité de classification des céphalées (ICHD3). (2018). Société international des céphalées : La classification internationale des céphalées (3è edition) https://ichd-3.org/wp-ontent/uploads/2019/06/ICHD3-traduction-française-VF-à-publier.pdf

Donnet, A (2018). La migraine chronique : du concept à la prise en charge thérapeutique, Pratique Neurologique. FMC, Volume 9, Issue 2, p.105 – 110 https://doi.org/10.1016/j.praneu.2018.01.014.

Leroux, E. (2015) La migraine : Au-Delà du mal de tête. Les éditions du TRÉCARRÉ. ISBN 978-2- 89568-614-9

Organisation mondiale de la santé (2016). Céphalées https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/headache-disorders

Paillé, P., & Mucchielli, A. (2021). L’analyse qualitative en sciences humaines et sociales-5e éd. Armand Colin.

Ramage-Morin, P., et Guilmour, H. (2014). Prévalence de la migraine chez la population à domicile au Canada. Statistique Canada https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/82-003-x/2014006/article/14033-fra.htm

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2024

Analyse de travail réel et des besoins de formation pour la conception de formation

Par Jihène Hichri (lauréate du prix GSEP de Cannexus24)

Par Jihène Hichri

La formation continue est un pilier essentiel du développement de carrière dans le monde du travail. Pour qu’elle soit réellement efficace et pertinente, il faut prendre en considération le travail réel et les besoins réels de formation dans la conception de programmes de formation. Lorsqu’il s’agit de préparer les individus à évoluer dans leur carrière, il est important d’identifier les compétences leur permettant de s’adapter à un environnement professionnel en constante évolution et de leur fournir des outils pour agir sur ces environnements afin que ceux-ci soient favorables au développement et au maintien en emploi.

Tout d’abord, il est crucial de reconnaître que le travail réel diffère du travail prescrit (Teiger, 1993). La manière dont les tâches sont effectivement accomplies peut varier en raison de l’influence de divers facteurs liés notamment à la situation et au contextes auxquelles les travailleuses et les travailleurs sont confrontés dans leur emploi. Par conséquent, il est essentiel d’effectuer une analyse systémique du travail réel au sein de l’organisation. Une compréhension approfondie du travail réel permet aux concepteurs de formation de créer des programmes qui sont liés aux situations et aux défis auxquels les travailleurs sont confrontés. Grâce à l’analyse de l’activité, des savoirs professionnels pourront être identifiés par la verbalisation des modes opératoires et du processus cognitif qui s’y rattache et ensuite d’intégrer ces savoirs dans le contenu de formation (Ouellet, 2009). Le recours à l’expérience et aux savoirs professionnels permettra d’élaborer un contenu de formation adapté aux besoins individuels, collectifs et organisationnels (Caroly, 2010; Delgoulet, 2015). De plus, cette analyse permettra au concepteur d’identifier une variété de situations d’apprentissage représentatives de la situation réelle de travail (Ouellet, 2013) et des ressources à mobiliser (Chatigny, 2013) qui facilitent le transfert des nouvelles compétences dans des contextes variés (Denis, 2016).

Ensuite, il est important de prendre en compte l’évolution constante de l’environnement professionnel. Les avancées technologiques, les changements dans les méthodes de travail et les nouvelles exigences du marché peuvent avoir un impact significatif sur les besoins de formation. Par conséquent, les programmes de formation doivent être adaptables et orientés vers des compétences transférables dans différentes situations de travail pour garder leur pertinence au fil du temps (Ghaffari et al., 2023). Par exemple, les compétences en TIC, telles que la maîtrise des logiciels, la gestion des données et la communication en ligne, sont devenues cruciales dans de nombreux domaines. Les individus qui développent ces compétences peuvent améliorer leur employabilité, à de nouveaux postes et évoluer dans leur carrière. Ainsi, l’investissement dans le développement de compétences en TIC peut être un facteur déterminant dans la progression professionnelle, offrant aux apprenants la possibilité de s’adapter aux besoins changeants du marché du travail et de saisir de nouvelles opportunités de carrière (Guerrero, 2001).

En un mot, les résultats de ma recherche seront mobilisés pour formuler des recommandations quant à la prise en compte du travail réel dans la conception de formation permettant aux individus de développer les compétences nécessaires pour réussir dans leur carrière. L’objectif sera également de favoriser la satisfaction au travail, la rétention des employés et la compétitivité de l’organisation sur le marché. En investissant dans le développement de carrière de ses employés, dans les conditions d’apprentissage et de maintien en emploi, une organisation démontre son engagement envers la croissance et le succès à long terme de ses employés. Tout d’abord, elle permet de combler plus efficacement les lacunes de compétences spécifiques et d’assurer la pertinence de la formation pour le travail à effectuer. Ensuite, elle favorise la motivation des employés en observant les effets de la formation sur leur développement professionnel (Ghaffari et al., 2023).

Jihène Hichri est doctorante en science de l’éducation. Sa recherche vise à examiner la prise en compte du travail réel de répartiteurs médicaux d’urgence œuvrant dans une entreprise Montréalaise, dans les démarches de conception de formation. Jihène s’intéresse également à l’évaluation des effets de la formation et au transfert des apprentissages.

Références

Caroly, S. (2010). Activité collective et réélaboration des règles : des enjeux pour la santé au travail [HDR, Université Victor Segalen – Bordeaux II]. https://dumas.ccsd.cnrs.fr/PACTE/tel- 00464801v2

Chatigny, C. (2013). Entre ressources allouées et ressources mise en œuvre, un astucieux travail de construction. Dans Catherine Teiger et Marianne Lacomblez (Éds). (Se) former pour transformer le travail. Presse de l’Université Laval, Québec.

Delgoulet, C. (2015). L’expérience à l’épreuve des apprentissages professionnels : conflit ou harmonie ? Construire la pertinence interne et externe des dispositifs d’apprentissage pour le développement des femmes et des hommes au travail [Thèse d’HDR, Université de Bordeaux]. http://dx.doi.org/10.13140/RG.2.1.4214.0880

Denis, D. (2016). Entre vouloir et pouvoir : une perspective ergonomique de la problématique du transfert des apprentissages. Dans M. Lauzier, D. Denis (dir.), Accroître le transfert des apprentissages : Vers de nouvelles connaissances, pratiques et expériences (p. 263-291). PUQ.

Ghaffari, A., Moyon, M., Vanhoolandt, C., et Bégin, C. (2023). Évaluation d’une formation pour le développement de l’adaptabilité de carrière Peut-on activer les capacités d’adaptabilité des adultes face à des changements de carrière? évaluation d’une formation de type «construire sa vie».

Guerrero, S. (2001). La contribution des TIC au développement des nouvelles carrières. Contribution des TIC au développement de nouvelles carrières), les Actes du 21ème congrès de l’AGRH La GRH dans la société de l’information, Université de Liège, 449-464.

Ouellet, S. (2009). Acquisitions d’habiletés motrices à la découpe de viande et prévention des troubles musculo-squelettiques : apport de l’analyse ergonomique à la conception de formations [Thèse de doctorat, Université du Québec à Montréal]. Archipel. https://archipel.uqam.ca/2474/1/D1821.pdf

Ouellet, S. (2013). Contribution de l’ergonomie à la conception d’un outil de formation. Activités, 10(2). https://doi.org/10.4000/activites.690

Teiger, C. (1993). L’approche ergonomique : du travail humain à l’activité des hommes et des femmes au travail. Éducation permanente, 116(3), 71–96. (hal-02279703)

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2024

Technologies de l’information et des communications (TICs) en orientation scolaire et professionnelle : quelques constats

Par Annie Gourde (lauréate du prix GSEP de Cannexus24)

Par Annie Gourde

La profession de conseiller et conseillère d’orientation (CO) a eu 60 ans en 2023 et elle a su se démarquer par sa pertinence sociale qui est maintenant libellée comme suit : « Les c.o., par leur expertise de la relation individu-travail-formation, visent le mieux-être personnel et professionnel en mobilisant le potentiel des personnes et en les aidant à prendre leur place dans la société tout au long de leur vie » (OCCOQ, 2023). La pertinence sociale de la profession s’est accompagnée par une diversification de ses secteurs de pratiques des CO. Parallèlement à la transformation de la profession, les TICs ont pris de plus en plus de place dans les activités d’orientation scolaire et professionnelle. Dans les recherches réalisées en développement de carrière, on constate que le numérique est utilisé de plusieurs façons dans la pratique des CO. Principalement, l’utilisation des TICs permet la transmission d’informations scolaire et professionnelle et la réalisation de tests psychométriques en ligne (OCCOQ, 2020 ; Turcotte et Goyer, 2017a; 2017b; 2018). Il y a également d’autres interventions répertoriées par les personnes chercheuses, soit l’utilisation de la vidéoconférence, du téléphone, des médias sociaux, des messages textes, des chats, des courriels et les communications via une plateforme sécurisée (Haddouk, 2018 ; Paterson et al., 2017 ; Sampson et al., 2020 ; Turcotte et Goyer, 2017a; 2017b; 2018). 

L’utilisation des TICs en orientation scolaire et professionnelle a ses avantages, mais également ses inconvénients. Pour ce qui est des constats positifs, les TICs facilitent l’accès à des informations scolaires et professionnelles, à des évaluations en ligne, aux CO directement en vidéoconférence sur l’ordinateur ou avec le téléphone intelligent, aux amis.es, à la famille pour avoir des avis et permettre une réduction des coûts pour les services de carrière (Lambrette, 2021 ; Sampson et al. 2020). L’intervention en ligne permettrait aussi d’augmenter l’efficacité en groupe et d’offrir des services aux personnes éloignées géographiquement (Haddouk, 2018 ; Leroux et Lebobe, 2015; Paterson et al., 2017). Pour ce qui est des limites potentielles à l’utilisation des TICs, il apparait qu’il n’est pas toujours possible de vérifier la qualité et la fiabilité des informations et des évaluations proposées en ligne (Sampson et al., 2020). Pour les CO, les indices de communication non verbale sont plus difficiles à détecter et ils ont le devoir de s’assurer que les échanges en ligne sont confidentiels (Lambrette, 2021 ; Leroux et Lebobe, 2014 ; Sampson et al. 2020). D’autres contraintes peuvent aussi limiter l’accès à Internet et aux consultations pour certaines personnes, telles que les contraintes financières, le manque de disponibilité d’Internet, le manque de compétences informatiques générales et pour l’utilisation des logiciels, etc. (Haddouk, 2018 ; Paterson et al., 2017 ; Sampson et Maleka, 2014). Enfin, il est important, pour les personnes conseillères, de tenir compte des différences de compétences et de la capacité d’adaptation de chaque personne envers les technologies de l’information et des communications. 

Des travaux plus approfondis sont nécessaires (Gourde et Goyer, 2023) et ils ont comme objectif d’analyser l’évolution de la présence et de l’utilisation des TICs dans le domaine de l’orientation scolaire et professionnelle au Québec. Ces travaux utilisent notamment l’approche par les capabilités d’Amartya Sen (2000; 2005; 2010) comme cadre conceptuel. Une analyse de contenu documentaire ainsi que des entrevues semi-dirigées seront faites afin de répondre à cet objectif général. 

Annie Gourde, M.A., co, est conseillère d’orientation, chargée de cours et doctorante en sciences de l’orientation sous la direction de Liette Goyer, professeure titulaire à l’Université Laval. Elle s’intéresse à la supervision et la formation des CO ainsi qu’aux technologies présentes dans le domaine de l’orientation.  

Références

Haddouk, L. (2018). Télépsychologie et visioconsultation. Annales Médico-psychologiques, Revue psychiatrique, 176(3), 278-281. https://doi.org/10.1016/j.amp.2018.01.004 

Lambrette, G. (2021). La télépsychologie, opportunité et continuité de soins ? Vie sociale et traitements, 1(147), 5-8. https://www.cairn.info/revue-vie-sociale-et-traitements-2021-1-pages-5.htm 

Leroux, Y., et Lebobe, K. (2015). Que peut faire un thérapeute d’adolescents avec Internet ? Adolescence, 33(3), 511-521. https://doi.org/10.3917/ado.093.0511 

Ordre des conseillers et conseillères d’orientation du Québec. (2023). Trouver un c.o. – Expertises et services offerts. https://www.orientation.qc.ca/fr/expertises-et-services-offerts  

Ordre des conseillers et conseillères d’orientation du Québec. (2020). Services d’orientation à distance pour le public (COVID-19). https://www.orientation.qc.ca/fr/actualite/covid-19/services-dorientation-a-distance-pour-le-public-covid-19  

Paterson, S. M., Laajala, T., et Lehtelä, P. L. (2017). Counsellor students’ conceptions of online counselling in Scotland and Finland. British Journal of Guidance and Counselling, 47(3), 292-303. https://doi.org/10.1080/03069885.2017.1383357 

Sampson, J. P., Kettunen, J., et Vuorinen, R. (2020). The role of practitioners in helping persons make effective use of information and communication technology in career interventions. International Journal for Educational and Vocational guidance, 20(1), 191-208. https://doi.org/10.1007/s10775-019-09399-y 

Sampson, J. P., et Makela, J. P. (2014). Ethical issues associated with information and communication technology in counseling and guidance. International Journal for Educational and Vocational guidance, 14(1), 135-148. https://doi.org/10.1007/s10775-013-9258-7 

Sen, A. (2000). Repenser l’inégalité. Éditions du Seuil. 

Sen, A. (2005). Human Rights and Capabilities. Journal of Human Development, 6(2), 151-166. https://doi.org/10.1080/14649880500120491   

Sen, A. (2010). L’idée de justice. Flammarion. 

Turcotte, M. et Goyer, L. (2017a). L’utilisation des technologies de l’information et des communications dans la pratique des conseillers et conseillères d’orientation du Québec. Revue canadienne de développement de carrière, 16(2). 6-11. 

Turcotte, M. et Goyer, L. (2017b). The use of information and communication technologies (ICT) in the practice of Quebec career guidance counsellors? Revue canadienne de développement de carrière, 17(2), 101-105.  

Turcotte, M. et Goyer, L. (2018). L’accompagnement en orientation à distance à l’ère du numérique : nouvelle forme d’accompagnement ou nouvel environnement? Revue d’éducation de l’Université d’Ottawa, 5(3), 55-59. 

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