par Claude Grenier, psychologue et conseiller d’orientation
(Voici le résumé du texte de M. Grenier qui a été diffusé dans le Bulletin OrientAction Automne 2006)
La mise en place du renouveau pédagogique amène de nombreux changements tant sur le plan de la philosophie de l’éducation qu’à propos du régime pédagogique. Ces changements se répercutent sur les services complémentaires en général et sur les services d’orientation scolaire et professionnelle en particulier. Le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) a d’ailleurs établi un nouveau cadre pour les services aux élèves (MEQ, 2002), lequel s’appliquera parallèlement à l’implantation au secondaire du Programme de formation de l’école québécoise (MELS, 2003).
À cela s’ajoutent trois autres nouveautés. D’abord, l’avènement de l’approche « orientante » implantée dès le troisième cycle du primaire dans certains milieux, ensuite, l’établissement éventuel de parcours de formation axés sur l’emploi au deuxième cycle du secondaire et, enfin, la création d’un cours optionnel centré sur le projet personnel d’orientation (PPO). Voilà quelques exemples de changements qui suscitent une remise en question de nos actions.
À la lumière de ces transformations et en accord avec les motifs et la philosophie de l’éducation à l’origine de la réforme en cours, il y a lieu de s’interroger sur les pratiques actuelles en orientation. Ainsi, cet article présente une nouvelle façon d’intervenir auprès des élèves qui ne se sentent pas interpellés par le processus classique d’orientation. Il vise à répondre à la question suivante : comment rejoindre ces jeunes et leur parler d’orientation?
Ce nouveau modèle centre les élèves sur le développement personnel et sur l’acquisition de compétences générales plutôt que sur le choix d’une profession. Il rejoint ainsi la philosophie du renouveau pédagogique et celle de l’approche orientante.
Qui sont ces jeunes? Deux exemples
Certains élèves vivent exclusivement dans l’ici et maintenant et l’avenir leur paraît très loin. La tendance à vivre dans le moment présent s’avère d’ailleurs une caractéristique importante des adolescents d’aujourd’hui. Pour eux, la notion du temps est très différente de celle de l’adulte, et leur parler d’avenir a peu de sens.
D’autres élèves n’ont tout simplement pas acquis la maturité minimale pour entreprendre un processus d’orientation. Ils sont trop centrés sur leur performance en planche à roulettes, et leur parler de métiers, de professions, d’avenir, de carrière, de marché du travail ou leur parler chinois, c’est pareil. Nonobstant les florissantes perspectives du mandarin…
Alors comment rejoindre ces jeunes? Ces élèves qui vivent exclusivement dans le moment présent? Comment rejoindre les élèves immatures? Comment rejoindre ces élèves au vécu particulier, qui, au terme de leurs études secondaires, doivent faire un choix malgré eux? Comment les aider à faire un choix qui aurait du sens pour eux? Comment les aider à donner du sens à leur choix?
Le modèle propose de quitter momentanément le choix de carrière et de centrer l’élève sur l’acquisition de compétences générales et le développement de l’employabilité.
Premièrement, nous leur proposons un moratoire sur le choix de carrière. Finie la recherche infructueuse de métiers ou de professions. Plus de la même chose n’apporte aucun changement, nous a appris Watzlawick (1975). Nous proposons alors de créer une zone de transition, un espace intermédiaire, un temps d’arrêt avant de faire un choix de carrière. Durant cette période, l’élève se donne un répit. Il ne cherche plus à identifier une profession quelconque, mais il poursuit quand même son cheminement. Il est en fait amené à se centrer sur lui-même, sur son développement personnel. Pour l’aider, l’intervenant l’interroge.
Qu’est-ce que tu aurais le goût d’apprendre ou d’expérimenter dès maintenant, en attendant de trouver ton orientation? Qu’est-ce que tu aurais le goût d’apprendre ou d’expérimenter qui pourrait t’être utile dans la vie quel que soit ton futur choix de carrière? Quelles compétences ou habiletés personnelles aimerais-tu développer maintenant? Quels apprentissages favorisent ton employabilité et rendraient ta candidature plus intéressante pour un employeur? Allons plus loin. Quel programme d’études pourrais-tu entreprendre en attendant de trouver ta « véritable » orientation? Quelles études collégiales ou secondaires professionnelles pourrais-tu faire en attendant d’identifier cette « véritable » profession?
Pendant cette période de transition, l’élève agit. Il peut se permettre d’explorer des domaines jusque-là inconnus. Il s’accorde le droit à l’erreur et peut éventuellement réajuster son choix. Il découvre d’autres facettes de sa personnalité. Il se centre sur lui-même et agit ici et maintenant plutôt que pour un futur lointain, mal défini. Par exemple, entreprendre une formation professionnelle secondaire non pas comme une orientation définitive, mais plutôt comme une étape avant de s’inscrire au cégep.
Deux exemples d’application du modèle
Mélanie n’arrivait pas à trouver un programme d’études suffisamment intéressant pour s’y engager. Plus elle cherchait, moins elle obtenait de résultats. L’intervenant lui proposa alors de mettre de côté pour l’instant le choix de carrière et lui demanda : « Si tu voulais te faire plaisir, qu’est-ce que tu aurais le goût de faire? » Et l’élève de répondre spontanément : « Apprendre l’anglais. Mais je n’ai pas l’argent pour aller à l’extérieur », ajoutat-elle. L’intervenant lui proposa alors de s’inscrire dans un centre anglophone à un programme de formation professionnelle de sept mois, soit Hotel Reception. Conseil que Mélanie accepta d’emblée, ce qui lui permit d’envisager par la suite des études en marketing.
Stéphanie n’avait d’intérêt que pour les arts plastiques. Insécure et provenant d’un milieu aux ressources financières restreintes, elle hésitait à s’inscrire dans un programme où les possibilités d’emploi sont limitées, et ce, particulièrement si la personne est plus ou moins attirée par une carrière en enseignement. Envisageant toutefois le développement de ses compétences en art comme une étape vers un éventuel choix de carrière et non comme un choix pour la vie, intéressée à développer sa créativité, elle finit par s’inscrire au cégep en Arts plastiques. Quelques années plus tard, nous avons appris que, après l’obtention de son diplôme d’études collégiales, Stéphanie avait poursuivi ses études dans le programme Éducation à l’enfance (intensif) et que, à la garderie où elle travaille maintenant, les enfants de son groupe ont produit des oeuvres d’une rare qualité pour leur âge.
Conclusion
Comment rejoindre les élèves à qui un processus classique d’orientation ne convient pas? Peut-on s’orienter sans choisir de métier, de profession ou de programme d’études? Nous avons appliqué le modèle avec plusieurs groupes d’élèves. Nous les avons centrés sur leur développement personnel et sur l’acquisition de compétences générales. Mais ce sont les mots d’un élève qui, finalement, illustreront le mieux l’application fructueuse de ce modèle. Un garçon de 5e secondaire, au terme d’un atelier, s’est exprimé ainsi : «C’est curieux comment je me sens. Je ne sais pas ce que je vais faire plus tard ni quelle profession je vais choisir, mais je me sens orienté. Je sais pourquoi je vais poursuivre mes études au cégep. J’ai choisi un programme qui va me permettre de développer mon goût de parler en public et de m’améliorer en anglais. Et ça va me servir sur le marché du travail.»
Pour mieux comprendre et vous familiariser davantage avec le modèle proposé, vous êtes invités à lire l’article intégral sur le site OrientAction et, si vous le jugez à propos, à nous faire part de vos commentaires.
Claude Grenier est psychologue et conseiller d’orientation. Formé à l’approche systémique, il applique ce modèle aux problématiques scolaires incluant celles reliées à l’orientation. Il travaille depuis plus de 25 ans à la Commission scolaire des Navigateurs et en pratique privée à Lévis. Il agit également comme formateur et superviseur.
Courriel : claude.grenier@csnavigateurs.qc.ca
Bibliographie
Ministère de l’Éducation (2003). Programme de formation de l’école québécoise. Enseignement secondaire, premier cycle. Gouvernement du Québec, p. 75.
Ministère de l’Éducation (2002). Les services éducatifs complémentaires : essentiels à la réussite. Québec, Gouvernement du Québec, 59 p.
Watzlawick, P., Wekland, J.H., Fish,R (1975). Changements: paradoxes et psychothérapie. Paris, Éd. Du Seuil.