L’orientation et le nouveau monde

Par Zoée St-Amand

Un an passé, je me suis réveillée dans une nouvelle réalité. Sans crier gare, un virus s’est présenté, bouleversant tout sur son passage. Planétairement, chaque individu est touché personnellement, de près ou de loin, par la situation actuelle. Sans contredit, le marché du travail est secoué et subira une transformation sans précédent. Jusqu’à présent, les travailleurs et les travailleuses ont eu à s’adapter, mais ils devront continuer à le faire, car il est bien difficile, de prédire ce que sera le marché du travail de demain.

Toutefois, la transformation s’était bel et bien entamée, et ce, bien avant la pandémie. Néanmoins, cette dernière ne fera assurément que précipiter les changements. En 2019, l’Organisation internationale du Travail (OIT) émettait un texte qui annonçait que de nombreux facteurs affecteraient profondément le marché du travail. L’OIT prévoit que d’ici quelques années, l’automatisation, l’intelligence artificielle et la technologie, notamment, auront des effets qui toucheront plusieurs millions de travailleurs dans tous les secteurs. Revenons à aujourd’hui, les effets de la pandémie sur le marché du travail demeurent inconnus, mais il reste que déjà, des impacts se font lourdement ressentir dans le milieu de la restauration, du tourisme et de la santé, entre autres. Pourquoi est-ce si important? Parce que l’emploi, la profession, son occupation sont importants dans la vie des gens. En 2007, les chercheurs Mercure, Vultur et Fleury ont effectué une recherche auprès de 1000 jeunes travailleurs québécois. Cette recherche démontre qu’au moins 7 jeunes sur 10 placent la sphère professionnelle parmi les valeurs les plus importantes de leur vie. Ils renchérissent que la valeur travail est aussi très importante chez les travailleurs plus âgés. Aussi, les chercheuses Dionne et Girardin (2021) mettent en lumière que la profession joue un rôle bien plus important qu’un simple gagne- pain. Elle a une incidence sur le développement identitaire, l’intégration sociale et sur le bien-être en général.

Je suis allée à ma boîte aux lettres hier matin et j’ai récupéré mon magazine l’orientation (2021, février), diffusé par l’Ordre des conseillers et des conseillères d’orientation du Québec. La présidente, Josée Landry, présente un billet dans lequel elle déplore la méconnaissance par la population de la valeur du service offert et de l’expertise des conseillers d’orientation sur le marché du travail et de la formation. Je me suis alors mise à réfléchir à mon futur en tant que professionnelle dans le domaine. J’ai eu un sentiment que les années à venir pourraient être des moments déterminants pour la profession. Une occasion à saisir pour que le domaine puisse prendre la place qui lui revient et que les conseillers d’orientation arrivent finalement à démontrer leur pertinence dans la sphère sociale. D’ailleurs, une étude menée par les professeurs et chercheurs Milot-Lapointe, Savard et Le Corf (2018) démontre l’efficacité de l’intervention en counseling de carrière individuelle envers la réduction de l’indécision de carrière et de la détresse psychologique. Considérant les nombreux soubresauts dans le marché du travail, j’ose imaginer qu’il y aura de nombreuses problématiques et que les conseillers d’orientation pourraient être d’un grand service envers la clientèle qui les vit.

J’ai été à mon cours aujourd’hui, mon professeur a parlé d’advocacie, autant pour le bien-être de la clientèle que pour la reconnaissance de la profession et tout mon cœur à dit Oui, je lève ma main. Oui, je veux faire partie de l’effort collectif afin que notre profession soit mieux connue du public, car je sens que dans les années à venir, notre pertinence et expertise pourraient venir en aide à un grand nombre d’individus. Quel moment palpitant pour l’orientation, à nous de le saisir, de le mettre à notre avantage et au même moment, accompagner notre clientèle au meilleur de nos capacités au travers ce futur inconnu.

Zoée St-Amand, étudiante à la maîtrise en orientation, Université de Sherbrooke. Provenant du milieu administratif, un ardent désir de travailler avec les gens m’a poussée à me réorienter vers le domaine de l’orientation. J’ai un fort intérêt envers la compréhension des changements dans le monde du travail et leurs répercussions sur les individus, la sociologie et l’humain.

Références

Dionne, P. et Girardin, V. (2021, février) Travail et suicide : au-delà des chiffres. l’orientation, 22-24. Landry, J. (2021, février) L’orientation n’est pas un luxe. l’orientation, 4-5.

Mercure, D., Vultur, M. et Fleury, C. (2012). Valeurs et attitudes des jeunes travailleurs à l’égard du travail au Québec : une analyse intergénérationnelle. Relations industrielles, 67(2), 177-198. doi: 10.7202/1009083ar

Milot-Lapointe, F., Savard Réginald, & Le Corff, Y. (2018). Intervention components and working alliance as predictors of individual career counseling effect on career decision-making difficulties. Journal of Vocational Behavior, 107, 15–24. https://doi.org/10.1016/j.jvb.2018.03.001

Rani, U. et Grimshaw, D. (2019). Introduction – Travail, emploi, société: que nous réserve l’avenir? Revue internationale du Travail, 158(4), 633-650. doi: 10.1111/ilrf.12141

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Prise de décision de carrière : les interventions en art-thérapie seraient-elles une voie à explorer?

Par Hélène Brisebois (Cannexus22 – Lauréate du prix GSEP)

La carrière occupe une place centrale dans la vie des individus et la prise de décision de carrière vise, entre autres, un emploi répondant à des besoins financiers, de reconnaissance sociale et de bien-être (Blustein, 2008; Gati et Tal, 2008, Milot-Lapointe, 2017). Afin de répondre à ces besoins, la personne choisit une carrière correspondant à ses intérêts et à ses objectifs (Gati, Krausz et Osipow, 1996; Milot-Lapointe, 2017). Cependant, ce choix peut s’avérer difficile et l’individu peut se sentir incapable de prendre la bonne décision, ce que l’on nomme indécision de carrière (Amir, Gati et Kleiman, 2008; Forner, 2007; Osipow, 1999).

Un choix de carrière satisfaisant ne peut se faire uniquement de manière linéaire et rationnelle: il faut également tenir compte des émotions et de l’intuition (Falardeau, 2007; Gelatt, 1989). La prise de décision de carrière requiert un espace de réflexion, d’imagination et de créativité, afin de permettre l’organisation et la réorganisation de l’information et des idées à partir d’une perception subjective de la réalité (Gelatt, 1989). Ce processus doit s’ancrer dans la dimension rationnelle et la dimension intuitive (Lecomte et Savard, 2008, 2009). La première comprend la rationalité, la réflexion et l’introspection, alors que la seconde regroupe l’intuition, les émotions, la créativité et l’imagination (Falardeau, 2007; Gelatt, 1989; Young, Domene et Valach, 2015). Falardeau (2007) explique d’ailleurs que la prise de décision ne peut pas être strictement rationnelle et linéaire compte tenu de l’importance des émotions dans le processus, « les gens ne décident pas seulement avec leur tête, ils le font aussi et surtout avec leur cœur » (p. 76).

On peut alors se demander ce qui pourrait faciliter le contact, l’expression et la mise en lumière de la dimension intuitive. L’art, tout en facilitant l’introspection, donne accès à l’intuition et aux émotions, ce qui contribuerait à la réflexion concernant la prise de décision de carrière (Gladding, 2012; Hamel et Labrèche, 2015). Cette forme d’expression permet une communication qui n’est pas uniquement verbale et facilite l’expression de ce qui est ressenti (Hamel et Labrèche, 2015). L’art, qui est une activité de création, donne libre cours aux émotions et à l’imagination et, à travers un travail de réflexion, d’introspection et d’expression, permet d’ouvrir une porte sur le matériel inconscient du sujet, dont l’intuition, ce que d’autres approches ne peuvent pas faire (Gladding, 2012).

L’art-thérapie utilise l’art dans le cadre de ses interventions (Hamel et Labrèche, 2015 ; Hinz, 2020). En counseling, cette pratique permet de traiter l’estime de soi, l’anxiété, les aptitudes de résolution de problèmes et l’identité (Gladding, 2012; Hamel et Labrèche, 2015). On reconnaît ces difficultés comme étant également des facteurs d’indécision de carrière, ce qui amène à penser que ces interventions permettraient de travailler sur les facteurs faisant obstacle à la prise de décision en counseling de carrière. De plus, l’art-thérapie favorise le contact avec les émotions, le développement de l’intuition, la créativité et l’imagination dans un espace d’introspection et de réflexion (Gladding, 2012 ; Henderson, 1999 ; Hamel et Labrèche, 2015), des éléments essentiels à la prise de décision (Falardeau, 2007 ; Gelatt, 1989).

Est-ce que les interventions en art-thérapie faciliteraient la prise de décision en counseling de carrière? Cela semble être une piste d’intervention intéressante à étudier en orientation. Une méthode qualitative phénoménologique (Smith, Flowers et Larkin, 2009) permettra d’explorer l’expérience de professionnels qui mobilisent les interventions en art-thérapie au cours du processus de prise de décision en counseling de carrière.

Hélène Brisebois est étudiante de maîtrise en orientation à l’Université de Sherbrooke. Son sujet de mémoire traite de la mobilisation des interventions en art-thérapie au cours du processus de prise de décision en counseling de carrière.

Références

Amir, T., Gati, I et Kleiman, T. (2008). Understanding and interpreting career decision-making difficulties. Journal of Career Assessment, 16(3), 281-309.

Blustein, D.L. (2008). The role of work in psychological health and wellbeing. American Psychologist, 63(4), 228-240.

Falardeau, I. (2007). Sortir de l’indécision. Québec, QC : Septembre Éditeur.

Forner, Y. (2007). L’indécision de carrière des adolescents. Le travail humain, 70(3), 213-234.

Gati, I., Krausz, M. et Osipow, S.H. (1996). A taxonomy of difficulties in career decision making. Journal of Counseling Psychology, 43(4), 510-526.

Gati, I. et Tal, S. (2008). Decision-making models and career guidance. In J. Athanasou et R. Van Esbroeck (dir.), International handbook of career guidance (p. 157-185). Berlin, Germany : Springer.

Gelatt, H.B. (1989). Positive uncertainty: A new decision-making framework for counseling. Journal of Counseling Psychology, 36(2), 252-256.

Gladding, S.T. (2012). Art in counseling. In C.A. Malchiodi (dir.), Handbook of art therapy (p. 263-274). (2e éd.). New York, NY: The Guilford Press.

Hamel, J. et Labrèche, J. (2015). Art Thérapie : Mettre des mots sur les maux et des couleurs sur les douleurs. Livre de référence pour comprendre et pratiquer. Paris, France : Larousse.

Henderson, S.J. (1999). The use of Animal Imagery in Counseling. American Journal of Art Therapy, 38(1), 20-26.

Hinz, L.D. (2020). Expressive Therapies Continuum: A Framework for Using Art in Therapy. (2e éd.). New York, NY: Routledge.

Lecomte, C. et Savard, R. (2008). Counseling de carrière: enjeu d’orientation et d’insertion professionnelle. Document inédit.

Lecomte, C. et Savard, R. (2009). Counseling de carrière avec ses enjeux d’orientation, de réorientation, d’insertion, de réinsertion, d’adaptation et de réadaptation. Document inédit.

Milot-Lapointe, F. (2017). Effet du counseling de carrière individuel sur l’indécision de carrière et sur la détresse psychologique : influence des composantes d’intervention et de l’alliance de travail. Thèse de doctorat en éducation, Université de Sherbrooke, Sherbrooke.

Osipow, S.H. (1999). Assessing career indecision. Journal of Vocational Behavior, 55, 147-154.

Young, R.A., Domene, J.F. et Valach, L. (2015). Counseling and Action: Toward Life-Enhancing Work, Relationship and Identity. New York, NY: Springer.

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L’épuisement professionnel des professionnels de la santé en temps de pandémie

Par Steeven Bernier

Durant la dernière année, plusieurs d’entre-nous ont entendu des histoires dans les médias de personnes qui ont perdu leur emploi et qui se sont reconvertis professionnellement pour aller prêter main forte au système de la santé. Cependant, les conditions de travail dans le domaine de la santé semblent s’être dégradées partout dans le monde. Les grands titres des journaux en font foi : « Manque de reconnaissance, conditions de travail : ces infirmiers ne veulent plus travailler à l’hôpital ». Or, dans ce contexte, plusieurs professionnels de la santé qui y étaient déjà depuis plusieurs années décident de quitter leur emploi et changer de métier. Dans ce contexte, il apparaît donc que les professionnels du domaine de l’orientation et du développement de carrière auront à rencontrer ces clients prochainement, si ce n’est pas déjà le cas actuellement. Or, au-delà de ce changement de cap pour ces-derniers, il importe de comprendre le contexte les ayants menés à cette prise de décision.

La pandémie ainsi que les stratégies visant à la contrer (couvre-feu, confinement, etc.) ont entraîné une augmentation des taux de troubles mentaux, sans compter l’augmentation de la détresse psychologique, des problèmes d’insomnie, d’idées suicidaires et de consommation de substance, entre autres, chez les professionnels de la santé (Cénat, 2020; Cénat et al., 2020). Chez ceux-ci, mentionnons que même en période hors pandémie, ils sont plus à risque que la population générale d’avoir des troubles mentaux, d’être sousdiagnostiqués et d’être sous-traités (El-Hage et al., 2020). Or, plusieurs facteurs reliés à la pandémie peuvent influencer l’état psychologique des professionnels de la santé. Mentionnons principalement l’exposition directe aux patients ayant une charge virale haute, l’exposition au risque de contamination, l’épuisement physique, la réorganisation des espaces de travail, l’adaptation à des organisations rigides de travail, la gestion de la pénurie de matériels, le nombre inhabituellement élevé de décès parmi les patients, des collègues ou des proches ainsi que des questions éthiques relatives à la prise de décision dans un système de soins en tension, être parents avec la crainte de contaminer ses enfants ainsi que la stigmatisation des soignants comme vecteurs potentiels de l’infection virale (El-Hage et al., 2020).

Or, le Canada ne fait pas exception à la réalité décrite précédemment. Effectivement, selon les données avancées par Statistique Canada récemment, 7 travailleurs de la santé sur 10 ont déclaré une détérioration de leur santé mentale pendant la pandémie de COVID-19 (Statistique Canada, 2021). Qui plus est, cette détérioration perçue est plus accrue chez les professionnels travaillant avec des cas confirmés ou soupçonnés de Covid-19. Ainsi, dans ce contexte anxiogène qui s’ajoute à un système de santé déjà éprouvé, de plus en plus de professionnels de la santé songent à se réorienter. Afin de diminuer l’impact psychologique de cette nouvelle réalité, différentes stratégies peuvent être utilisées. Mentionnons, du côté individuel, la présence de soutien social, le développement de la résilience ainsi que l’application des saines habitudes de vie qui peuvent contribuer positivement (Hage et al., 2020). Au-delà de ses stratégies visant à s’adapter, plusieurs d’entre-eux se questionneront sur leur carrière.

Il importe donc de comprendre la réalité de ces professionnels désirant changer d’emploi ou de profession afin de mieux intervenir auprès d’eux. Des éléments psychologiques, tels que ceux décrits précédemment, ont pu les amenés à cette décision ou, à tout le moins, à cette réflexion.

Steeven Bernier est chargé d’enseignement à la faculté des sciences infirmières de l’Université Laval ainsi que chargé de cours au département des sciences de la santé de l’UQAR, plus particulièrement pour les cours en lien avec la santé mentale. Il effectue actuellement une maîtrise en sciences de l’orientation. Sa recherche dans le cadre du mémoire porte sur les stratégies organisationnelles mises en place par les milieux de soins pour accompagner les infirmières ayant vécu un épuisement professionnel.

Références

Cénat, J.M., (2020). US deportation policies in the time of COVID-19: a public health threat to the Americas. Public Health. https://doi.org/10.1016/j.puhe.2020.05.017.

Cénat, J. M., Blais-Rochette, C., Kokou-Kpolou, C. K., Noorishad, P. G., Mukunzi, J. N., McIntee, S. E., … & Labelle, P. (2020). Prevalence of symptoms of depression, anxiety, insomnia, posttraumatic stress disorder, and psychological distress among populations affected by the COVID-19 pandemic: A systematic review and meta-analysis. Psychiatry research, 113599.

El-Hage, W., Hingray, C., Lemogne, C., Yrondi, A., Brunault, P., Bienvenu, T., … & Aouizerate, B. (2020). Les professionnels de santé face à la pandémie de la maladie à coronavirus (COVID-19): quels risques pour leur santé mentale?. L’encephale, 46(3), S73-S80.

Statistique Canada (2021). Répercussions de la COVID-19 sur les travailleurs de la santé : prévention et contrôle des infections (RCTSPCI). https://www.statcan.gc.ca/fra/enquete/menages/5340

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